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lord Grey y avait mises, après avoir soutenu d'ailleurs que l'Angleterre pouvait augmenter les droits sur les vins du Portugal sans violer les traités. Il n'en fallut pas moins dans la suite modifier la disposition relative à ces vins ; car elle n'avait pas l'assentiment des torys, et il semblait que, sans leur appui, aucun des plans financiers de lord Althorp ne pouvait parvenir à être adopté.

Déjà ils avaient prêté au ministère un utile secours pour la liste civile contre ses propres amis: spectacle étrange, qui n'offrait certes aucun présage favorable au nouveau cabinet pour ses projets de réformes politiques, et qui se renouvela à propos de la discussion sur le budget de la guerre dans la Chambre des communes. On eut dit que cette Chambre, dont le libéralisme dépassait celui de lord Wellington, se trouvait maintenant au-dessous de celui du ministère de lord Grey, qu'elle ne consentait à soutenir que dans les questions qui se rapprochaient des principes du parti tory.

M. Wynn secrétaire de la guerre, avait demandé une augmentation pour l'armée de 7,680 hommes; ce qui porterait sa force à 88,500 hommes, sans compter les régiments employés dans l'Inde. M. Hume, après avoir fait ressortir la différence qui existait entre le budget de la guerre de l'ancienne administration, lorsque l'armée n'était que de 81,000 hommes, et celui de l'administration actuelle, ne pouvait comprendre cette augmentation, à moins qu'il ne l'expliquàt par des projets d'intervention étrangère. Il en prit occasion d'accuser la conduite des ministres relativement aux affaires de la Belgique, leur refus de reconnaître comme roi des Belges le duc de Nemours ou le duc de Leuchtemberg, sans dire à quelle élection ils adhéreraient, enfin la marche des négociations, qui ne paraissaient pas heureuses à l'orateur pour le ministère anglais.

Le ministre des affaires étrangères, lord Palmerston, répondit à M. Hume, et fut secondé par M. Peel, qui accordait

son approbation au système de politique suivi par le cabinet, quant aux affaires belges, en assurant la Chambre que, n'ayant aucun sentiment de jalousie, aucune prévention personnelle, il s'estimerait heureux de donner au ministère son appui sincère toutes les fois que sa conscience le lui permettrait. C'est ainsi qu'il approuvait la proposition d'augmenter l'armée; proposition qui n'avait aucun rapport, disait ensuite M. Wynn, avec les affaires du continent. Elle était uniquement fondée sur l'état de l'Angleterre et de l'Irlande, où des scènes encore présentes à l'esprit de toute la Chambre, qui s'étaient passées dans ces derniers mois, suffisaient pour justifier un accroissement de forces militaires. Appuyée par sir H. Hardinge, la proposition rencontra dans M. Hume et M. Hunt deux adversaires déclarés. M. Hume était sûr que le peuple verrait avec chagrin cette augmentation de 500,000 liv. dans les dépenses de l'armée, par un gouvernement qui avait promis tant d'économies. Il ne pouvait concevoir qu'en proposant de lever 8,000 hommes de plus, le ministère parlåt de l'armée comme n'étant que sur le pied de paix. Il croyait, en vérité, que l'administration précédente avait été moins prodigue que la nouvelle; il ajoutait que certains discours des ministres lui avaient rappelé le bon temps de lord Castelreagh. M. Hunt se montra plus hostile encore à la mesure. Elle n'en fut pas moins adoptée par une majorité qui comprenait tous les torys, c'est-à-dire les ennemis invétérés de la grande question qui allait enfin être solennellement débattue devant la Chambre, et à laquelle le sort du ministère était attaché.

1er mars. Lord John Russell, en faisant la motion ordinaire qu'il lui fût permis de soumettre à la Chambre un bill tendant à réformer la représentation de l'Angleterre et du pays de Galles, commença par déclarer que le bill était principalement le résultat des méditations de lord Grey. Mais le public persista à penser que lord Durham, gendre du premier ministre, et lord du sceau privé, était le véritable auteur du

projet de réforme. Quoi qu'il en soit, le ministère, disait lord Russell, en repoussant toute idée de complaisance pour des demandes entachées d'exagération et d'extravagance, avait voulu combiner une mesure qui contentàt tous les hommes raisonnables. Il avait voulu garder un milieu entre deux partis hostiles, et se tenir à égale distance de ceux qui, par un respect fanatique et peu éclairé pour le passé, prétendaient qu'il n'y avait lieu à aucune réforme, et de ceux qui, dans leur zèle insensé, affirmaient qu'il n'y avait qu'un seul plan de réforme qui pût être utile et satisfaisant. «Nous espérons, ajoutait l'orateur, établir entre ces deux écueils une bonne et constitutionnelle réforme de la représentation; nous voulons éviter également les abus et les renversements.»

Je crois, disait-il ensuite, qu'il est de mon devoir d'exposer à la Chambre les bases sur lesquelles nous fondons nos arguments pour prouver d'abord que le droit est en faveur de la réforme. L'ancienne constitution du pays disposait que nul homme ne serait tenu de payer les impôts, qu'autant qu'il les aurait consentis par lui-même ou par son représentant. Le statut de Tallagio non concedendo parlait le même langage. Il concernait tous les citoyens du pays (freemen), et pourvoyait à ce que chaque comté envoyât aux communes deux chevaliers, chaque cité deux bourgeois, et chaque bourg deux membres. Sous ce système, environ cent localités envoyaient des représentants au parlement; il y en avait eu outre trente ou quarante autres qui en envoyaient occasionnellement, ou n'en envoyaient pas, selon des circonstances variables de richesse, de population et d'importance. Nul doute que, dans les premiers temps, la Chambre des communes ne représentåt le peuple anglais; nul doute aussi que la Chambre dans son état actuel ne le représente plus.

Mais si les partisans de la réforme ont le droit pour eux, ils ont aussi la raison; car il est impossible de maintenir la constitution de la Chambre telle qu'elle existe à présent. Qui n'a entendu parler de ce pays, sans égal en richesse, en civilisation, en liberté, dans l'histoire des empires? Maintenant supposez qu'un étranger, qui n'ignorerait rien de ces faits, apprenne que, dans ce pays si riche, si libre, si civilisé, les représentants du peuple, les gardiens de ses libertés, ne sont choisis qu'une fois tous les six ans ne serait-il pas très curieux, très avide de savoir comment s'accomplit cette opération? de quelle manière cette grande et sage nation nomme les membres qui la représentent, et dont dépendent sa fortune et ses droits? Cet étranger ne serait-il pas fort étonné, si on le conduisait sur un rocher stérile, et qu'on lui dit que ce rocher envoie deux membres au parlement ! si on lui montrait un mur de pierres auquel est aussi attaché le droit d'envoyer deux membres; ou si, se promenant dans un pare qui n'offre pas un vestige d'habitation, on lui apprenait que ce parc envoie pareillement deux membres à cette Chambre. Il serait encore bien plus étonné si, allant au nord du pays, et voyant des villes florissantes,

siéges d'innombrables manufactures, entrepôts de toutes sortes de marchandises, il était informé que ces villes ne sont pas représentées. Enfin son étonnement n'aurait plus de bornes, si, arrivant dans une grande et opulente ville, Liverpool, par exemple, il pouvait observer la manière dont les élections y sont faites. Il y verrait prévaloir une corruption effrénée; il y verrait des citoyens ouvertement payés pour leurs votes, et il ne comprendrait pas que des représentants ainsi choisis puissent remplir leurs fonctions de législateurs.

Le peuple réclame hautement une réforme, et soutient que ce qu'il y avait de bon dans la constitution de cette Chambre, que ce qui méritait la confiance du pays, a cessé d'exister entièrement. Aussi long-temps que des villes comme Leeds et Manchester n'éliront pas de représentants, tandis que des bourgs comme Gatton et Old-Sarum (1) en auront, il sera impossible de dire que la représentation est réelle, sincère et efficace.

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De ces prémisses lord John Russell arrivait à cette conclusion: Si c'est ici une question de droit, elle est en faveur de la réforme; si c'est une question de raison, elle est aussi en faveur de la réforme; si c'est une question d'opportunité et de nécessité, la réforme est opportune et nécessaire.

Lord Russell développait ensuite le plan par lequel les ministres voulaient satisfaire une demande de réforme qu'ils ne croyaient pas pouvoir être plus long-temps négligée sans péril. Ce plan avait pour but de faire droit aux plaintes du peuple, plaintes dirigées contre le droit de nomination possédé par quelques individus, ainsi que cela arrive à Bath, où cinq personnes seulement nomment un député, contre les élections par des corporations fermées, et enfin contre les dépenses que les élections entraînaient. Pour redresser ces griefs, le ministère commençait par priver certains bourgs de la franchise représentative (disfranchise); en second lieu, il l'accordait à des villes qui n'avaient point eu jusqu'alors de représentants; enfin il étendait considérablement le droit de voter, afin d'augmenter le nombre des électeurs dans les places qui conserveraient en tout ou en partie leur privilége d'envoyer des membres au parlement.

En conséquence, le ministère proposait d'ôter le droit de

(1) Gatton a 135 habitants et 5 électeurs. Old-Sarum n'est pas même un lieu habité.

Ann, hist. pour 1831.

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nommer des représentants à tous les bourgs qui avaient moins de 2,000 habitants d'après le recensement de 1821. Ces bourgs, qui étaient au nombre de soixante (cédule A), envoyaient 119 membres au parlement. Lord Russell ne dissimulait pas que c'était là une mesure hardie et décisive; mais déjà la Chambre en avait pris l'initiative, lorsqu'en 1829 elle avait désaffranchi les francs tenanciers d'Irlande à 40 shillings.

Quarante-sept bourgs (cédule B) dont la population, suivant le même recensement, était au-dessous de 4,000 habitants, n'enverraient plus qu'un membre au lieu de deux. Weymouth ne conserverait que deux membres sur quatre.

Ces dispositions enlevant 168 membres à la Chambre, il était proposé, pour remplir ce vide, d'accorder à sept villes considérables deux représentants chaque, et un seul à vingt autres villes (cédules C et D); ensuite vingt-sept des comtés les plus importants nommeraient désormais quatre membres chacun, au lieu de deux, et le Yorkshire huit au lieu de quatre. La représentation de Londres, qui était alors de huit membres, serait également doublée.

Quant au droit électoral appliqué aux individus, il appartiendrait à tous ceux qui paieraient un loyer annuel de 10 1. (250 franes), qu'ils occupent les lieux ou non. Les copyholders (1), dont la propriété était d'une valeur annuelle de 10 l., et les propriétaires des maisons (householders) de même valeur, seraient électeurs pour les comtés. Tous les locataires ayant un bail de 21 ans, qui n'aurait pas été renouvelé dans les deux années précédentes, voteraient dans les villes; et les locataires pour 20 ans, d'une propriété d'un revenu annuel de 50 l., voteraient aux élections des comtés. Il n'était rien innové à l'égard des francs tenanciers à 40 shillings.

Telles étaient, avec d'autres dispositions relatives à la tenue des listes électorales, au mode et à la police des élections, les

(1) Possesseurs d'un domaine, qui n'ont d'autre titre qu'une copie de cadastre délivrée par l'archiviste du seigneur.

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