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présence de tels faits, en présence de cet ébranlement général de l'Europe, et qu'elle aurait une conduite difficile à tenir. Elle s'est trouvée dans Fobligation d'avouer, de proclamer, de défendre partout son propre principe, l'exemple qu'elle avait donné, et, en même temps, dans la nécessité de ne pas porter dans toute l'Europe le désordre, la guerre, la révolution. Il fallait, d'une part, que la France, qui venait de s'affranchir, et qui voyait partout son exemple suivi ou près d'être suivi, il fallait, dis-je, que la France fût fidèle à ce qu'elle avait fait, ne reniât ni sa conduite ni son exemple, et qu'en même temps elle ne se iaissât pas accuser d'être possédée de ce démon révolutionnaire qui avait tant fait reculer la révolution française après l'avoir poussée si loin hors de son territoire.

Le gouvernement français, sorti de la révolution de juillet, s'est donc trouvé entre deux systèmes d'une part, le maintien de ses principes, le ferme et fier maintien de la révolution qui lui avait donné naissance, par les voies régulières, par l'influence constitutionnelle, par l'influence du spectacle de la liberté et des exemples d'un gouvernement constitutionnel; d'autre part, le système de la propagande révolutionnaire, d'une propagande par les armes, par la force, par les conquêtes. C'est entre ces deux systèmes, Messieurs, que le dernier ministère s'est vu obligé de choisir. II a eu à décider la question de savoir s'il entrerait dans les voies d'un salutaire exemple donné à l'Europe, ou s'il rentrerait dans celles de la conquête révolutionnaire. C'est entre ces deux systèmes qu'il a choisi. Il s'est prononcé pour le premier, le même système qui est continué aujourd'hui par ses successeurs. C'est donc sur ce système même que je vous demande d'arrêter un moment votre attention.

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Examinant l'argument d'après lequel on prétendait qu'un peuple qui a adopté un principe doit s'appliquer à le faire prévaloir partout, M. Guizot rappelait que cette fantaisie de soumettre l'Europe à l'unité d'un système n'était pas nouvelle, et il citait Louis XIV, la convention, Napoléon, la sainte-alliance, en ayant soin de rappeler aussi que toutes ces tentatives d'unité, soit monarchique, soit républicaine, avaient toujours amené une réaction les nations avaient toujours revendiqué le droit de se gouverner selon leur besoin, leur instinct : le principe de la liberté des nations avait résisté à toutes les violences.

- Et quel nom porte aujourd'hui ce principe? demandait l'orateur; celui de non-intervention. Messieurs, c'est le principe de la non-intervention qui représente aujourd'hui la liberté des nations dans leurs rapports entre elles.... Eh bien! il s'agit aujourd'hui de savoir si ce principe sera maintenu par notre gouvernement, ou si nous recommencerons ces tentatives d'unité violente que je viens d'indiquer..

Revenant ensuite sur l'exemple de la Convention et de l'Empire, qui avaient mis en usage le système que l'on recommandait aujourd'hui, M. Guizot pensait que le ministère dont il

avait fait partie, comme celui qui lui avait succédé, ne s'étaient pas trompés quand ils avaient choisi entre le système de l'influence pacifique, constitutionnelle, libératrice, et celui de la propagande armée, violente et révolutionnaire.

• Ce sont ces deux systèmes, ajoutait-il en terminant, qui, sous une forme plus ou moins prononcée, plus ou moins menaçante, se sont trouvés en présence. Ce sera dans l'avenir, sinon de demain, du moins de l'histoire, l'honneur de la révolution de juillet, d'avoir été pacifique en Europe, aussi bien que modérée, libérale en France; ce sera son honneur de s'être confiée dans la puissance de son exemple, dans la puissance du spectacle de ses institutions, de sa liberté, pour soutenir et propager en Europe des principes qui ne nous sont pas moins chers qu'à aucun autre, pour lesquels, autant qu'aucun autre, nous avons combattu. (Très bien, très bien!) Car, remarquez, Messieurs; nous voulons propager la liberté, mais non les révolutions. Les révolutions, l'insurrection, sont un mauvais état d'un pays: il faut souvent passer par là pour arriver à la liberté; ce n'est point la liberté elle-même. Rien ne se ressemble moins que le spectacle d'un pays en révolution et celui d'un pays libre.

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Eh bien! ce que nous n'avons pas voulu offrir à l'Europe, c'est la vue d'un état révolutionnaire en France. Nous craignons l'effet que produirait ce spectacle, non-seulement sur les souverains,, mais sur les peuples. Nous craignons de les voir une seconde fois effrayés, désabusés, dégoûtés, en grande partie du moins, comme ils l'ont déjà été.

Nous voulons aujourd'hui que les peuples ne connaissent de la révolution française que ses vertus et ses bienfaits; nous voulons que les peuples voient régner en France, non la révolution, mais la liberté; non le désordre, mais l'ordre intérieur ; nous voulons, en un mot, que la révolution de juillet se présente à l'Europe, l'affranchissement, la liberté, la paix à la main, au lieu de porter l'insurrection, la guerre; tout comme nous avons voulu, dans l'intérieur de la France, qu'elle offrît la liberté et la paix à tous les partis, qu'elle ne menacât personne. C'est dans ce système qu'a agi le précédent ministère, qu'agit encore le ministère actuel ; et, certes, il vaut bien la prédication continuelle de l'insurrection et des révolutions..

Ce discours produisit dans l'assemblée une sensation vive et profonde. La question était nettement posée : il s'agissait de juger la direction donnée à la politique extérieure par les deux ministères qui s'étaient succédés depuis la révolution de juillet. M. Mauguin s'empressa de prendre la parole. Suivant lui, l'ancien ministère avait complétement méconnu l'esprit de la révolution de 1830. Combattant le reproche de propagande fait à la Convention et à l'Empire, il disait que la France, loin de commencer la guerré, s'était bornée à la repousser. Abordant le principe de la non-intervention, M. Mauguin s'attachsit

à montrer que le ministère avait été peu conséquent dans sa manière de l'appliquer. Ce principe consistait à ne pas intervenir dans les affaires des peuples voisins, et cependant le ministère était intervenu en Belgique de la façon la plus déplorable. Le ministère considérait le principe de non-intervention comme un droit d'exclure tel ou tel prince du trône de Belgique : il promettait de protéger le fils du roi de Bavière, et il ne s'apercevait pas que c'était donner un renfort à la sainte-alliance.

Pourquoi, disait l'orateur, ne pas laisser les Belges choisir librement un roi ou un gouvernement provisoire qui leur permit d'attendre? Pourquoi leur refuser un des fils de notre roi? Pourquoi ne pas les attacher à la France? Est-ce qu'ils peuvent exister sans la France? Est-ce que la ligne des douanes ne les ferait pas périr, s'il n'étaient pas au moins, sous la protection de la France, un pays indépendant? Est-ce que la véritable politique française n'est pas de soutenir cette réunion? Toutes les nations sont travaillées par un besoin intérieur: c'est d'avoir leurs frontières. Les frontières sont aux empires ce qu'est un mur de clôture pour un particulier : quand on n'est pas clos chez soi, on y est inquiété. Il en est de même pour les États. Ainsi le besoin de frontières a toujours nécessité des guerres; et tant que la France n'aura pas ses frontières, l'Europe sera agitée.

On dit qu'Anvers peut devenir un sujet de collision. Qu'Anvers soit libre! Si vous saviez profiter de votre position, vous n'auriez de guerre ni avec la Russie, ni même avec l'Angleterre, trop inquiétée par sa population même. Mais, pour n'avoir pas la guerre, il faut avoir le sentiment de sa dignité et de sa force; il faut montrer qu'on ne craint pas la guerre. C'est toujours celui qui ne la craint pas qui ne l'a pas; elle poursuit celui qui la redoute et la fuit,

M. Mauguin ajoutait que peut-être les ministres allégueraient, en faveur de leur conduite diplomatique, l'alliance faite avec l'Angleterre : mais il faisait observer que cette alliance était précaire, car s'il y avait union commencée entre la France et l'Angleterre, si les haines qui avaient si long-temps divisé les deux nations s'éteignaient, l'Angleterrre n'en était pas moins sous le régime d'une aristocratie hostile au développement de la liberté. Sous tous les rapports, M. Mauguin trouvait donc la marche suivie par les deux ministères fausse, périlleuse et digne de censure.

A ce discours succéda une longue agitation ; la séance fut en quelque sorte suspendue. M. le général Sébastiani se contenta

de répondre de sa place qu'une partie de l'argumentation.de M. Mauguin avait roulé sur un fait inexact. La France n'avait pas indiqué le prince de Bavière à la Belgique : seulement elle avait déclaré qu'elle respectait le droit d'élection dans le congrès national de la Belgique. «La tribune belge, répliqua «aussitôt M. Mauguin, dit le contraire, et si M. le ministre «avait répondu aux diverses demandes d'explications que «nous lui avons adressées, nous ne serions pas obligés d'aller « rechercher ailleurs nos documents. >>

Deux autres orateurs, MM. Dupin aîné et le général Lafayette, prirent encore la parole : leurs discours offrirent peu d'argumens nouveaux. M. Dupin soutint que le plan de l'ancien ministère, dont il avait fait partie, comme celui du ministère actuel, avait été l'ordre au dedans, la paix au dehors, avec la liberté la plus large que l'ordre pût comporter. M. de Lafayette fit quelques observations pour justifier la révolution et l'Assemblée constituante du reproche de propagande.

Là se termina cette mémorable discussion, à laquelle le ministère ne prit qu'une part très-faible, par l'organe de M. Sébastiani. La séance s'était prolongée au-delà des bornes ordinaires, en mettant aux prises les deux systèmes politiques qui ne cessaient de se disputer le pouvoir depuis la révolution de juillet, et entre lesquels la majorité de la Chambre n'était pas incertaine aussi l'ordre du jour fut-il adopté sans opposition sur la pétition qui avait soulevé la controverse. Mais la question n'était pas épuisée : les débats auxquels la Chambre venait de se livrer en annonçaient d'autres non moins importants, dont nous aurons bientôt à rendre compte.

:

Lois sur l'impôt direct.

CHAPITRE II.

Discussion relative à la Belgique et à la

Pologne. État de la capitale. Troubles à la Sorbonne et dans les colléges - Adresse de la ville de Gaillac (Tarn), et réponse du roi. Origine du terme de JUSTE MILIEU.

De toutes les questions législatives qui devaient encore occuper les Chambres durant cette session, la plus difficile, malgré son apparente simplicité, la plus délicate et la plus irritante, malgré son coloris de nécessité, de justice, était celle qui se rapportait au changement du système de perception des impôts directs. Dès le 15 novembre 1830, un projet de loi avait été porté à la Chambre des députés par le président du conseil, ministre des finances. Dans son exposé des motifs, M. Laffitte s'exprimait en ces termes : « Il s'agit de convertir ela contribution personnelle et mobilière et la contribution «des portes et fenêtres, d'impôt de répartition en impôt de «quotité.» Ensuite il rappelait la différence essentielle qui distingue ces deux espèces d'impôts.

- Dans l'impôt de répartition, disait-il, l'autorité législative fixe d'avance la somme exigible, et la répartit ensuite entre les départements. L'autorité départementale répartit à son tour le contingent qui lui est échu entre les arrondissements; l'autorité d'arrondissement entre les communes, et l'autorité communale entre les individus.

Dans l'impôt de quotité, au contraire, les contingents ne sont point déterminés d'avance pour les diverses circonscriptions territoriales par les autorités immédiatement supérieures.

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Les agens du fisc s'adressent directement aux individus, et leur demandent la contribution qui leur était imposée par les conditions de la loi c'est trois journées de travail pour la cote personnelle; c'est une valeur proportionnée au loyer pour la contribution mobilière. Le caractère de ces deux modes est facile à saisir. L'impôt de répartition est un abonnement avec les localités; on traite à forfait avec elles, en leur laissant le soin de répartir, comme elle l'entendent, la somme qu'on leur demande. Nécessairement l'autorité qui abonne fait un sacrifice de la quantité du produit en faveur de la certitude de sa rentrée. L'impôt de quotité est l'opposé du précédent. Loin d'abonner, le gouvernement, dans ce cas, assied et lève l'impôt luimême. Il a les avantages de la plus-value, et court toutes les chances de la perception.

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