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ils se livrèrent sur divers points à des actes de violence qui ne pouvaient que nuire à la cause qu'ils avaient la prétention de défendre. Les fenêtres du marquis de Bristol et du duc de Wellington furent encore une fois assaillies d'une grêle de pierres, et toutes les vitres brisées. Le marquis de Londonderry, reconnu par la populace lorsqu'il se rendait à cheval au parlement, se vit en butte à des outrages de la nature la plus condamnable. Des pierres furent lancées contre lui; elles le blessèrent si grièvement, que l'on fut obligé de le mettre dans une voiture de place pour le reconduire à sa de

meure.

Des scènes plus fàcheuses encore éclataient en même temps dans quelques comtés. A Derby, la populace insulta les maisons et démolit les fenêtres de certains habitants connus pour être opposés à la réforme. Quelques-uns des perturbateurs ayant été conduits dans la prison du bourg, le peuple s'y porta en masse, enfonça les portes, et mit tous les prisonniers en liberté. Ensuite il attaqua la prison du comté; mais ici la troupe était sur pied : elle repoussa les assaillants par la force, et tua ou blessa plusieurs individus. A Nottingham, le château du duc de Newcastle, ancienne résidence royale, fut incendié et détruit complètement. Un régiment de hussards, qui se rendait en toute hâte dans cette ville, ne servit qu'à empêcher le renouvellement de ces scènes de barbarie sur d'autres points.

Ces tristes événements ne pouvaient manquer d'avoir du retentissement dans les deux Chambres, où ils devinrent pour les adversaires de la réforme un texte de récriminations acerbes que les ministres repoussèrent avec la plus grande énergie. A la Chambre des communes, l'opposition insista plus particulièrement sur l'illégalité des unions politiques, sur la faiblesse que le ministère témoignait envers elles, enfin sur des lettres de remerciments adressées par lord Althorp et lord John Russell au président de l'assemblée de Birmingham. C'est dans ces discussions, d'ailleurs dénuées de tout intérêt Ann, hist. pour 1831. 41

historique, que s'écoulèrent les dernières séances du parlement il fut prorogé le 20 octobre par le roi en personne.

Son discours, après un résumé rapide des travaux les plus importants de la session, annonçait la conclusion d'un arrangement définitif pour la séparation de la Belgique et de la Hollande par la conférence de Londres. S. M. manifestait l'espoir que l'acceptation de cet arrangement par les deux pays intéressés détournerait les dangers qui menaçaient la paix de l'Europe.

Arrivant à cette partie de son discours attendue avec le plus d'impatience, parce qu'elle devait traiter de la question qui tenait la première place dans tous les esprits, prouver à tous qu'il ne cessait pas de marcher d'accord avec ses ministres, et présenter la reprise de la discussion sur la réforme comme une chose de toute nécessité, le roi s'exprimait en ces termes :

. Milords et Messieurs,

Dans l'intervalle de repos qui vous sera accordé, j'ai la certitude que je n'ai pas besoin de vous recommander la plus grande sollicitude pour la conservation de la tranquillité publique dans vos comtés respectifs. Le vacu ardent que mon peuple a si généralement manifesté pour l'accomplissement d'une réforme constitutionnelle dans la Chambre des communes du parlement, sera, je l'espère, réglé par une juste appréciation de la nécessité de l'ordre et de la modération.

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A l'ouverture de la prochaine session, l'attention du parlement sera nécessairement appelée de nouveau sur cette importante question, et vous pouvez être assurés de mon désir inaltérable de favoriser sa décision par toutes les améliorations dans le système de la représentation, qui seraient jugées nécessaires pour garantir à mon peuple la pleine jouissance de ses droits, qui, combinés avec ceux des autres ordres de l'Etat, sont essentiels au soutien de notre constitution libre..

Le parlement fut ensuite prorogé au 22 novembre, et postérieurement, par proclamation, au 6 décembre.

C'était par une trop juste prévision des événements, que S. M. avait recommandé aux membres du parlement le plus grand soin pour la conservation de la tranquillité publique. L'Angleterre était encore trop agitée pour qu'on n'eût pas lieu de craindre de nouvelles catastrophes. Ces craintes se réalisèrent, et, par une triste fatalité, un autre fléau, le choléra, vint se mêler à celui des dissensions intestines.

Malgré toutes les précautions sanitaires et les quarantaines établies pour préserver le pays de cette cruelle maladie, le 26 octobre elle parut à Sunderland, où l'on soupçonna qu'elle avait été apportée par des bâtiments de Hambourg. De Sunderland elle gagna Newcastle, Gateshead, Houghton le Spring, Penther; avant la fin de l'année elle avait atteint l'Écosse.

Vers la même époque, Bristol fat bouleversée par une des plus furieuses émeutes dont l'histoire de la Grande-Bretagne ait gardé le souvenir.

Sir Charles Wetherell, qu'aucun membre de la Chambre des communes n'avait surpassé, ni même 'égalé dans la virulence de son opposition au bill de réforme, devait se rendre à Bristol, pour présider les assises en qualité de recorder. Le 29 octobre, le maire et les autres autorités municipales étant allés à sa rencontre, suivant l'usage, furent accompagnés d'une grande masse de peuple, qui șalua son arrivée par un concert de sifflets et de huées, et le suivit jusque dans la ville en jetant des pierres contre sa voiture. Le cortége se dirigea vers la salle de justice, où, la formalité de la lecture de la commission royale pour l'ouverture des assises accomplie au milieu des clameurs de la multitude, sir Charles et les autorités municipales prirent la route de l'hôtel-de-ville. A peine y fut-il entré, que les constables se précipitèrent sur le peuple, et engagèrent un combat qui ne fit qu'ajouter à l'exaspération de la foule. Le maire se présenta à elle, pour l'inviter à se disperser si on ne voulait pas le mettre dans la nécessité d'appeler des troupes. Il fit même lire le riot act (loi sur les émeutes): pour toute réponse, le peuple se rua à l'instant même sur les constables, qui furent désarmés et chassés. Alors les mutins forcèrent les portes de l'hôtel-de-ville, l'envahirent, et s'y livrèrent à toutes sortes de dévastations, à l'aide des barres de fer qu'ils avaient arrachées à l'édifice. Le recorder et les autres magistrats étaient heureusement parvenus à s'échapper par une porte de derrière.

En ce moment, deux escadrons de cavalerie arrivèrent de

vant l'hôtel-de-ville; mais ce ne fut qu'au bout d'un certain temps que cette troupe se décida à charger le peuple, à le refouler dans les rues et dans les passages environnants, d'où les pierres commencèrent à pleuvoir sur elle. Il n'y eut pas toutefois de plus grands malheurs ce jour-là, et les soldats regagnèrent leurs casernes.

Le lendemain 30, la populace accourut plus hardie, plus nombreuse, à l'hôtel-de-ville, pour achever l'œuvre de destruction entamé la veille. Pas un coin de l'édifice n'échappa à sa rage. Ce qu'il y eut de plus déplorable, c'est que la foule descendit dans les caves où se trouvaient des vins et des spiritueux en grande quantité. Ces caves furent mises au pillage, et à la violence ordinaire d'une multitude sans frein se joignit la brutale fureur de l'ivresse. Un escadron du 14o régiment de cavalerie se rendit sur les lieux; mais, soit défaut d'ordres et d'instructions positives, soit répugnance à se battre contre des concitoyens, cette troupe n'agit pas. L'officier qui la commandait voulut parlementer avec les insurgés ; il consentit à se retirer avec son escadron, à condition que les séditieux rentreraient dans l'ordre. Il se retira en effet: alors la populace, plongée dans l'ivresse la plus hideuse, se divisa en plusieurs bandes, et fit bientôt de la ville entière un théâtre de carnage et de dévastation. Les portes de Bridewell (maison de force) furent enfoncées à coups de marteau, les prisonniers délivrés, et le bâtiment livré aux flammes. Autant en advint à la prison neuve, qui fut incendiée avec quelques édifices attenants, après que tous les prisonniers pour dettes ou pour crimes eurent été rendus préalablement à la liberté; la prison du comté eut aussi le même sort. Recrutée ainsi d'un grand nombre de malfaiteurs, cette multitude ivre-furieuse se porta au palais de l'évêque, qu'elle saccagea de fond en comble, et qui fut réduit en un monceau de cendres. Elle courut ensuite à la place de la reine pour brûler l'hôtel-de-ville. Ici, elle commença par piller les maisons tout autour de la place; le pillage achevé, elle y mit

le feu. L'incendie dévora l'hôtel des douanes, le bureau de l'octroi et les bâtiments voisins. Tel est l'horrible spectacle que Bristol présenta jusqu'au 31 au matin. Tant de désastres rappelèrent enfin les magistrats à leur devoir. Des troupes furent chargées de purger les rues des bandes de pillards et d'incendiaires qui les infestaient. On fit jouer les pompes pour arrêter les flammes. Les bons citoyens prêtèrent main-forte aux autorités. De nouveaux régiments arrivèrent des villes voisines, et dès le lendemain, 1er novembre, l'ordre était rétabli dans Bristol, où la police s'occupait à rechercher les objets volés et à s'emparer des coupables. Un grand nombre de ceux-ci avaient perdu la vie, mais moins sous les coups de la troupe que par suite de l'ivresse dans laquelle ils s'étaient plongés, et qui les avait empêchés de se soustraire aux flammes allumées par eux-mêmes (1). La perte résultant des propriétés détruites ou incendiées fut estimée à près d'un demi million sterling.

La catastrophe de Bristol était pour le ministère un avertissement éloquent de se mettre sur ses gardes, dans l'état de fermentation où le rejet du bill de réforme avait jeté l'Angleterre. Il arrêta donc des mesures pour entraver l'extension du mal. Une proclamation royale, du 2 novembre, annonça la résolution qu'il avait prise de comprimer toutes les machinations criminelles, et avertit les shériffs, les membres de corporations des villes et des bourgs, de réprimer les désordres avec vigueur. Cette vigilance de la part des magistrats était d'autant plus nécessaire, que de graves symptômes d'agitation se révélaient sur plusieurs points, et jusque dans Londres même, par suite du projet qui avait été conçu d'y éta

(1) Il y eut en tout 94 individus morts ou blessés. A quelques jours de distance (voy. pag. 356), la seconde ville de France était aussi affligée d'une révolte sanglante de la classe ouvrière; mais il faut dire ici, à l'honneur de la civilisation française, que les ouvriers de Lyon offrirent dans la victoire un contraste complet de moralité et de modération avec la populace ivre et brutale de Bristol.

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