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ou huict charges n'ayant pu faire plier cette infanterie espagnole, elle sembloit capable de faire douter encore de l'événement de cette bataille après deux heures de résistance; mais enfin, l'infanterie de l'aile droite françoise donnant d'un costé et toute la cavalerie d'un autre, pendant que le baron de Syrop combattoit en front, la chaleur des Espagnols se trouva tellement refroidie que, ne combattans plus avec vigueur, ils s'abandonnèrent à la fureur de leurs ennemis, lesquels, usans de l'occasion qu'ils avoient, les chassèrent avec une fureur estrange, après avoir recous le sieur de la Ferté-Seneterre, qu'ils mirent entre les mains de bons chirurgiens.

Les armées estoient grandes, le choc avoit esté furieux, la résistance des uns et des autres bien peu croyable; l'eschec fut aussi merveilleux. Le nombre des morts espagnols alla bien jusqu'à six mille; celuy des prisonniers fut de cinq mille sept cent trente-sept; le butin des François fut le bagage de toute l'armée, vingt pièces de canons, cent soixante et douze drapeaux, quatorze cornettes et deux guidons qui furent portés à Sa Majesté par le sieur de Chevers. Mais ils perdirent deux mille hommes, parmy lesquels se trouvèrent dix-huict capitaines ou lieutenans. Pour le nombre des blessez, il y fut grand, et peu de personnes de commandement s'exemptèrent des marques honorables que l'on rapporte ordinairement d'une bataille bien disputée. Le duc d'Enguyen y receut mesme cinq coups de mousquet; deux portèrent dessus la cuirasse, qu'ils n'eurent pas la force d'ouvrir; deux autres, donnant dans le ventre de son cheval, l'obligèrent d'en prendre un autre; le cinquiesme, n'ayant fait qu'effleurer sa jambe, ne luy laissa qu'une meurtrisseure qui ne l'em

pescha pas d'aller à la chasse de ceux qui fuyoient. Le comte de Fontaine, général des armées du Roy d'Espagne dans le Pays-Bas, dom Antoine de Velandia, les comtes de Villalva, le chevalier Visconti et le baron d'Ambrise, mestre-de-camp, furent les principaux qui se trouvèrent au nombre des morts espagnols.

RÉVOLTE

DES CROQUANS DE ROUERGUE (4) ·

EXPLOITS DU DUC DE BREZÉ.

Il y a des hommes qui deviennent sages par l'exemple des chastimens, il s'en trouve aussi qui les méprisent et qui n'en sont touchez que légèrement. Les mutins soulevez dans la Normandie en 1639 avoient esté chastiez assez rudement pour retenir dans leur devoir tous ceux qui se voudroient porter à quelque insolence; les Croquans de Rouergue ne firent pas toutefois leur profit de cette justice exemplaire; ils se révoltèrent, et, pour donner quelque prétexte à cette rébellion, alléguèrent qu'il n'estoit pas en leur puissance de payer les droits à Sa Majesté. Leur désobéissance commença par le murils luy donnèrent cours par des assemblées ou

mure;

(1) Extraits du Mercure, 1. 25.

vertes, prirent les armes, et, ayans découvert que le comte de Noailles, leur gouverneur, avoit mis ses amis à cheval pour donner quelque bride à leurs mouvemens, ils firent un gros de sept mille hommes pour aller fortifier ceux qu'une mesme chaleur avoit élevez dans Ville-Franche, capitale de la province. En effect, leur fougue les ayant poussez jusques aux murailles de cette ville, où le comte de Noailles s'estoit rendu pour appaiser la sédition, ils se saisirent des faux-bourgs, firent des barricades devant toutes les portes de la ville, establirent cent hommes à chaque barricade pour empescher les sorties ou les surprises, percèrent toutes les maisons de ces faux-bourgs, afin qu'ils fussent mieux disposez au secours de ceux que les attaqueroient; pillèrent environ cent maisons, dont ils envoyèrent les dépouilles au chasteau de Négeac, qui tenoit pour eux; se présentèrent devant Rodez, d'où ils furent chassez par les habitans; firent amener de Négeac un canon pour fortifier la principale de leurs barricades de VilleFranche, et ainsi assiégèrent le comte de Noailles dans la capitale de son gouvernement.

Cette mutinerie ne s'estant pu faire qu'avec grand éclat, ceux qui se trouvoient intéressez par le sang ou par le zèle du service de Sa Majesté firent de grands efforts pour arrester ce torrent avant qu'il eût plus de cours et de violence. Le sieur de la Terrière, intendant de la justice, police et finance, en Guyenne, fut le premier en campagne pour appaiser cette sédition mesme dès sa naissance. L'évesque de Sainct-Flour, frère de ce comte, fut le second, et le comte de Langeron le troisième. Le premier, ne s'estant pas contenté d'avertir Leurs Majestés d'un si grand désordre, mit sous les armes huict cens hommes de pied, partie tirez de Mon

tauban, partie tirez de l'Albigeois et du Quercy; le second partit d'Auvergne avec cinq cens chevaux pour joindre ces trouppes, et le dernier y mena deux cens quarante carrabins avec deux cens hommes du régiment de Tavanes; ce qui donnant une mortelle frayeur à tous ces Croquans, qui n'estoient appuyez que de quelques gentils-hommes particuliers, ils quittèrent le dessein, qu'ils avoient dessus Ville-Franche, et gagnèrent quelques maisons fortes dont ils s'estoient emparez pendant leur révolte; de sorte que le comte de Noailles, celuy de Caylus, le baron d'Entragues, les sieurs de SainctLaurens, Saissac et autres, enfermez dedans VilleFranche, furent délivrez dans le mesme temps qu'ils commençoient à redouter beaucoup de la famine. Petit et la Paille, deux des principaux factieux, furent suppliciez exemplairement; les comtes de Noailles et de Langeron partirent le lendemain à la teste de toutes leurs trouppes pour suivre ces Croquans à Négeac, la plus considérable place de celles où ils avoient choisi leur retraite.

Pendant que l'on estoit occupé à esteindre ce grand brasier, le duc de Brezé rendoit les armes du Roy presqu'autant redoutables sur l'Océan qu'elles l'avoient esté devant Thionville et Rocroy. L'armée navale qu'il commandoit, composée de vingt navires de guerre, deux frégates et douze bruslots, estant partie de Barcelonne le 19 d'aoust à dessein de visiter toutes les costes d'Espagne, et mesme de donner jusques au cap de Sainct-Vincent, si elle ne pouvoit rencontrer celle des ennemis dans les ports plus proches, elle courut sans aucun fruict à la veue de Terragone, de Bineros et des Alfages; ce qui donnant quelque déplaisir à ce général, il commanda quatre navires sous la conduite du sieur

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