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CHAPITRE VI.

L'ÉVANGILE DU RENARD.

Il nous reste à parler, dans cette étude méthodique de la Vie de Jésus, après avoir dévoilé le principe du livre, sa méthode, sa conclusion double, son caractère comme livre d'art, il nous reste à parler et du ton et du style de l'œuvre.

Le ton d'un livre, n'est-ce pas tout? n'en est-ce pas l'esprit et l'âme?

Mais que dire du ton de ce livre?

Avant tout, il faut dire qu'il y en a deux. Ce livre est écrit en deux tons, comme serait l'œuvre d'un musicien, composée en deux tons, que l'artiste prétendrait fondre l'un dans l'autre.

Mais comment peut-on fondre deux tons

en un seul? C'est absolument impossible. On est dans l'un ou bien dans l'autre. Il y a dilemme absolu. Que peut donc faire celui qui veut chanter sur deux tons à la fois? Il ne peut qu'alterner, et donner tour à tour quelques mesures de l'un, et puis quelques mesures de l'autre. C'est ce que fait ici M. Renan. Il alterne, et il passe de l'un à l'autre ton sans aucune transition motivée. L'effet, on le conçoit, est entièrement insupportable.

Or, voici les deux tons du livre. L'Évangile n'a-t-il pas tout prévu? Écoutez : « Ils lui >> disaient Salut, ô roi des Juifs, et ils lui >> donnaient des soufflets: Et dicebant: Ave, » rex Judæorum, et dabant ei alapas. » Ce sont là les deux tons du livre : le salut, les soufflets! Mais, à vrai dire, les grossiers soldats qui insultaient Jésus n'avaient qu'un ton, car ils disaient: Salut! du ton de la plus grossière ironie, et les soufflets s'accordaient avec le salut. Ici, il est incontestable que M. Renan salue parfois Notre-Seigneur Jésus d'un ton sérieux, respectueux et pénétré. Cela ne peut pas être méconnu. Aussi,

lorsqu'un instant après il l'injurie ou le soufflette, on peut dire qu'il n'y a jamais eu de plus odieux et de plus horrible mélange!

Il est donc impossible de caractériser le ton du livre, car il y en a deux et non pas

un.

Il faut donc opérer la disjonction des deux.

Et d'abord il y a le ton respectueux et pénétré. Ave, rex Judæorum, j'en parle moimême avec respect j'en tiens compte à M. Renan, et je ferai connaître ce côté du livre quand, dans mon impartiale critique, je me poserai cette question : Y a-t-il quelque chose de vrai, de beau, de bon dans cette Vie de Jésus?

Quant à l'autre : « et dabant ei alapas, et ils lui donnaient des soufflets, » c'est ici le lieu d'en parler et de le qualifier.

Mais comment faire pour dire le mot qui qualifie ce ton?

Je dirai tout, en énonçant le fait : C'est un ton de sereine supériorité pris par M. Renan à l'égard de Notre-Seigneur JésusChrist.

Répétons cela la sereine supériorité intellectuelle et morale de M. Renan sur Notre-Seigneur Jésus-Christ!

L'état mental de M. Renan, autrement large, autrement éclairé et autrement sincère que celui de Notre-Seigneur JésusChrist!

J'ai, sur les marges de mon exemplaire de la Vie de Jésus, écrit trente fois le mot le plus énergique de notre langue pour qualifier un ton. Je ne l'écrirai pas ici, car je le trouve absolument insuffisant.

L'énoncé du fait seul est adéquat au fait : la sereine supériorité de cet auteur sur Notre-Seigneur Jésus-Christ!

Il est clair qu'aucun mot d'aucune langue ne saurait qualifier cette forme perpétuellement employée par l'auteur à l'égard de Notre-Seigneur Jésus-Christ :

« Jésus n'a aucune idée de... p. 127.
» Jésus ne sut rien de... p. 40.

» Jésus n'a pas la moindre notion de... p. 128.

>> Jésus n'avait pas la moindre idée de... p. 257.

» Jésus n'avait pas l'idée de... 260.

» Jésus n'eut jamais une notion bien ar» rêtée de... p. 305.

>> L'idéalisme transcendant de Jésus ne » lui permit jamais d'avoir une notion bien » claire de... »`p. 244.

Je ne dis rien de ces jugements en euxmêmes et de leur ineptie absolue. Ce n'est pas la question ni le lieu; je ne parle ici que du ton.

Il est clair qu'il n'existe dans aucune langue un mot capable de qualifier ce ton.

Pesez ceci Un membre de cette secte dont nous avons décrit l'état mental; un scribe de circonstance qui soulève, en ce moment, la risée indignée de tout homme sérieux en Europe; un malheureureux sophiste pour qui nulle assertion n'est plus vraie que son opposée; un infirme intellectuel qui a perdu, en théorie et en pratique, le discernement de ce qui est et de ce qui n'est pas, du pour, du contre, du oui, du non; c'est là l'homme qui s'avance et qui, avec la plus parfaite sérénité et ce demisourire que son style n abandonne jamais,

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