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tion, le faux peintre, qui dit avoir vu, se heurte cruellement aux réalités matérielles. Écoutez, il va mêler à sa peinture une profonde pensée « Tout peuple, appelé à de >> hautes destinées, doit être un petit monde >> complet, renfermant dans son sein les >> deux pôles opposés. » De là contraste, et antithèse et synthèse hégélienne de la Judée et de la Galilée! On va retrouver la formule théorique dans les faits! Donc, pour montrer «< ce que la Galilée a osé » et son extrême contraste avec la Judée, on cite « le bon Zachée,» appelé au festin. Or, Zachée est à Jéricho, terre de Judée, et nullement de Galilée. C'est à Jéricho que se passe la divine et admirable scène du bon Zachée. Les faux témoins se coupent toujours. Que signifie encore ce peuple de Galilée << qui boit beaucoup de vin,... qui n'est nul» lement doué pour l'art, qui est indifférent >> aux beautés de la forme, » et dont pourtant << la joie se spiritualise en rêves éthérés, >> en une sorte de mysticisme poétique... et » qui crée, à l'état d'imagination populaire, » le plus sublime idéal? » N'est-ce pas là

encore la disjonction des caractères? Tout cela est-il compatible? Ne voyez-vous pas là ces plumes de toute couleur dont parle Horace?

Comprenez donc que cet auteur travaille sans objet sous les yeux; il n'a pas plus de modèle idéal que de modèle de chair et d'os. Son livre n'a ni corps ni âme. Ce n'est évidemment qu'un masque.

Je plains ceux qui l'ont trouvé beau.

Autre exemple: est-ce un vrai peintre, un témoin oculaire qui fait intervenir ces jeunes filles dans le tableau de la Passion? N'est-ce pas une indigne faute?

Mais voici quelque chose qui dépasse tout, et qui est absurde trois fois, comme thèse, comme antithèse et comme synthèse. Je demande si un homme de sens et de goût, quel qu'il soit, dans quelque art que se soit développé son génie, peut admettre qu'en aucun cas l'on puisse appeler Jésus-Christ <«< un fin et joyeux moraliste? » Si quelqu'un dit oui, j'avoue qu'à celui-là je ne pourrai répondre.

La figure idéale du Christ est un type qui

existe, qu'on ne peut pas, qu'on ne doit pas changer, qu'on ne changera pas. Appliquer à cet idéal la fade et plate qualification « de fin et joyeux moraliste, » c'est faire une faute grossière qu'aucun maître ne pardonnera. Celui qui a fait cela est perdu.

Mais quoi! voici que, d'un autre côté, il applique à ce même idéal, éternellement et nécessairement immuable comme les idées, cet autre trait non moins insupportable. Il dit de Jésus-Christ : « ce géant sombre. » Autre chute. Je prends à témoin tout artiste. Appeléz «< géant sombre » le tentateur dans le tableau de Scheffer, mais non le Christ limpide, doux et humble de cœur, calme dans sa lumière, dans son amour et dans sa force, qui, comparé au géant sombre, est Apollon comparé aux Titans.

Voilà donc deux traits subversifs qui défigurent tout le tableau. Mais l'effroyable et implacable peintre a son système, et prétend bien nous l'imposer. Et ce n'est pas ici par surprise et oubli qu'il ose superposer à la divine figure ces deux traits absolument incompatibles. Il paye d'audace, et c'est

dans la même phrase qu'il unit les deux traits « Fin et joyeux moraliste,... » et : « Géant sombre. >>

Ce n'est plus, dit-il, « le fin et joyeux >> moraliste des premiers jours, mais le géant >> sombre qu'une sorte de pressentiment » grandiose jetait de plus en plus hors de » l'humanité. »

Est-ce qu'un homme, et, selon vous, le plus grand des hommes, est jamais à trente ans « un fin et joyeux moraliste, » pour devenir l'année d'après « un géant sombre? » Quoi! vous qui rejetez la moitié de l'un des Évangiles, par cette raison que si JésusChrist parle comme saint Matthieu, il n'a pu parler comme saint Jean; vous qui, pour les nuances de style qui distinguent ces deux Évangiles, affirmez qu'ils ne peuvent pas venir du même homme; c'est vous qui faites de ce même homme deux êtres radicalement incompatibles, savoir: « un fin et joyeux moraliste, » et en même temps « un géant sombre? >>

Je comprends le Christ d'Avignon, cette merveilleuse sculpture où l'artiste a voulu

réunir dans l'admirable tête du Christ les deux expressions vraies de l'âme du Crucifié, la douleur de la croix et le triomphe de la prochaine résurrection. J'admets, à la rigueur, le tour de force par lequel, vue d'un côté, la face du Christ est douloureuse, et de l'autre côté triomphante, et j'accorde que les deux expressions viennent se fondre dans la tête vue de face. Mais il s'agit ici de deux expressions vraies et compatibles. Et vous, peintre insensé, vous essayez le même tour de force pour donner à la même figure deux expressions, fausses chacune pour ellemême, et incompatibles entre elles!

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