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naturé l'esprit et l'économie (28 février.). Dans cet état de choses, M. Laffitte, comme pour avouer sa défaite, ne reporta point la loi à la Chambre des députés : la longue et délicate discussion qu'elle avait provoquée demeura sans résultat. l'amortisseDeux années devaient s'écouler encore avant que ment fût reconstitué et reçût de la législature une organisation fixe et durable.

11 janvier. Au milieu de sa délibération sur le projet de loi dont nous venons d'indiquer le sort, la Chambre des députés entendit quelques rapports de pétitions. L'heure était déjà fort avancée lorsque M. Etienne, second rapporteur, proposa de passer à l'ordre du jour sur la pétition d'un sieur Laporte, homme de loi à Mons, exprimant des vœux pour la réunion de la Belgique à la France. L'honorable rapporteur se fondait sur ce que la nation belge ayant librement déterminé la forme de son gouvernement, et son indépendance étant reconnue, il ne semblait ni opportun ni convenable que la Chambre prit l'initiative relativement à une mesure qui n'était nullement de son domaine, et qu'il ne lui appartenait pas de provoquer.

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Aussitôt M. le général Lamarque monta à la tribune:

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Messieurs, dit-il, si, dans une des dernières sessions, un ministre dépositaire de la confiance de Charles X, fût monté à cette tribune et nous eût dit: Quelques rebelles espagnols ont voulu reconquérir leur patrie, d'où les avait expulsés l'intervention française; mais nous les avons éloignés des frontières, et des gendarmes surveillent leurs chefs: La Belgique a brisé les liens qui l'enchaînaient à la Hollande; branche violemment séparée de notre tronc social; elle voulait s'y rejoindre, elle nous offrait la ceinture de places fortes que la sainte alliance a mise autour de nous; ⚫ mais nous avons rejeté ses offres et oublié jusqu'aux noms si retentissants de Fleurus et de Jemmapes: La généreuse Pologne s'est lassée du régime du knout; réclamant sa nationalité si solennellement promise au congrès de Vienne, et dont toutes les puissances étaient les garants, elle tend ses bras supliants vers la France, la France son antique alliée; mais nous étoufferons nos affections, nous ferons taire nos souvenirs historiques et les flots de l'Elster qui murmurent encore le nom de Po« niatowski; elle s'est écriée : La liberté ou la mort! et nous lui répondrons, MEURS, et Prague et Varsovie verront un second Souvarow!»

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A ces mots, de bruyantes acclamations se seraient soudain élevées de ce côté de la chambre, qui aurait applaudi à cet immense holocauste des amis de la liberté; et nous, silencieux, désespérés, nous aurions reconnu que ce ministre de Charles X était fidèle à ses antécédents, consé

quent aux principes de son gouvernement, à ses intérêts et à ses sen

timents.

Messieurs, ne s'est-il donc rien passé en France depuis 1829? La coalition règne-t-elle encore sous le nom du prince qu'elle nous avait imposé? Le peuple n'a-t-il pas ressaisi ses droits et fait expier en trois jours quinze années de honte et d'oppression?....... Pourquoi donc, quand tout est changé autour de nous, le langage du gouvernement ne changet-il pas ? Pourquoi les principes politiques qui réglaient la conduite des Finistres de Charles X sont-ils encore suivis par les ministres de Philippe?

Loin, bien loin de moi, la pensée d'accuser leur patriotisme et d'élever le doute le plus léger sur leurs intentions. Comme nous, ils veulent que la France soit libre et prospère au dedans, puissante et considérée au dehors; ils voudraient comme nous effacer les traces de ses malheurs: mais, arrivés trop tard au pouvoir, ils n'osent pas détourner le char de l'État de la fatale ornière où l'avaient engagé leurs prédécesseurs, et ces prédécesseurs avaient agi comme s'ils avaient été successeurs naturels de leurs devanciers, comme si le principe de notre gouvernement n'était pas complétement changé faibles et confiants, ils ont cru que quelques ligues autographes enchaineraient les souverains, et qu'à leurs yeux Philippe cesserait d'être un usurpateur, et notre révolution une rébellion! ils ont cru qu'en abandonnant les peuples nous légitimerions notre cause aux yeux des rois, et ils n'ont pas vu que cet égoïsme étroit, qui nous empêchait de profiter du présent, créait un avenir chargé d'orages. »

L'orateur, prenant à témoin les menaces de la Prusse et la réunion de ses troupes, le langage arrogant de la Russie et la marche de ses armées à la nouvelle de notre révolution, soutenait que, sans le soulèvement des Belges et l'insurrection de la Pologne, la France aurait eu déjà la guerre; que la lutte existait entre deux principes, celui de la légitimité et celui de la souveraineté des nations, et que, après avoir sacrifié amis, intérêts et dignité, on n'obtiendrait qu'une trève, dont les rois fixeraient eux-mêmes le terme.

• Quand l'esprit public, ajoutait l'honorable général, sera tout-à-fait éteint parmi nous, quand le sol qu'ébranlaient sous leurs pas les soudaines et sympathiques commotions de la France se sera raffermi, ils se présenteront avec le poids de leurs forces matérielles, et vous n'aurez plus, vous, de force morale à leur opposer; car les peuples, indignés de votre cruel abandon, ne répondront pas à l'appel que vous voudrez leur faire, et trop tard vous vous accuserez de n'avoir pas profité de ces circonstances fugitives que la providence accorde aux nations comme aux individus, et qui ne renaissent plus quand on n'a pas su les

saisir.

les

. Mais, vont me dire les ministres, les rois seront enchaînés par traités et liés par leurs promesses. Par leurs promesses! Lorsque, vaincu par les éléments, Napoléon eut repassé le Rhin, que proclamaient à la face du monde les puissances coalisées? Elles voulaient, disaient-elles, que la France fût grande et forte; il le fallait pour la

balance de l'Europe, il le fallait pour honorer la victoire par la justice et la modération; mais quand la nation, trompée, eut séparé sa cause de celle de Napoléon, l'esprit de la coalition se développa sans crainte; Metternich insista pour qu'on changeât en position dé fensive notre position offensive, pour que Landau, livré aux Allemands, les dédommageât de la destruction de Philisbourg; pour que Strasbourg, trop menaçant, fût réduit à sa citadelle; allant plus loin, et peut-être son organe secret, le ministre des Pays-Bas disait que la prescription était un droit civil et non un droit naturel; qu'on pou vait, qu'on devait donc nous éloigner du Rhin et nous enlever l'Alsace, qui n'était pas une province française. Sans la Russie, cet étrange argument eût prévalu; et c'est ainsi, après tant de promesses, qu'on nous imposa cette paix qui mutilait notre territoire, qui nous déshéritait de nos places fortes et ouvrait les avenues de notre capitale; cette paix honteuse que, en présence des princes qui 'avaient signée, et bravant leur courroux, j'osai appeler une halte dans la boue.

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Et c'est pour continuer cette halte, pour rester dans ce déplorable statu' quo, que nous repoussons les Belges et que nous fermons l'oreille aux cris de ces Polonais dont les ossements se sont mêlés aux nôtres sur tant de champs de bataille! (Mouvemens aux centres, approbation à gauche.) C'est pour ce statu quo que notre ministre des relations extérieures aurait tenu l'étrange langage que lui prêtent les envoyés Belges, et que je ne rappelle ici que pour lui fournir l'occasion solennelle de le démentir. Non, il n'a pas dit: Que nous refusions la Belgique, parce que l'Angleterre n'y consentirait pas. » Nous consentons bien, nous à ce qu'elle soit riche de nos dépouilles et de celles de la Hollande, à ce qu'elle opprime cent millions d'Indiens, à ce qu'elle soit maitresse, sans rivale, de la Méditerranée, à ce qu'elle occupe les points les plus importants du globe, d'Héligoland à Singapour, des mers du nord aux mers de la Chine! Et elle ne consentirait pas à nous voir sortir du cercie de fer que la coalition a tracé autour de nous! Mais le beffroi de Notre-Dame a sonné, le 29 juillet, l'heure de notre délivrance! Mais le canon de Paris a fait taire celui de Waterloo! Que dis-je! les liens de vasselage étaient déjà rompus; car il eut quelque patriotisme, ce ministre qui expie dans les fers ses attentats contre la liberté ; et c'est sans le consentement de l'Angleterre, c'est en bravant avec fierté les menaces du cabinet de Saint-James, qu'il fit la conquête d'Alger et conserva sa conquête. »

L'orateur établissait ensuite que les combinaisons proposées, loin de dédommager la France du refus qu'on se permettait en son nom, empiraient au contraire sa situation, et la ramenaient au traité des barrières; que, en donnant à la Belgiqué un prince allemand, on nous rejetait plus d'un siècle en arrière, et que la confédération germanique, passant la Meuse comme elle avait passé le Rhin, allait peser sur nous de tout le poids de l'Allemagne. Il ajoutait que la timide circonspection du minis

tère était encore plus fatale au roi des Français qu'à la France elle-même; que la gloire faisait pousser des racines si profondes à une nouvelle dynastie, qu'il serait peut-être politique de la chercher, sans motifs: comment donc la repousser quand l'humanité, quand la justice le commandent?

• Messieurs, disait-il en terminant, mes paroles vous paraîtront sẻvères et mes prévisions importunes. Aussi ne suis-je monté à cette tribune que subjugué par une conviction profonde, et pour obéir à un devoir plus puissant que ma volonté. Ce n'est pas, croyez-le bien, un militaire amoureux de nouveaux hasards qui vous parle (les revers publics et les infortunes particulières n'ont que trop détruit de vaines illusions), mais un citoyen pénétré des dangers qui nous menacent. Que les ministres n'en dé. tournent donc pas les yeux; qu'ils songent à l'immense responsabilité qui pèse sur eux, et qu'un jour perdu peut perdre la patrie : et nous, que divi sent quelques opinions, mais que réunissent les mêmes sentiments, secon dons-les de tous nos efforts; engageons-res à ne pas oublier le principe de notre révolution, et disons-leur qu'ils sont forts de la force de toute la France, et que cette France est prête à tous les sacrifices pour assurer sa liberté, son indépendance, et reprendre le rang qu'elle doit tenir parmi les nations. Je vote pour le renvoi..

Plusieurs passages de cette harangue véhémente avaient excité les murmures et les réclamations d'une grande partie de l'assemblée. « Vous bouleversez la France!» s'était écrié M, Duvergier de Hauranne lorsque l'orateur parlait du langage qu'aurait tenu le ministre des affaires étrangères aux envoyés belges. Après une assez longue interruption, M. le général Sébastiani prononça ce peu de paroles :

La Chambre trouverait sans doute bien imprudent le ministre qui viendrait traiter la question de paix et de guerre à l'occasion d'une pétition, ou qui vous entretiendrait de la Belgique et de la Pologne lorsque des négociations existent, et que le sort de l'Europe dépend peut-être de ces négociations. On m'a prêté un langage indigne d'un ministre du roi; on a fait plus, on s'est élevé jusqu'à cette personne auguste pour lui prêter aussi un langage qui n'a jamais été dans sa pensée ni dans ses hauts sentiments. Quant à moi, Messieurs, quant au ministère dont j'ai l'honneur de faire partie, il ne décline la responsabilité ni de ses actes, ni de ses paroles, ni même de son silence. »

Cette courte réponse fut accueillie avec faveur. C'est alors que M. Casimir Périer, président de la Chambre, ayant prié M. Delessert, vice-président, de le remplacer au Fauteuil, monta à la tribune :

Messieurs, dit-il, la confiance que vous m'avez accordée en m'appelant à l'honneur de vous présider ne me permet pas de laisser planer aucun soupçon sur le ministère dont j'ai fait partie. M. le général Lamarque, si je ne me suis trompé, accuse les ministres actuels de suivre une politique contraire aux intérêts de la France. Il a cependant rendu justice à leurs intentions. Il n'en est pas de même de leurs prédécesseurs, qu'il semblait associer par ses paroles à une politique coupable: c'est sur ces paroles que je prie l'orateur de s'expliquer.... Je déclare que je me suis associé aux actes de ce ministère jusqu'à ce que j'en sois sorti ; que si quelqu'un de ses membres est coupable, je le suis aussi. J'espère que M. Lamarque viendra donner des explications, et ne nous laissera pas sous le poids d'une accusation vague, à laquelle on ne peut répondre.

M. le général Lamarque répliqua súr-le-champ, que si daus l'improvisation quelque expression blessante lui était échappée, il s'empressait de la désavouer; que personne n'avait plus que lui d'estime, de considération et même d'attachement pour les membres de l'ancien ministère :

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Je rends à leurs intentions, ajoutait-il, le même témoignage qu'à celles du ministère actuel; mais je crois qu'ils ont erré dans leur route: ils n'ont pas suivi assez franchement le mouvement qui s'est manifesté à Paris. Ils ont cru qu'on pouvait regarder Louis-Philippe presque comme légitime; ils ont tenu à cette quasi-légitimité, dont l'opinion publique a été tout-à-fait choquée : je crois que c'est une erreur complète.

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Au' mot de quasi-légitimité, M. Guizot avait réclamé la parole, et remplaçant le général Lamarque à la tribune, il demanda la permission de justifier en peu de mots la politiqne du dernier ministère.

L'honorable général vous a rappelé ce qui aurait pu être dit dans cette enceinte par les ministres de Charles X, avant la révolution d'août, à l'occasion de la Belgique et de la Pologne; après cela, il vous a demandé s'il n'était pas vrai que rien n'était changé aujourd'hui, si ce n'était pas le même langage que vous entendiez à cette tribune, si ce n'était pas Ja même conduite que tenait le ministère. Ce quil y a de changé, Messieurs, il est facile de le découvrir: c'est l'état de la France, de la Belgique, de la Suisse, l'état de la Pologne; voilà ce qui est changé, voilà les faits qui se sont accomplis depuis la révolution d'août. Elle a, comme on le lui demande de toutes parts, porté des fruits hors du territoire de la France comme en France; c'est la révolution du mois d'août qui a donné à l'Europe ce mouvement auquel l'Europe est près de se laisser emporter; c'est la révolution du mois d'août qui a fait ce que vous voyez en Suisse, en Belgique, en Pologne.

Certes, Messieurs, il y a là, ce me semble, quelque chose de changé, quelque chose de très considérable, et qui prouve que tout n'est pas aujourd'hui comme sous les ministres de Charles X. La révolution du mois d'août, une fois accomplie, n'a pu ignorer qu'elle se trouverait bientôt en

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