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CINQUIEME

SUR

DISCOURS

LA NATURE

DU

PLAISIR.

J Ufqu'à quand verrons-nous ce rêveur fanatique

Fermer le Ciel au Monde, & d'un ton defpotique
Damnant le Genre-humain, qu'il prétend convertir,
Nous prêcher la vertu pour la faire hair?

Sur les pas de Calvin, ce fou fombre & févère,
Croit que DIEU, comme lui, n'agit qu'avec colère.
Je croi voir d'un Tyran le Miniftre abhorré,
D'efclaves qu'il a faits triftement entouré,

Dictant d'un air hideux fes volontés finiftres.

Je cherche un Roi plus doux, & de plus doux Miniftres.
a) Timon fe croit parfait, depuis qu'il n'aime rien.
Il faut que l'on foit homme, afin d'être Chretien..
Je fuis homme, & d'un DIEU je chéris la clémence.
Mortels! venez à lui, mais par reconnaiffance.
La Nature attentive à remplir vos désirs,
Vous appelle à ce DIEU par la voix des plaifirs.

a) Cette piéce est uniquement fondée fur l'impoffibilité où eft l'homme d'avoir des fenfations par lui-même. Tout

C 2

Nul

un DIEU,

fentiment prouve un
& tout fentiment agréable
prouve un DIEU bienfaifant.

Nul encor n'a chanté fa bonté toute entière;
Par le feul mouvement il conduit la matière ;
Mais c'est par le plaifir qu'il conduit les humains.
Sentez du moins les dons prodigués par fes mains.
Tout mortel au plaifir a dû fon existence.

Par lui le corps agit, le cœur fent, l'efprit penfe.
Soit que du doux fommeil la main ferme vos yeux,
Soit que le jour pour vous vienne embellir les Cieux,
Soit que vos fens flétris cherchant leur nourriture,
L'aiguillon de la faim preffe en vous la nature,

Ou que l'amour vous force, en des momens plus doux,
A produire un autre être, à revivre après vous;
Partout d'un DIEU clément la bonté falutaire
Attache à vos befoins un plaifir néceffaire.

Les mortels en un mot n'ont point d'autre moteur.
Sans l'attrait du plaifir, fans ce charme vainqueur,
Qui des Loix de l'hymen eût fubi l'esclavage?
Quelle beauté jamais aurait eu le courage

De porter un enfant dans fon fein renfermé,
Qui déchire en naiffant les flancs qui l'ont formé ?
De conduire avec crainte une enfance imbécille,
Et d'un âge fougueux l'imprudence indocile?

Ah! dans tous vos états, en tout tems, en tout lieu,
Mortels, à vos plaisirs reconnaiffez un DIEU.
Que dis-je? à vos plaifirs! C'eft à la douleur même
Que je connais de DIEU la fageffe fuprême.
Ce fentiment fi prompt dans nos corps répandu,

Parmi tous nos dangers fentinelle affidu,
D'une voix falutaire inceffamment nous crie:
Ménagez, défendez, confervez votre vie.

Chez de fombres dévots l'amour propre eft damné
C'est l'ennemi de l'homme, aux Enfers il est né.
Vous vous trompez, ingrats, c'eft un don de DIEU même.
Tout amour vient du Ciel; DIEU nous chérit, il s'aime.
Nous nous aimons dans nous, dans nos biens, dans nos fils,
Dans nos concitoyens, furtout dans nos amis.

Cet amour néceffaire eft l'ame de notre ame;
Notre efprit eft porté fur ces ailes de flame.
Oui, pour nous élever aux grandes actions,
DIEU nous a par bonté donné les paffions. b

b Comme presque tous les mots d'une Langue peuvent être entendus en plus d'un fens, il eft bon d'avertir ici, qu'on entend par le mot paffions, des défirs vifs & continués de quel que bien que ce puiffe être. Ce mot vient de patir, fouffrir, parce qu'il n'y a aucun défir fans fouffrance; défirer un bien, c'eft foufrir l'abfence de ce bien, c'eft patir, c'eft avoir une paffion; & le premier pas vers le plaifir eft effentiellement un foulagement de cette fouffrance. Les vicicux & les gens de bien ont tous également de ces défirs vifs & continus, appellés Paffions, qui ne deviennent des vices que

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par leur objet; le défir de réuffir dans fon art, Famour coujugal, l'amour paternel, le goût des fciences, font des paffions qui n'ont rien de criminel. Il ferait à fouhaiter que les Langues euffent des mots pour exprimer les défirs habituels qui en foi font indifférens, ceux qui font vertueux, ceux qui font coupa bles; mais il n'y a aucune Langue au Monde, qui ait des fignes représentatifs de chacune de nos idées, & on eft obligé de fe fervir du même mot dans une acception différente, à-peu-près comme on fe fert quelquefois du même inftrument pour des ouvrages de différente nature,

Tout dangereux qu'il eft, c'eft un préfent céleste;
L'ufage en eft heureux, fi l'abus eft funefte.

J'admire & ne plains point un cœur maître de foi,
Qui tenant fes défirs enchaînés fous fa loi,
S'arrache au Genre-humain pour DIEU qui nous fit naître,.
Se plait à l'éviter plutôt qu'à le connaître;
Et brûlant pour fon DIEU d'un amour dévorant,
Fuit les plaifirs permis, par un plaifir plus grand.
Mais que fier de fes croix, vain de fes abftinences,
Et furtout en fecret laffé de fes fouffrances,
Il condamne dans nous tout ce qu'il a quitté,
L'hymen, le nom de père, & la fociété ;
On voit de cet orgueil la vanité profonde;
C'eft moins l'ami de DIEU que l'ennemi du Monde ;
On lit dans fes chagrins les regrets des plaifirs.
Le Ciel nous fit un cœur, il lui faut des défirs.
Des Stoïques nouveaux le ridicule maître
Prétend m'ôter à moi, me priver de mon être.
DIEU, fi nous l'en croyons, ferait fervi par nous,
Ainfi qu'en fon Serrail un Mufulman jaloux,
Qui n'admet près de lui que ces monftres d'Afie,
Que le fer a privés des fources de la vie c).

Vous, qui vous élevez contre l'humanité,
N'avez-vous lu jamais la docte Antiquité?

Ne

c) Cela ne regarde que les efprits outrés, qui veulent ôter à l'homme tous les fentimens.

Ne connaiffez-vous point les filles de Pélie?
Dans leur aveuglement voyez votre folie.
Elles croyaient dompter la Nature & le tems,
Et rendre leur vieux père à la fleur de fes ans:
Leurs mains par piété dans fon fein fe plongèrent,
Croyant le rajeunir, fes filles l'égorgèrent.

Voilà votre portrait, Stoïques abusés ;

Vous voulez changer l'homme, & vous le détruisez.
Ufez, n'abufez point; le Sage ainfi l'ordonne.
Je fuis également Epictete & Pétrone.

L'abftinence ou l'excès ne fit jamais d'heureux.
Je ne conclus donc pas, orateur dangereux,
Qu'il faut lâcher la bride aux paffions humaines;
De ce courfier fougueux je veux tenir les rênes;
Je veux, que ce torrent, par un heureux fecours,
Sans inonder mes champs, les abreuve en fon cours.
Vents, épurez les airs, & foufflez fans tempêtes;
Soleil, fans nous brûler, marche & luis fur nos tètes.
DIEU des êtres penfans, DIEU des cœurs fortunés,
Confervez les défirs que vous m'avez donnés
Ce goût de l'amitié, cette ardeur pour l'étude,
Cet amour des beaux Arts & de la folitude.
Voilà mes paffions; mon ame en tous les tems
Goûta de leurs attraits les plaisirs confolans.
Quand fur les bords du Mein deux écumeurs barbares
Des loix des Nations violateurs avares,

Deux fripons à brevet, brigands accrédités,
Equifaient contre moi leurs lâches cruautés,

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