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trouvait de nouvelles preuves de cet esprit contradictoire dans l'objet spécial de la délibération. Lorsqu'il avait présenté sa proposition relative au bannissement de la branche aînée des Bourbons, les ministres, les rapporteurs des commissions, avaient tous été unanimes pour déclarer le Code pénal applicable aux membres de la famille déchue qui tenteraient la guerre civile. Aujourd'hui les membres de ce même conseil, dont M. Périer était le chef, renforcés de MM. Guizot et de Broglie, mettaient autant d'empressement et d'ardeur à sortir du droit commun qu'ils en mettaient alors à vouloir y rester. Maintenant on pouvait juger, à quelque opinion qu'on appartînt, qui, dans la discussion de cette proposition, était le plus sage, le plus prévoyant, le plus humain, du système indulgent du ministère, ou du système de pénalité qu'adoptait l'opposition. Le ministère avait fait preuve d'une inconcevable imprévoyance, et dans la rédaction qu'il avait voulu imposer à la loi, et dans la lenteur qu'il avait mise à la sanctionner après son adoption par la Chambre. Il résultait clairement des aveux officiels du Moniteur, qu'au moment des dernières délibérations, et pendant les deux mois que la sanction s'était fait attendre, le ministère avait une connaissance positive des projets aventureux qui se tramaient en Italie, et qui d'abord échouérent à Marseille. Là, un autre fait bien plus grave engageait la responsabilité ministérielle : sur le faux avis de l'arrestation de la princesse, le télégraphe donnait l'ordre de la reconduire à Holy-Rood. De quel nom fallait il appeler cet acte, et comment douter que l'impunité qu'il promettait à madame de Berry n'ait dû l'enhardir à traverser en sécurité et presque publiquement la moitié de la France, pour venir se jeter dans les châteaux de ses partisans et au milieu des bandes dévouées de la Vendée ? Les précautions de sûreté contre les éventualités d'une guerre civile exigeaient une pénalité : les Bourbons pouvaient-ils se plaindre de l'adoption de ce principe, eux qui l'avaient reconnu, appliqué; eux, qui avaient pros

crit Napoléon, mis sa tête à prix, au moment où il débarqua de l'île d'Elbe ; et plus tard, livré à une commission militaire, fusillé Joachim Murat?

Non, ce n'est point une comédie que l'on veut faire jouer à la France, disait M. Cabet, en demandant l'exécution des lois. Il s'agit de la Charte, il s'agit de savoir si elle sera une vérité ou une illusion. On parle du péril qu'il y aurait pour le gouvernement à soumettre la duchesse de Berry à la juridiction ordinaire : c'est faire tort au gouvernement que de le supposer assez mal affermi pour ne pouvoir subir une pareille épreuve.

L'unique orateur que le parti légitimiste eût conservé dans la Chambre élective, M. Berryer, vint au contraire appuyer l'ordre du jour proposé par la commission :

Vous ne doutez pas, messieurs, dit-il, que je ne sois vivement préoccupé de la pensée qui a inspiré la plupart des pétitions dont on vous a donné lecture. La captivité de madame la duchesse de Berry, la condition actuelle de sa captivité, cet état de choses en dehors de toute loi, de tous droits, en dehors de toutes les protections accoutumées qu'on accorde à quiconque voit et sait qu'on va disposer de son sort, cet isolement absolu dans un château fort, cette privation de toute communication avec qui pourrait être admis à l'honneur de délibérer avec elle, cette constitution de prison d'état au sein de la France, l'intérêt personnel qu'inspire la prisonnière, l'intérêt de la liberté, la conservation, le respect de la loi du pays: tout cela a appelé toute mon attention, éveillé toute ma sollicitude. Je me sentais pressé du besoin de demander que la chambre, écoutant la voix des pétitionnaires, s'adressât au ministère et demandât au gouvernement de faire cesser un état de choses intolérable.

« Mais des considérations, qui ne sont pas moins grandes que l'intérêt d'une personne en quelque haut rang qu'elle soit placée, je veux dire le maintien de la loi dans la matière spéciale de l'emprisonnement provisoire et de la détention, me font sentir la nécessité d'adopter l'avis de la commission, de faire reconnaître par la chambre qu'il ne peut pas y avoir, qu'il ne doit pas y avoir délibération, que le renvoi serait sans objet, et qu'il n'est pas possible de statuer. Ma conviction a été à tel point fortifiée par le discours de M. le ministre des affaires étrangères, que, s'il m'était possible, je demanderais la question préalable. »

Ici l'orateur réclamait la permission de répondre aux observations soumises à la Chambre, en s'appuyant sur les faits présentés et caractérisés, disait-il, avec tant de vérité par M. de Broglie.

Ces faits, dans lesquels M. Berryer, s'armant des aveux

du ministère, voyait autant d'actes consommés en violation des lois au préjudice de la branche aînée, il les énumérait à son tour, non sans exciter des murmures, des interruptions, et il déclarait qu'il était temps de s'arrêter.

« Vous arrêter, messieurs, ajoutait-il ! Mais en effet, ne comprenezvous pas que cette délibération jetterait encore le trouble dans les pouvoirs? ne comprenez-vous pas que toute cette discussion perd mème tout caractère d'honneur et de loyauté, car elle ne peut pas être de bonne foi? Le récit qu'a fait le ministre des affaires étrangères des grands événemens qu'il a signalés et caractérisés, le fait consommé dans la journée du 7 août 1830 signale le point de vue sous lequel se présente madame la duchesse de Berry, sur le sort de laquelle vous êtes appelés à délibérer; elle représente un principe, un fait antérieur à celui dans lequel la chambre actuelle a pris naissance. Ce sont deux principes opposés.

« Le 7 août 1830, vous avez déclaré qu'attendu que les princes de la branche aînée étaient hors du territoire ou en sortaient, il y avait lieu à pourvoir à la vacance du trône; et vous avez constitué un ordre de choses qui est en opposition avec l'ordre de choses auquel appartenait madame la duchesse de Berry. D'après le principe qui était la loi fondamentale de cet ordre de choses, elle représente son fils appelé à continuer cet ordre de choses. C'est donc vous convier à détruire votre propre ouvrage, ou à faire un acte de violence, de nécessité, que de vous demander de délibérer: si vous délibériez, vous seriez juges et partie. Tout ce qui peut ressembler à une délibération, à un jugement, jne peut être accueilli dans un tel état ; il ne peut y avoir délibération que par ceux qui ont protesté contre l'événement du 7 août; mais pour le gouvernement, il ne peut y avoir délibération légale en demeurant fidèle au droit; il ne peut être question que de précautions pour se maintenir. Le pouvoir est établi, il a dû prendre des mesures pour sa conservation: quant à la délibération, elle ne peut être, comme on l'a dit, qu'une comédie; les votes sont tracés à l'avance. Vous ne pouvez point délibérer: c'est sur ce point de fait que je dis qu'il faut passer à l'ordre du jour.

« Si l'on renvoie au ministère, de deux choses l'une ou ce sera pour faire juger, ou pour qu'il exécute l'ordonnance du 8 novembre dernier. Sous ces deux rapports, il est évident que le renvoi aux ministres est inutile; car, d'une part, le jugement ne peut avoir lieu, et les ministres, mieux avisés, n'essaieraient pas de présenter un projet de loi pour faire statuer sur la duchesse de Berry. Je ne m'arrête pas aux considérations présentées par M. le ministre, d'où il a fait résulter l'impossibilité du jugement; je ne m'arrête pas aux craintes qu'il a manifestées sur le désordre que la question de jugement exciterait dans le pays; mais je comprends ce qu'a dit M. le ministre, quand, analysant la question portée devant la cour d'assises, il a dit: Ce serait la question d'existence du gouvernement, ce serait tout l'ordre de choses actuel qui serait mis en jugement en présence du droit que la duchesse de Berry tient de l'ancien ordre de choses. (Braits divers.)

Je ne saurais le nier, messieurs; c'est avec un grand discernement et avec un grand esprit de franchise que M. le ministre a posé ici la question de cours d'assises. Quand je m'oppose au renvoi devant le ministre afin de solliciter la mise en accusation, je ne m'arrête pas à cette première considération; il en est d'autres bien plus graves.

« Pour qu'il y ait jugement, il faut qu'il y ait juridiction ; pour qu'il y

ait jugement, il faut qu'il y ait une loi applicable, et le jugement se prononce en conséquence de l'obligation violée.

« La loi n'est applicable qu'autant qu'elle est obligatoire; et parce qu'il y avait obligation de soumission de la part des sujets envers le souverain, ces rapports du sujet envers le souverain, quand ils ont été violés, nécessitent l'application des lois qui les établissaient d'une manière naturelle et nécessaire.

« Mais s'il s'agit d'une question où l'on ne puisse pas parler de soumission au pouvoir établi; s'il s'agit d'un accusé qui n'était pas sujet du chef du pouvoir, tous les principes sont violés, si vous venez soulever une question de jugement. Trouvez douze jurés qui déclarent dans une cour d'assises que la duchesse de Berry a été rebelle envers le gouvernement dont Louis-Philippe est le chef; vous ne pourrez les rencontrer, à moins que l'on ne trouve des jurés qui cèdent à des questions de passions et de nécessité, que l'on peut introduire, je crois, dans des circonstances graves, mais que je ne conçois pas que l'on puisse introduire dans des décisions judiciaires.

"Quelques personnes ont proposé une juridiction exceptionnelle, la cour des pairs. Mais cette proposition, qui ne change rien à la question principale de savoir s'il peut y avoir jugement, déclaration de rébellion, répression pour violation à la loi, au gouvernement auquel on était soumis, ne présente qu'une inconséquence de plus; car pourquoi la chambre des pairs? Est-ce en considération du haut rang, de la dignité de la personne? L'inconséquence serait plus grave, si avec cet aveu vous la livriez à cette juridiction. Je ne cherche pas des émotions qui, malgré moi, me pénètrent, mais il y a dans le rapprochement de cette Chambre des pairs où Louvel a été condamné, et où madame la duchesse de Berry serait amenée, quelque chose qui blesse les cœurs généreux. Je crois voir, dans l'immense tragédie des malheurs de cette famille une sorte de règle qu'elle soit là, pour que le dernier acte se consomme où le premier a commencé.

« Ecartons donc la question de jugement par les tribunaux ordinaires ou extraordinaires; car il ne peut pas être question de jugement là où tous les principes sont évidemment violés. De ces observations, messieurs, il résulte que le renvoi au ministre, qui vous est proposé, serait sans objet.

« C'est toujours au nom de la nécessité que l'on viole les principes fondamentaux de la société ; c'est au nom de la nécessité que l'on prétendrait présenter un projet de loi dans les termes de l'ordonnance. Pourrait-il être dans la volonté de cette Chambre de demander un projet de loi qui ne serait, après tout, qu'une décision sur des faits accomplis?

« Rappelez-vous quelles raisons ont en tout temps été mises en avant, lorsque après avoir pris quelque mesure politique de cette nature, on a voulu y faire participer les Chambres. Si je résume les raisons présentées dans les premiers temps de la Convention, vous verrez qu'ils sont iden tiquement les mêmes. Quand Robespierre et d'autres disaient qu'il fallait se créer une providence nationale, ce résultat ne fut pas seulement de faire prononcer l'inique et fatal jugement d'un seul homme, d'un roi, mais d'ouvrir la carrière dans laquelle on a marché. Quand la confusion des pouvoirs a été accueillie, quand les décisions législatives ont pu donner ouverture à des dispositions injustes, les lois de proscription sont devenues sans nombre. Vous connaissez l'histoire : je repousse toute analogie offensante, vous ne voudrez pas ordonner un renvoi qui aurait pour effet d'appeler vos délibérations sur une loi semblable.

«Des hypothèses qui vous ont été présentées, il en est une encore sur laquelle je ne vois pas que la Chambre ait à délibérer, sur laquelle je crois qu'il faut clore toute discussion, puisqu'il ne nous appartient pas de pro

noncer, et que la solution d'une telle question n'appartient pas au pouvoir législatif.

L'on a dit qu'on pouvait} considérer madame la duchesse de Berry comme prisonnière de guerre, et qu'en conséquence on prendrait à son égard telle mesure qu'il conviendrait. Je comprends mieux ainsi la position. J'admets l'hypothèse de M. le ministre des affaires étrangères, sur laquelle la Chambre n'a pas à s'expliquer. Le droit de paix et de guerre s'exerce par le pouvoir exécutif, et l'intervention des Chambres n'est dans ce cas que secondaire, et n'a lieu que pour ratifier par les conséquences financières les actes du pouvoir exécutif. Sous ce rapport, la Chambre, Dieu merci, peut donc garder le silence, et par l'ordre du jour on entend laisser tomber sur le ministère la responsabilité de la solution de cette question.

« Dominant toutes les considérations, je ne demande pas au ministère d'écouter les vœux des partis; je ne lui demande pas d'obéir aux ardentes prières des personnes qui en France sont vivement touchées du sort de madame la duchesse de Berry, qui ont gardé d'elle un souvenir, qui manifestent tant de zèle en sa faveur ; je lui demande seulement de bien apprécier les circonstances où nous sommes, de ne se laisser aveugler par aucun emportement d'intérêt actuel, mais de considérer les intérêts à venir (murmures), de jeter un coup d'œil sur les quarante dernières années de notre dernière révolution, et de considérer quel a été le sort de la plupart des institutions que l'on avait faites. Toutes ces considérations, qui touchent au repos, à la paix du pays, c'est au ministère à les peser; il n'a dans ce moment qu'un pouvoir de fait; il détient la captive, il assimile ses actes au cas de guerre. La résolution lui appartient tout entière, la responsabilité ne doit peser que sur lui; les Chambres doivent être complétement en dehors. Elles ne peuvent rentrer dans la question qu'en rentrant dans la carrière qu'a signalée en termes si effrayans M. le ministre des affaires étrangères.

« Je persiste à demander à la Chambre de reconnaître qu'il ne lui appartient pas de s'immiscer dans la question, de se constituer juge et partie, et de procéder par un ordre du jour à la solution de la question actuellement ouverte. >>

Le ministre du commerce et des travaux publics, M. Thiers, s'empressant de monter à la tribune, commença par ces paroles: « Je viens, dit-il, appuyer l'ordre du jour et contre ceux qui l'ont combattu, et contre le dernier orateur qui l'a si habilement compromis en le défendant. (Rire général d'approbation.) »

Après avoir dit que le ministère ne redoutait point la responsabilité de l'arrestation de la duchesse de Berry, qu'il ne voulait pas rejeter cette responsabilité sur la Chambre, et que c'était pour rendre hommage au gouvernement qu'il avait résolu de s'en expliquer devant la Chambre, M. Thiers entreprenait de répliquer aux deux opinions qui s'étaient déjà expliquées.

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