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que plus humaine, portait encore une grave atteinte à l'institution du jury:

Sous le code d'instruction criminelle, ajoutait-il, l'addition des voix des juges avec les voix des jurés laissait les uns et les autres sur un pied d'égalité. Sous la loi de 1821, la délibération des juges forme un véritable jugement complétement indépendant du jury, qui, par le fait d'un partage de sept voix contre cinq, n'arrive à d'autre résultat qu'à résigner son pouvoir et son caractère pour en investir les juges. Ceux-ci, appelés seuls à juger lorsque le doute du jury le dessaisit et le constitue incapable, sont par cela seul, de fait comme de droit, les supérieurs du jury et les suprêmes arbitres. >>

Le ministre terminait en disant qu'il fallait abroger la loi du 24 mai 1821, comme on avait abrogé l'art. 351 du code d'instruction criminelle, la supériorité attribuée aux magistrats sur les jurés, la confusion entre les pouvoirs des juges du fait et des juges du droit étant réellement destructive du jury.

Quant à la réduction du nombre des conseillers ou juges tenant les cours d'assises, une longue justification de cette mesure semblait superflue: accréditée depuis long-temps parmi les magistrats, elle s'appuyait d'ailleurs sur le besoin de simplifier l'administration de la justice, sur la suppression récente des conseillers-auditeurs, et sur cette considération, que le jury demeurant seul chargé de l'appréciation du fait, le rôle des magistrats formant la cour, à l'exception du président, deviendrait presque nul.

La commission chargée de l'examen de la proposition du gouvernement en adopta entièrement le fond. Dans son rapport, présenté à la Chambre par M. Bernard (7 décembre 1830) on ne remarquait que quelques modifications légères, uniquement relatives à la forme; mais elle ajoutait deux dispositions nouvelles. La première portait «qu'un tableau des membres de «chaque cour royale qui devraient présider les assises serait darrêté tous les ans au mois d'août, par le garde-des-sceaux, «et que les présidents seraient pris à tour de rôle sur ce tableau. >> C'était l'abrogation d'un article de la loi du 20 avril 1810, attribuant au ministre de la justice, et, à son défaut, au premier président de chaque cour royale, la nomination et le choix des

présidents des cours d'assises. La commission voyait dans ce droit donné au ministre une preuve de la tendance du gouvernement impérial à placer tous les pouvoirs sous sa dépendance. La seconde disposition établissait que, «dans le cas de réponse << affirmative de la part de la majorité du jury sur la culpabi«lité, la peine la plus forte, applicable d'après la loi, ne pour «rait être prononcée contre l'accusé qu'à l'unanimité des trois «juges formant la cour, et que lorsqu'il y aurait dissentiment <«< entre eux, l'opinion la plus douce devrait prévaloir.» Cet article contenait un vice manifeste, en ce qu'il attribuait une influence peut-être dangereuse à l'avis de la minorité, réduite, dans l'hypothèse, à l'unité: aussi fut-il généralement désapprouvé et rejeté sans contradiction. L'autre article, après avoir soulevé de longs débats, et donné lieu à plusieurs amendements, fut également rejeté : nous nous dispenserons donc d'y revenir.

6, 7, 8 janvier. Dans la discussion générale du projet de loi, la réduction du nombre des magistrats tenant les cours d'assises éprouva une opposition sérieuse. M. Gillon, premier orateur inscrit, s'éleva avec force contre ce système. Prévénant l'argument qu'on pourrait tirer de ce qu'en Augleterre un seul juge préside aux assises et détermine la peine, il fit observer que dans ce pays la culpabilité du prévenu, pour êtré constatée, exige l'unanimité du jury, et que d'ailleurs la peine est tellement mesurée sur chaque crime, qu'elle ne peut, comme en France, s'étendre et se resserrer à la volonté du juge. Enfin il trouvait des inconvénients graves à rémettre à trois hommes seulement, et peut-être à un seul, à cause de son influence sur ses collègues, le choix des châtiments dans la vaste échelle des peines déterminées par notre Code, la fixation des amendes, la décision sur les incidents, les questions si épineuses d'identité, les circonstances atténuantes, enfin les condamnations à des dommages-intérêts ou réparations civiles, toutes matières sur lesquelles le président doit délibérer avec ses assesseurs, et à l'occasion desquelles

le magistrat se voit forcé d'avoir égard au fait même, et de l'apprécier comme le juré.

Voyez, ajoutait l'orateur, quelle rassurante garantie s'attache, devant nos tribunaux civils, à nos procès ordinaires, dans lesquels cependant ne s'engagent presque jamais des questions d'honneur. Sans avoir eu le malheur de plaider, chacun de vous sait que si l'intérêt dépasse 1,000 francs, on a le droit d'appeler du jugement de première instance, rendu par trois juges au moins, devant la cour royale, qui donne sept magistrats pour juges suprêmes. Et la cour d'assises, où s'agitent des intérêts de fortune, de vie, d'honneur, n'offrirait que trois magistrats prononçant en juges souverains un arrêt de premier et dernier ressort ! »

MM. Martin, Dumont - Saint-Priest, Jacquinot- Pampelune, parlèrent dans le même sens.

Au contraire, M. Isambert soutenait que la réduction du nombre des juges était une mesure nécessaire et avantageuse dans l'état actuel des choses; que la responsabilité moins éten due serait plus réelle; que l'on aurait toujours ainsi l'élite des tribunaux ; que d'ailleurs le projet du gouvernement s'étayait de l'expérience du passé, puisque, jusqu'à la mise en activité du code d'instruction criminelle, trois magistrats seulement avaient composé les cours. Aujourd'hui qu'on rendait au jury toute sa pureté, qu'on le dégageait de toute intervention étrangère, ne fallait-il pas en revenir à l'ancienne combinaison ?

Deux objections, entre autres, étaient encore faites par les adversaires du projet : suivant eux, il portait atteinte à la făculté donnée aux magistrats des cours d'assises, par l'article 352 du code d'instruction criminelle, de surseoir au jugement d'une affaire et de la renvoyer à une autre session, s'ils sont unanimement convaincus que le jury s'est trompé au fond, de plus, il affaiblissait les cours. M. Renouard, commissaire du gouvernement, répondait à ces objections, qu'il était plus facile de convaincre trois personnes que eing done l'accusé ne pouvait que gagner au changement; ensuite, qu'il s'agissait des juges du droit, et qu'ici la garantie était moins dans le nombre que dans le choix. Un autre orateur (M. Gaujal), tout en appuyant le projet

ministériel, demandait qu'il fût renvoyé à la commission avec tous ses amendements, afin d'y introduire un article relatif au rétablissement du jury d'accusation; mais cette demande fut rejetée. On entendit encore en faveur du projet de loi MM. Rémusat et Gaillard de Kerbertin; après quoi la Chambre ferma la discussion générale et passa à celle des articles.

La question, jusqu'alors presque uniquement controversée, de la réduction du nombre des juges s'agita de nouveau. Les deux premiers articles furent attaqués par MM. Ricard, Amilhau, Vatimesnil, de Schonen, et défendus par MM. OdilonBarrot et Guizot. Mis aux voix, ils furent adoptés (8 janvier), après deux épreuves, et à une faible majorité prise dans tous les rangs de l'assemblée.

La Chambre examina ensuite deux articles additionnels, proposés par MM. Martin et de Montigny, l'un portant que la liste des jurés, qui, aux termes de l'article 394 du code d'instruction criminelle, doit être notifiée à l'accusé la veille du jour déterminé pour la formation du tableau, ne pourrait comprendre que les noms de ceux devant composer réellement le jury lors du tirage au sort, à moins que, dans l'intervalle de la notification au tirage, la cour n'ait dû remplacer un ou plusieurs jurés pour motifs légitimes; l'autre, que les défenseurs de l'accusé pourraient assister au tirage du jury pour la formation du tableau, conformément aux articles 299 et suivans du code d'instruction criminelle. (10 janvier) La Chambre consultée rejeta la première addition, modifiée par MM. Ricard et Girod (de l'Ain) : elle rejeta aussi la seconde, d'après l'observation de M. Ricard, que la jurisprudence permettant au conseil des accusés d'assister au tirage, cela suffisait, bien que les accusés dussent exercer eux-mêmes leurs récusations, pour atteindre le but que se proposait l'auteur de l'article (1).

(1) La disposition proposée par M. de Montigny a passé dans la loi du 28 avril 1832.

Arrivée à l'article 3 du projet ministériel, la discussion prit un nouveau degré d'intérêt. Plusieurs membres, adoptant le principe de cet article, mais ne trouvant pas encore assez ample le bénéfice qu'il réservait aux accusés, cherchèrent à l'étendre. Ainsi M. Dumont de Saint-Priest proposa comme condition indispensable de la condamnation l'unanimité du jury. Cet amendement, développé au milieu du bruit et des murmures, fut mis aux voix et rejeté, après quelques observations du ministre de l'instruction publique. Une autre proposition, qui occupa plus long-temps la Chambre, tendait à établir que la peine de mort ne pût jamais être infligée que sur une déclaration rendue à l'unanimité, et qu'autrement la peine la plus forte après la peine de mort fût seule appliquée. Cette proposition avait été faite par M. Gaujal, auquel se réunit M. de Tracy, auteur d'un amendement dont le troisième paragraphe rentrait dans la première disposition de celui de son collègue. M. de Lafayette demandait en outre, pour tous les cas autres que ceux qui emportent la peine capitale, une majorité de dix voix contre deux, c'est-à-dire, ainsi que le rappelait en peu de mots l'honorable général, un retour au principe établi par l'Assemblée constituante, lorsqu'elle introduisit le jury en France.

A l'appui de son amendement, M. Gaujal invoquait d'abord cet axiome, que la nécessité seule peut légitimer la peine de mort. a A qui s'adresse la justice, demandait-il, pour consta«ter cette nécessité? Aux jurés, c'est-à-dire au pays. Mais «pour que le pays constate cette nécessité, il faut qu'il soit «unanime; car s'il n'était pas unanime, il n'y aurait pas évi«dence, et s'il n'y avait pas évidence, il n'y aurait pas nécesesité. » Interrompu par quelques murmures, l'orateur continua, et soutint que si, dans le cas où il s'agissait d'appliquer une peine temporaire, ou même perpétuelle, il suffisait de la certitude morale, c'est-à-dire, de la conviction des deux tiers ou des trois quarts des jurés, il n'en était plus de même lorsqu'il s'agissait de la vie d'un homme. Dès lors il fallait qu'il

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