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LETTRE

A SON ALTESSE ROYALE

MADAME

LA PRINCESSE DE ***.

S

Ouvent la plus belle Princeffe
Languit dans l'âge du bonheur;
L'étiquette de la grandeur,

Quand rien n'occupe & n'intéreffe,
Laiffe un vuide affreux dans le cœur.

Souvent même un grand Roi s'étonne,

Entouré de fujets foumis,

Que tout l'éclat de fa Couronne,
Jamais en fecret ne lui donne
Ce bonheur qu'elle avait promis.

On croirait que le jeu confole;
Mais l'ennui vient à pas comptés,
A la table d'un Cavagnole *

S'affeoir entre des Majeftés.

* Jeu à la mode à la Cour.

On

On fait triftement grande chère,
Sans dire & fans écouter rien,
Tandis que l'hébété vulgaire
Vous affiège, vous confidère,
Et croit voir le fouverain bien.

Le lendemain quand l'hémisphère
Eft brûlé des feux du Soleil,
On s'arrache au bras du sommeil,
Sans favoir ce que l'on va faire.

De foi-même peu fatisfait,

On veut du monde; il embarraffe:
Le plaifir fuit; le jour fe paffe,
Sans favoir ce que l'on a fait.

O tems, perte irréparable!
Quel est l'instant où nous vivons?
Quoi! la vie est si peu durable,
Et les jours paraitraient fi longs!

Princeffe au-deffus de votre âge,
De deux Cours augufte ornement,

Melanges &c.

L

Vous

Vous employez utilement
Ce tems qui fi rapidement
Trompe la jeuneffe volage.

Vous cultivez l'efprit charmant
Que vous a donné la nature;
Les réflexions, la lecture
En font le folide aliment,
Et fon ufage eft fa parure.

S'occuper c'eft favoir jouir.
L'oifiveté pèfe & tourmente.
L'ame eft un feu qu'il faut nourrir,
Et qui s'éteint s'il ne s'augmente.

EPITRE

CONNUE SOUS LE NOM

DES VOUS ET DES
DES TU.
P Hilis, qu'eft devenu ce tems,

Où dans un fiacre promenée,

Sans laquais, fans ajustemens,
De tes graces feules ornée,
Contente d'un mauvais foupé,
Que tu changeais en ambrofie,
Tu te livrais, dans ta folie,
A l'amant heureux & trompé,
Qui t'avait confacré fa vie?
Le Ciel ne te donnait alors
Pour tout rang & pour tous tréfors;
Que les agrémens de ton âge,
Un cœur tendre, un efprit volage,
Un fein d'albâtre, & de beaux yeux:
Avec tant d'attraits précieux,
Hélas! qui n'eût été fripanne!
Tu le fus, objet gracieux,
Et que l'amour me le pardonne,
Tu fais que je t'en aimais mieux.

Ah, Madame, que votre vie,
D'honneur aujourd'hui fi remplie,
Diffère de ces doux inftans !

Ce large Suiffe à cheveux blancs,

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Qui ment fans ceffe à votre porte,
Philis, eft l'image du tems;

Il femble qu'il chaffe l'escorte
Des tendres amours & des ris.
Sous vos magnifiques lambris
Ces enfans tremblent de paraître.
Hélas! je les ai vû jadis
Entrer chez toi par la fenêtre,
Et fe jouer dans ton taudis.

Non, Madame, tous ces tapis
Qu'a tiffus la Savonerie, a
Ceux que les Perfans ont ourdis,
Et toute votre orfévrerie,

Et ces plats fi chers que Germain b
A gravés de fa main divine;
Et ces cabinets où Martin c
A furpaffé l'art de la Chine;
Vos vafes Japonnois & blancs,
Toutes ces fragiles merveilles;
Ces deux luftres de diamans
Qui pendent à vos deux oreilles
Ces riches carcans, ces colliers
Et cette pompe enchantereffe,
Ne valent pas un des baifers
Que tu donnais dans ta jeuneffe.

a La Savonerie eft une belle manufacture de tapis établie par le grand Colbert.

LETTRE

b Germain excellent orfèvre dont il eft parlé dans le Mondain. eMartin, excellent verniffeur.

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