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des Princes est un objet peu refpectable de nos jours; mais j'efpère néanmoins, que vous ne vous laifferez pas préoccuper par des préjugés généraux, & que vous ferez une exception à la règle en ma faveur.

me croirai plus riche en poffédant vos ouvrages, que je ne le ferais par la poffeffion de tous les biens paffagers & méprifables de la fortune, qu'un même hazard fait acquérir & perdre. L'on peut fe rendre propres les premiers, s'entend vos ouvrages, moyennant le fecours de la mémoire, & ils nous durent autant qu'elle. Connaiffant le peu d'étendue de la mienne, je balance longtems avant de me déterminer fur le choix des chofes que je juge dignes d'y placer.

Si la Poëfie était encor fur le pied où elle fut autrefois, favoir que les Poëtes ne favaient que fredonner des idylles ennuyeux, des églogues faites fur un même moule, des ftances infipides, ou que tout-au-plus ils favaient monter leur lyre fur le ton d'élégie, j'y renoncerais à jamais mais vous annobliffez cet art, vous nous montrez des chemins nouveaux & des routes inconnuës aux **

& aux

Vos Poelies ont des qualités, qui les rendent refpectables, & dignes de l'admiration & de l'étude des honnêtes - gens. Elles font un cours de morale, où l'on apprend à penser & à agir. La vertu y eft peinte des plus belles couleurs. L'idée de la véritable gloire y eft déterminée, & nous infinue le gout des fciences d'une manière fi fine & fi délicate, que quiconque a lu vos ouvra

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ges refpire l'ambition de fuivre vos traces. Combien de fois ne me fuis-je pas dit, Malheureux! laiffe-là un fardeau dont le poids furpaffe tes forces; l'on ne peut imiter Voltaire, à moins que d'être Voltaire même. " C'est dans ces momens, que j'ai fenti, que les avantages de la naiffance fervent à peu de chofes, ou pour mieux dire, à rien. Ce font des diftinctions étrangères de nousmêmes, & qui ne décorent que la figure. De combien les talens de l'efprit ne leur font-ils pas préférables?

Que ne doit-on pas aux gens, que la nature a dif tingués par ce qu'elle les a fait naître? Elle fe plait à former des fujets qu'elle doue de toute la capacité néceffaire pour faire des progrès dans les Arts & les Sciences, & c'eft aux Princes à récompenfer leurs veilles. Eh! que la gloire ne fe fert-elle de moi pour couronner vos fuccès? Je ne craindrais autre chofe, finon que le pays, peu fertile en lauriers, n'en fournirait pas autant que vos ouvrages en méri tent. Si mon deftin ne me favorife pas jufques au point de pouvoir vous pofféder, du moins puis-je efpérer de voir un jour celui, que depuis fi longtems j'admire de loin, & de vous affurer de vive voix, que je fuis avec toute l'eftime & la confidération due à ceux, qui fuivant pour guide le flambeau de la vérité, confacrent leurs travaux au bien public,

MONSIEUR,

Votre - affectionné ami,
FREDERIC P. R. de Pruffe.

REPONSE

REPONSE

DE

MONSIEUR DE VOLTAIRE

A U

PRINCE ROYAL DE PRUSSE

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A Paris le 26. Août 1736.

MONSEIGNEUR,

pas

L faudrait être infenfible, pour n'ètre infiniment touché de la lettre dont V. A. R. a daigné m'honorer; mon amour-propre en a été trop flaté; mais l'amour du genre humain, que j'ai eu toujours dans le cœur, & qui, j'ofe dire, fait mon caractère, m'a donné un plaisir mille fois plus pur, quand j'ai vû, qu'il y a dans le monde un Prince, qui penfe en homme, un Prince Philofophe, qui rendra les hommes heureux.

Souffrez que je vous dife, qu'il n'y a perfonne fur la Terre, qui ne doive des actions de graces aux foins que vous prenez de cultiver, par la faine Philofophie, une ame née pour commander. Croyez, qu'il n'y a eu de vé ritablement bons Rois, que ceux qui ont commencé comme vous par s'inftruire, par connaître les hommes, par aimer le vrai, par détester la perfécution & la fuperMélanges &c. ftition.

M

ftition. Il n'y a point de Prince, qui en penfant ainfi, ne puiffe ramener l'âge d'or dans fes Etats. Pourquoi fi peu de Rois cherchent-ils cet avantage? Vous le fentez, Monfeigneur, c'eft que prefque tous fongent plus à la Royauté qu'à l'humanité. Vous faites précisément le contraire. Soyez für, que fi un jour le tumulte des affaires & la méchanceté des hommes n'altèrent point un fi divin caractère, vous ferez adoré de vos Peuples, & chéri du Monde entier: les Philofophes, dignes de ce nom, voleront dans vos Etats; & comme les Artifans célèbres viennent en foule dans le pays où leur art est le plus favorifé, les hommes qui pensent viendront entourer votre Throne.

L'illuftre Reine Chriftine quitta fon Royaume pour aller chercher les Arts. Régnez, Monfeigneur, & que les Arts viennent vous chercher.

Puitfiez-vous n'être jamais dégoûté des Sciences par les querelles des Savans! Vous voyez, Monfeigneur, par les chofes que vous daignez me mander, qu'ils font hommes pour la plupart, comme les Courtifans même; ils font quelquefois auffi avides, auffi intrigans, auffi faux, auffi cruels; & toute la différence, qui eft entre les peftes de Cour & les peftes de l'école, c'eft que ces derniers font plus ridicules.

Il est bien trifte pour l'humanité, que ceux qui fe difent les déclarateurs des Commandemens Céleftes, les interprètes de la Divinité, en un mot les Théologiens, foient quelquefois les plus dangereux de tous ; qu'il s'en

trouve d'auffi pernicieux dans la fociété, qu'obfcurs dans leurs idées, & que leur ame foit gonflée de fiel & d'orgueil, à proportion qu'elle eft vuide de vérités. Ils voudraient troubler la Terre pour un fophifme, & intéresfer tous les Rois à venger par le fer & par le feu l'honneur d'un argument in ferio ou in barbara. Tout être penfant, qui n'eft pas de leur avis, eft un Athée; & tout Roi, qui ne les favorife pas, fera damné. Vous favez, Monfeigneur, que le mieux qu'on puiffe faire, c'eft d'abandonner à eux-mêmes ces prétendus Précepteurs, & ces ennemis réels du genre humain. Leurs paroles, quand elles font négligées, fe perdent en l'air comme du vent; mais fi le poids de l'autorité s'en mêle, ce vent acquiert une force, qui renverfe quelquefois le Throne.

Je vois, Monfeigneur, avec la joie d'un coeur rempli d'amour pour le bien public, la diftance immenfe que vous mettez entre les hommes qui cherchent en paix la vérité, & ceux qui veulent faire la guerre pour des mots qu'ils n'entendent pas. Je vois, que les Newtons les Leibnitz, les Bayles, les Lockes, ces ames fi élevées & fi douces, font ceux qui nourriffent votre efprit, & que vous rejettez les autres alimens prétendus, que vous trouveriez empoisonnés, ou fans fubftance.

Je ne faurais trop remercier V. A. R. de la bonté qu'Elle a eu de m'envoyer le petit livre concernant Mr. Wolf; je regarde fes idées métaphyfiques comme des chofes qui font honneur à l'efprit humain. Ce font des éclairs au milieu d'une nuit profonde; c'est tout ce qu'on peut M 2

efpé

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