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la négation même de la raison, de la parole et de la pensée.

M. Renan, dans tout l'ensemble de son livre, arrive à un résultat du même genre.

Malgré mille précautions, M. Renan arrive à une conclusion double, ou à deux conclusions contraires, comme celles que nous citons, l'une sur Hegel, l'autre sur l'Alexandrinisme.

Cette secte fait les derniers efforts pour réunir, en toute question, les contraires dans l'identité! Ils croient ainsi créer des produits intellectuels d'un ordre nouveau et supérieur. Ils espèrent obtenir, comme la culture le fait en botanique, des fleurs nouvelles, d'une beauté plus rare, des fruits nouveaux et plus parfaits. C'est pourquoi ils essayent en toute chose de voir ce que produisent l'affirmation et la négation réunies. Mais ils oublient que jamais jardinier n'essaya de marier une fleur avec la négation d'une fleur, ni même, ce qui serait beaucoup plus praticable, de marier une fleur à un oiseau. Il faut des conditions pour que les unions soient possibles. Tout mariage

mixte ne donne pas des hybrides réunissant les qualités diverses des deux sujets unis. Il est des cas où, voulant forcer l'union de deux variétés trop éloignées, on obtient un résultat étrange qui s'appelle, dans la science, la disjonction des caractères.

Qu'est-ce que la disjonction des caractères? En voici un exemple. On était parvenu à marier deux fleurs, dont l'une a des fruits lisses, l'autre des fruits couverts d'épines. Or, l'on a obtenu de cette union forcée un fruit double, offrant à l'œil la disjonction des caractères; le fruit avait deux faces, ou deux moitiés égales : l'une était lisse, l'autre hérissée d'épines. Les caractères étaient juxtaposés, disjoints, et nullement fondus.

Qu'obtiennent aujourd'hui les Sophistes dans leur recherche des conclusions doubles? Ils obtiennent la disjonction des caractères. Ils ont deux conclusions, et non pas une.

Les deux caractères de Jésus, dans le livre de M. Renan, sont disjoints et resteront disjoints, et ne peuvent se fondre en un seul. Ce n'est pas un portrait, mais ce sont deux portraits, coupés en deux et

collés ensemble. Il y a une demi-face de Jésus, une demi-auréole et une demi-couronne d'épines. Ces trois choses, je veux dire ces trois demi-choses, sont d'un côté ; l'autre côté est la demi-figure et le demiportrait d'une tout autre personne. Et cette autre personne, c'est l'auteur même, comme le remarque M. Havet, lorsqu'il signale <«< certains endroits du livre où la personne » de l'auteur paraît plus à découvert... Par » exemple, dit M. Havet, quand M. Renan >> représente Jésus fondant cette grande doc» trine du dédain transcendant, vraie doctrine » de la liberté des âmes, qui seule donne la » paix, qui n'entend le cri de cette fière >> personnalité (la personnalité de M. Renan) >> se retranchant contre les contraintes abais>> santes de la vie dans un orgueil légitime? » Voilà le portrait de M. Renan juxtaposé au demi-portrait du Seigneur, mais bien évidemment disjoint.

M. Havet pouvait encore citer les pages où est discutée la bonne foi du Seigneur Jésus, où est posée la théorie des différentes mesures de sincérité, et des conciliations de

66 FAUSSE IMAGE DE JÉSUS. l'imposture et de la bonne foi. M. Havet eût-il reconnu là encore la fière personnalité de l'auteur?

Il est donc manifeste qu'il y a là deux portraits qu'on a voulu fondre en un seul, le portrait de Jésus et l'autre, ce qui de toute nécessité devait amener la disjonction des caractères, c'est-à-dire deux demi-figures : l'une divine, et l'autre non divine.

Personne donc ne verra dans ce livre un seul portrait, car il y en a deux, incompatibles, irréductibles et disjoints. Il faut choisir. L'esprit ne peut porter les deux. Quand on inocule plusieurs greffes à une tige, après très-peu de temps, l'une des greffes l'emporte, les autres disparaissent. C'est ce que prouve M. Havet quand il reproche à M. Renan « de trop charger encore » d'illusion et de poésie » la demi-figure de Jésus, et lui demande d'abandonner plus franchement « l'illusion du divin. » Il ne veut qu'une seule greffe, comme la nature, et en cela il a raison.

CHAPITRE V.

L'AMPHORE ET L'URCEUS.

Il faut maintenant se demander si ce livre, qui est faux et mauvais, peut être beau.

Un livre qui a pour principe et méthode la négation de la logique, qui a pour résultat deux conclusions contraires, ou deux demi-figures disjointes, un tel livre peut-il être vraiment une œuvre d'art, et présenter le caractère de la beauté?

Évidemment c'est impossible. Avec M. de Pressensé, « nous contestons entièrement » ce mérite à la Vie de Jésus. L'auteur y >> échoue comme artiste aussi bien que >> comme historien. »>

L'antique formule : « Rien n'est beau que

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