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de banque, ou à la caisse des dépôts et consignations, une somme de 4,000 fr,, pour prendre au pair de 100 fr., dans l'emprunt, une inscription de 200 fr. de rente cinq pour cent.

La souscription s'ouvrait dès ce moment chez divers banquiers. L'auteur du plan donnait l'exemple, en s'inscrivant sur la liste pour 200 fr. de rente, au capital de 4,000 fr. Il était bien entendu que les souscriptions ne seraient obligations que si la totalité de l'emprunt se remplissait.

L'idée de cette souscription fut vivement accueillie. Le ministère s'en empara comme d'un moyen d'agir sur l'esprit public, de déconsidérer l'association nationale, dont les progrès l'irritaient toujours. En deux jours la souscription s'organisa : les signatures se multiplièrent; celle du maréchal Jourdan figurait en tête. Le Moniteur et les autres journaux ministériels en publièrent une liste chaque matin : des noms de pairs de France, de députés, de magistrats, s'y mêlaient à ceux de fonctionnaires, de négociants, de propriétaires. Bientôt la souscription s'étendit en province, et les listes départementales vinrent se grouper autour des listes de Paris.

Cependant, malgré les encouragements prodigués à cet élan de patriotisme, dans l'état des esprits et des fortunes, après une secousse terrible, dont l'ébranlement se faisait sentir encore en présence d'un avenir incertain, il semblait peu probable que la souscription atteignit son but. Le ministre des finances, 'que pressaient d'impérieuses nécessités, se vit donc forcé de recourir aux voies et moyens ordinaires. L'adjudication de l'emprunt fut indiquée au 19 avril : il ne se présenta qu'une seule compagnie, formée de toutes les notabilités financières de la capitale. Cette compagnie offrit 82 fr. 10 cent., et le minimum, fixé par le ministre, étant de 84 fr., l'emprunt ne fut pas adjugé mais le jour même, la compagnie déclara qu'elle acceptait l'emprunt au taux du minimum, et une ordonnance royale autorisa cette négociation. Deux journaux l'attaquèrent, et soutinrent que le ministre avait compromis sa responsabilité en signant une négociation qu'ils qualifiaient d'illégale, de sub

versive de tous les principes, de toutes les garanties financières, et de contraire aux intérêts de l'État : le Moniteur défendit l'emprunt, en alléguant qu'il avait été contracté suivant les formes usitées depuis 1821, avec publicité et concurrence.

«Quant aux conditions de la négociation, ajoutait le Moniateur, elles se justifient par elles-mêmes. Hier tout le monde approuvait le ministre d'avoir fixé son minimum à 84 fr.; il y aurait contradiction à le blâmer aujourd'hui d'avoir accepté une offre égale à ce minimum, c'est-à-dire d'avoir réussi. «Sans doute il ne faut pas mesurer la valeur de nos rentes sur le cours il y a quinze jours; mais si la compagnie et le ministre avaient pris ce cours pour mesure, à quel taux pense-t-on «que l'emprunt aurait été négocié? Le 2 avril, le cinq pour cent «valait à la Bourse 75 fr.»

L'emprunt une fois réalisé, la souscription devait sembler superflue : un avis émané du ministère combattit cette opinion.

La souscription nationale continua donc concurremment avec l'emprunt; mais on conçoit que son essor dut être sensiblement ralenti. Au mois de juin, le Moniteur en publia le bordereau total. D'après les relevés faits au ministère des finances, les souscriptions s'élevaient à 20, 540,000 francs.

Un mois environ s'était écoulé sans que la tranquillité de la capitale fût troublée par des désordres et des excès graves. Mais vers l'époque où l'emprunt de 120 millions devait être négocié, à l'occasion d'un procès de complot tendant au renversement du gouvernement, dans lequel le jury avait absous tous les accusés, des symptômes d'émeute se manifestèrent (15 avril). Dans le cours de la journée, des démonstrations furent essayées en faveur des individus acquittés. Plus tard, des rassemblements se formèrent sur divers points. Les invitations des magistrats municipaux suffirent pour déblayer, sans qu'on fût obligé de recourir à la force, la place du Châtelet, le Pont-auChange et lè quai aux Fleurs; quelques arrestations eurent lieu. Un groupe de jeunes gens se retira du côté du Panthéon, signalant son passage par quelques clameurs et brisant des réverbères.

Le lendemain (16 avril ), dès l'heure de midi, un rassemblement assez nombreux occupa, comme la veille, la place du Châtelet. Vers deux heures, on vit cinq à six cents hommes s'en détacher pour se diriger sur le quartier Saint-Jacques. La garde municipale se mit en devoir de les repousser, et en effet elle dispersa les attroupements qui s'étaient portés vers les ponts au Change et Saint-Michel. La tranquillité parut se rétablir jusqu'à six heures environ. Dans cet intervalle de temps, des émissaires essayaient des séductions et répandaient de fausses alarmes dans les faubourgs. Des rassemblements se formèrent aussi à la porte Saint-Martin, à la porte Saint-Denis; ils se disşipèrent devant la garde nationale.

A six heures, une foule considérable, grossie par la curiosité, encombra les quais voisins du point central de l'attroupement. Mais le gouvernement avait pris ses mesures; par une décision expresse du conseil, le ministre de la guerre avait donné ordre au lieutenant-général commandant la première division militaire de mettre à la disposition du comte Lobau les troupes de la garnison de Paris qui pouvaient concourir avec la garde nationale au rétablissement de l'ordre. Tous les maires avaient été avertis de se rendre au quartier-général, tandis qu'un de leurs adjoints restait en permanence à la municipalité. Des commissaires de police, décorés de leur écharpe, étaient montés à cheval pour faire les sommations voulues. Après des invitations adressées aux personnes qui se tenaient le plus en avant, des sommations à son de trompe furent faites, auxquelles on ne répondit que par de nouvelles provocations. Alors la garde nationale, la cavalerie et l'infanterie de la ligne se mirent en mouvement, poussant devant elles les groupes, qui opposaient de la résistance, et d'où partaient à la fois des cris insultants et des pierres. Les ponts et les quais furent balayés promptement: quelques hommes avaient paru se diriger vers le Palais-Royal; mais sans doute ils renoncèrent à ce projet, en apprenant qu'on y avait réuni des forces imposantes.

La journée du dimanche ( 17 avril ), commencée par une

revue que passa le roi, s'acheva dans un calme parfait. Un seul rassemblement inoffensif s'était formé sur les ponts et les quais la présence des troupes et les invitations des magistrats suffireut pour le dissiper.

Pour la première fois, le nouveau ministère s'était trouvé en face d'une émeute, et dans la combinaison des moyens qu'il employa, on vit qu'il tenait à prouver que son système ne s'appliquait pas moins à la répression d'un désordre partiel qu'à la direction politique d'un gouvernement.

Ce sytème eut bientôt encore l'occasion de se développer. Des vœux avaient été exprimés, et des propositions faites pour le rétablissement de la statue de Napoléon sur la colonue de la place Vendôme. M. Casimir Périer soumit un rapport au roi, et d'après ce rapport, une ordonnance tendant au rétablissement fut rendue le 8 avril.

Entre cette époque et celle de l'anniversaire de la mort de Napoléon ( 5 mai) se trouvait la fête du roi (1or mai), dont aucun désordre ne troubla la célébration.

Dès la veille du 5 mai, la mémoire de Napoléon avait reçu des hommages funèbres : on était venu dire des prières au pied de la colonne. Le matin de l'anniversaire, une foule de personnes apportèrent des couronnes d'immortelles et de laurier pour les suspendre au monument. Un piquet de gardes nationaux empêchait qu'on ne dépassat la grille d'enceinte : eux-mêmes se chargèrent de déposer les tributs de douleur et de regret.

La place Vendôme ne tarda pas à devenir le théâtre de scènes d'un tout autre caractère, et voici à quel sujet.

Il s'agissait de remettre aux citoyens qui s'étaient distingués dans les journées de juillet la décoration instituée par la loi du ∙13 décembre 1830 sur les récompenses nationales. Déjà de longues discussions s'étaient élevées sur la forme de cette décóration et sur la couleur du ruban. Dans un rapport au roi, M. Casimir Périer proposa de décider que la solennité de la remise des croix et des médailles aurait lieu en présence de Sa Majesté, à l'hôtel des Invalides, au milieu des souvenirs et des

trophées de la vieille gloire française. D'après l'ordonnance rendue sur ce rapport ( 30 avril ), la croix de juillet devait consister en une étoile à trois branches : le centre de l'étoile porterait à la face: 27, 28 juillet 1830, et pour légende: donné par le roi des Français. Les citoyens décorés de la croix de juillet devaient prêter serment de fidélité au roi des Français, et d'obéissance à la charte constitutionnelle et aux lois du royaume. L'ordonnance était suivie d'un état nominatif des citoyens auxquels cette croix était décernée.

Deux dispositions de l'ordonnance, celles relatives à la légende et au serment, furent vivement contestées, et fournirent le texte d'une ardente polémique. Quant à la légende, on soutenait que les mots : donné par le roi supposaient à Louis Philippe un droit et un pouvoir qu'il n'avait pas, et changeaient une faveur nationale en faveur royale: les faits à raison desquels la décoration avait été instituée étaient d'ailleurs antérieurs à l'existence du gouvernement du roi. Quant au serment, on objectait qu'il ne pouvait être exigé que par une loi, et qu'il ne l'était par aucun article de la loi du 13 décembre 1830. Le ministère répondait que la légende n'avait pour but que de constater un fait, savoir, que les décorations avaient été données, remises par le roi lui-même, et que si le serment n'était pas écrit dans la loi, il avait dû se produire comme conséquence naturelle dans la pensée du législateur; car il était impossible de concevoir dans l'État une anomalie semblable à celle d'une classe de citoyens spécialement protégés dans la jouissance d'une prérogative par les tribunaux, par la force publique et par les lois, qui ne prêteraient pas d'abord à ces lois, et au chef suprême chargé de leur exécution, le serment de fidélité et d'obéissance.

Une pétition fut adressée au roi pour protester contre la couleur du ruban, la légende et le serment. En attendant, un grand nombre des citoyens portés sur l'état nominatif s'étaient eux-mêmes décorés du ruban, sinon de la croix : un procès en cour d'assises fut intenté à l'un d'eux, que le jury acquitta (6 mai). Le lendemain, une assemblée générale des

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