Images de page
PDF
ePub

Vont tous également des douleurs à la mort.

Eh quoi, me dira-t-on, quelle erreur eft la votre ! N'est-il aucun état plus fortuné qu'un autre? Le Ciel a-t-il rangé les mortels au niveau ? La femme d'un Commis, courbé fur fon bureau, Vaut-elle une Princeffe auprès du Throne affife? N'eft-il pas plus plaifant pour tout homme d'Eglife, D'orner fon front tondu d'un Chapeau rouge ou verd, Que d'aller, d'un vil froc obfcurément couvert, Recevoir à genoux, après Laude ou Matine, De fon Prieur cloîtré vingt coups de difcipline? Sous un triple Mortier n'eft - on pas plus heureux, Qu'un Clerc enfeveli dans un Greffe poudreux? Non; Dieu ferait injufte, & la fage Nature Dans fes dons partagés garde plus de mesure. Penfe-t-on qu'ici- bas fon aveugle faveur Au char de la fortune attache le bonheur? Un jeune Colonel a fouvent l'impudence De paffer en plaifirs un Maréchal de France. Etre heureux comme un Roi, dit le Peuple hébété. Hélas, pour le bonheur que fait la Majefté? En vain fur fes grandeurs un Monarque s'apuie. Il gémit quelquefois, & bien fouvent s'ennuie. Son favori fur moi jette à peine un coup d'œil. Animal compofé de baffeffe & d'orgueil, Accablé de dégouts en infpirant l'envie, Tour à tour on t'encenfe & l'on te calomnie. Parle, qu'as-tu gagné dans la Chambre du Roi?

Un

Un peu plus de flateurs & d'ennemis que moi.
Sur les énormes tours de notre Obfervatoire
Un jour en confultant leur céleste Grimoire,
Des enfans d'Uranie un effaim curieux,
D'un tube de cent pieds braqué contre les Cieux,
Obfervait les fecrets du Monde planétaire.

Un ruftre s'écria, Ces forciers ont beau faire,
Les Aftres font pour nous, auffi-bien que pour eux.
On en peut dire autant du fecret d'ètre heureux.
Le fimple, l'ignorant, pourvû d'un inftinct fage,
En eft tout auffi près, au fond de fon village,
Que le fat important qui penfe le tenir,
Et le trifte fçavant qui croit le définir.

On dit, qu'avant la boëte apportée à Pandore,
Nous étions tous égaux; nous le fommes encore.
Avoir les mêmes droits à la félicité,

C'est pour nous la parfaite & feule égalité.

Vois-tu dans ces vallons ces efclaves champêtres,
Qui creufent ces rochers, qui vont fendre ces hêtres,
Qui détournent ces eaux, qui, la bèche à la main,
Fertilifent la terre en déchirant fon fein?
Ils ne font point formés fur le brillant modèle
De ces pafteurs galans qu'a chanté Fontenelle.
Ce n'eft point Timarette, & le tendre Tircis,
De roses couronnés, fous des myrtes affis,
Entrelaffans leurs noms fur l'écorce des chênes,
Vantant avec efprit leurs plaifirs & leurs peines:
C'est Pierrot, c'eft Colin, dont le bras vigoureux

Soulève

Soulève un char tremblant dans un foffé bourbeux.
Perrette au point du jour eft aux champs la première.
Je les vois haletans, & couverts de pouffière,
Braver dans ces travaux, chaque jour répétés,
Et le froid des Hivers, & le feu des Etés.

Ils chantent cependant; leur voix fauffe & ruftique
Gaîment de Pellegrin a détonne un vieux Cantique.
La paix, le doux fommeil, la force, la fanté,
Sont le fruit de leur peine & de leur pauvreté.
Si Colin voit Paris, ce fracas de merveilles,
Sans rien dire à fon cœur, affourdit fes oreilles
Il ne défire point ces plaifirs turbulens;
Il ne les conçoit pas; il regrette fes champs;
Dans fes champs fortunés l'amour même l'appelle :
Et tandis que Damis, courant de belle en belle,
Sous des lambris dorés, & vernis pas Martin, b
Des intrigues du tems compofant fon deftin,
Duppé par fa maîtreffe, & hai par fa femme,
Prodigue à vingt beautés fes chanfons & fa flamme,
Quitte Eglé qui l'aimait, pour Cloris qui le fuit,
Et prend pour volupté le fcandale & le bruit;
Colin, plus vigoureux, & pourtant plus fidéle,

a L'Abbé Pellegrin a fait des cantiques de dévotion fur des airs du Pont-neuf; c'est là qu'on trouve à ce qu'on dit,

Quand on a perdu Jefus-Chrift,

Revole

Adieu paniers, vendanges font faites.

Ces cantiqnes font chantés à la campagne & dans des Couvens de Province.

b Fameux verniffeur.

Revole vers Lifette en la faifon nouvelle.

Il vient, après trois mois de regrets & d'ennui,
Lui préfenter des dons auffi fimples que lui.

Il n'a point à donner ces riches bagatelles,

Qu'Hebert c vend à crédit pour tromper tant de belles.
Sans tous ces riens brillans il peut toucher un cœur ;
Il n'en a pas befoin: C'est le fard du bonheur.

L'aigle, fière & rapide, aux aîles étendues,
Suit l'objet de fa flamme, élancé dans les nuës.
Dans l'ombre des vallons le taureau bondiffant
Cherche en paix fa geniffe, & plait en mugiffant.
Au retour du printems la douce Philomèle
Attendrit par fes chants fa compagne fidèle;
Et du fein des buiffons, le moucheron léger
Se mêle en bourdonnant aux infectes de l'air.
De fon être content, qui d'entr'eux s'inquiète
S'il eft quelqu'autre efpèce, ou plus ou moins parfaite?
Et qu'importe à mon fort, à mes plaisirs présens,
Qu'il foit d'autres heureux, qu'il foit des biens plus grands?
Mais, quoi! cet indigent, ce mortel famélique,

[ocr errors]

Cet objet dégoûtant de la pitié publique,
D'un cadavre vivant traînant le refte affreux,
Refpirant pour fouffrir, eft-il un homme heureux?
Non, fans doute; & Thamas qu'un efclave déthrone,
Ce Vifir dépofé, ce Grand qu'on emprisonne,

C

Ont

c Fameux Marchand de curio- de goût, & cela feul lui avait fités à Paris. Il avait beaucoup procuré une grande fortune.

Ont-ils des jours fereins, quand ils font dans les fers?
Tout état a fes maux, tout homme a fes revers.
Moins hardi dans la paix, plus actif dans la guerre,
Charle aurait fous fes loix retenu l'Angleterre,

[ocr errors]

Et d Dufréni, plus fage & moins diffipateur
Ne fût point mort de faim, digne mort d'un Auteur.
Tout est égal enfin: la Cour a fes fatigues:
l'Eglife a fes combats: la guerre a fes intrigues:
Le mérite modefte eft fouvent obscurci.

Le malheur eft partout, mais le bonheur auffi.

Ce n'eft point la grandeur, ce n'eft point la baffeffe,
Le bien, la pauvreté, l'âge mûr, la jeuneffe,
Qui fait, ou l'infortune, ou la félicité.

Jadis le pauvre Irus, honteux & rebuté,
Contemplant de Créfus l'orgueilleuse opulence,
Murmurait hautement contre la Providence.

Que d'honneurs! difait-il; que d'éclat! que de bien !
Que Créfus eft heureux! Il a tout, & moi rien.
Comme il difait ces mots, une armée en furie
Attaque en fon palais le Tyran de Carie.
De fes vils Courtifans il eft abandonné;
Il fuit, on le pourfuit; il eft pris, enchaîné;
On pille fes tréfors, on ravit fes maîtreffes;
Il pleure; il apperçoit, au fort de fes détreffes,

& Louis XIV. difait, Il y a deux hommes que je ne pourrai jamais enrichir, Dufreni & Bontemps. Dufreni mourut dans la misère,

Irus,

après avoir diffipé de grandes richeffes. Il a laiffé de jolies Comédies.

« PrécédentContinuer »