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A la première opinion, celle des partisans de la prisonnière, qui, ne considérant le gouvernement que comme un gouvernement de fait, lui refusaient le droit de faire juger la princesse, il répondait que, dans cette hypothèse même, le droit du gouvernement serait inattaquable, mais que d'ailleurs le gouvernement de juillet n'en était pas réduit à cet argument, que son droit sortait de l'origine la plus pure et la plus sacrée, d'une révolution qui avait exprimé d'une manière si terrible, si éclatante et si généreuse en même temps, la volonté nationale.

A la seconde opinion, qui, en vertu du principe de l'égalité devant la loi, demandait le renvoi de madame la duchesse de Berry aux tribunaux ordinaires, M. Thiers accordait que ce principe était la plus belle conquête de la révolution de 89, confirmée par celle de 1830. Cependant il faisait observer que, pour certaines existences, renfermées dans le cercle d'une famille, la loi commune ne suffisait pas, soit que cette famille fût en possession du trône, soit qu'elle en fût descendue. A l'égard d'une famille qui a régné, il n'existe pas de jugement; on ne juge pas les princes dans les temps de barbarie ou de passions politiques, on les immole; dans les temps de générosité, de civilisation, comme le nôtre, on les réduit à l'impuissance de nuire. Toutes les formes judiciaires ne sont que de l'hypocrisie : c'était une hypocrisie que le jugement de Charles I, que le jugement de Louis XVI, que la commission militaire qui jugea le duc d'Enghien dans la prison du château de Vincennes. Une mesure politique ne saurait effrayer personne, car il n'y a pas dans l'état une seconde famille à qui cette mesure pût être appliquée.

Si vous appelicz madame la duchesse de Berry devant les tribunaux, poursuivait-il, dites-nous comment vous établiriez cette cause; car enfin si vous voulez faire un procès, il faut se soumettre à toutes les formes judi-iaires; devant les tribunaux il faut un fait précis, une loi, des témoins. (Mouvement d'attention.) Eh bien! vous avez eu d'autres causes politiques, devant les tribunaux, vous en savez les résultats. Madame la duchesse de Berry est descendue en France..... (Nouveau mouvement d'attention.)

Il ne suffit pas que nous l'y ayons trouvée. Quant à ce fait, il est incon testable.

« La loi de 1831 ne prononce que l'exclusion. C'est donc un renvoi, si vous n'avez pas d'autre preuve que sa présence en France. Pour qu'elle soit jugeable, que le procès ait une issue et ne soit pas un triomphe pour elle, il faut que vous puissiez prouver autre chose que sa présence; la par ticipation directe aux faits de guerre civile qui ont éclaté dans la Vendée. (Bruit confus... Quelques voix: Et les proclamations!... Vous avez entre vos mains toutes les pièces pour établir ces faits.)

e M. le ministre. On parle des proclamations, on les niera devant les tribunaux. On vous cite la conviction que tout le monde a et que j'ai aussi, car comme vous je pense que madame la duchesse de Berry est venue en Vendée pour y exciter la guerre civile. En politique, cette conviction est une preuve; devant les tribunaux ce n'en est pas une; il vous faudrait des témoins qui vous disent qu'ils l'ont vue à la tête des bandes ; et je vous le demande, où sont ces témoins? ( Murmures... agitation.)

« Je dis que la duchesse de Berry échappe au droit commun; que la cause elle-même, par sa nature, parce qu'elle est toute politique, échappe aussi aux formes judiciaires ; que le procès n'amenerait que ce que nous redouterions tous, un acquittement après jugement. Eh bien! l'acquitte ment de madame la duchesse de Berry à la face du pays serait une condamnation du gouvernement même. Je sais bien qu'il est au-dessus des erreurs même de la justice; mais puisqu'il s'agit ici de politique, que c'est de politique que nous parlons, je vous le demande, voudriez-vous un événement comme celui-là ?

« Vous vous rappelez toutes les attaques auxquelles le gouvernement a été en butte à l'occasion d'un de nos collègues qui a été acquitté. Que serait le procès de M. Berryer, puisqu'il faut le nommer, à côté de celui de madame la duchesse de Berry; que serait-ce qu'un tel acquittement à la face de nos lois et nos convictions mêmes? (Murmures.)

«M. Berryer. Si j'ai été acquitté, c'est que l'on a bien jugé, personne ne s'en plaint.

«M. le ministre. Je suppose enfin que vous l'ameniez à Paris, qu'elle parût devant la juridiction à laquelle sont déférés habituellement les délits politiques. Permettez-moi de vous montrer les conséquences d'une conduite qui me semble telle que je ne conçois pas que des hommes raisonnables, attachés à leur pays, puissent nous conseiller de lui en donner le spectacle.

Vous la feriez venir de Blaye à Paris; vous échelonneriez 80 ou 100 mille hommes sur la route. (Nouveau bruit, vives réclamations.)

« Une voix. Vous disiez qu'il n'y avait pas de carlistes: il y en a done ?

a M. le ministre. Vous transporteriez la prisonnière à Paris; vous l'enverriez sur la sellette du Luxembourg; vous la mettriez en face de la Chambre des pairs, de l'un des grands pouvoirs de l'état; vous renouvelleriez les scènes épouvantables et devenues plus graves encore, du jugement des ministres. (Dénégations nombreuses... Longue agitation.)»

Lorsque le calme eut été rétabli, M. Thiers termina en rappelant les entreprises des partis, en indiquant leurs espérances, et en exprimant la conviction que la Chambre s'appliquerait à les tromper.

Deux des orateurs les plus influens de l'opposition répli

quèrent au ministre. M. Salverte fit observer que la stabilité des états dépendait du maintien scrupuleux et inviolable de la loi fondamentale, et qu'on pouvait réclamer l'exécution de cette loi, sans être un factieux. Quant au pouvoir de faire ce qu'on appelait des actes politiques, il le cherchait vainement dans la Charte.

«M. le ministre des affaires étrangères, disait-il, a prétendu établir ce pouvoir sur la nécessité, et là-dessus il a assimilé la révolution de juillet, la déchéance de Charles X, tous les actes qui en ont été la suite, à des actes émanés de ce pouvoir politique. Non, messieurs, c'est méconnaître absolument les événemens. Il a parlé de la Charte qu'on avait violée. La Charte de 1814? elle n'existait plus; Charles X l'avait déchirée et en avait jeté les lambeaux au vent; ils n'ont pas été retrouvés : la Charte de 1830 ? elle n'existait pas encore, elle était à faire.

<< Charles X's'était mis en guerre avec la nation, la nation l'a renversé. On a argué de sa générosité pour le malheur, des égards qu'on a eus pour Charles X à son départ, c'est à tort. La nation lui a dit : Sortez du territoire, nous vous épargnons, nous oublions le passé; mais ce n'était pas une dette, c'était un acte digne de la nation française, dont on ne peut inférer que Charles X a des droits; il n'en avait pas conservé, la révolution, et non pas cet empire fictif de la nécessité, avait brisé tous ses droits. La loi du bannissement en était une conséquence nécessaire, évidente.

« J'ai entendu parler tout à l'heure de loi fondamentale qu'on avait renversée, de quatorze siècles d'existence qui avaient donné leur sanction à la légitimité. Ces paroles souvent répétées ne s'adressent qu'à des hommes qui ignorent l'histoire de la monarchie, combien elle a été peu stable, combien a été restreinte l'allure du pouvoir monarchique; surtout elles ne peuvent pas s'adresser aux hommes qui ont fait la révolution de 89 et de 1830. Laissez donc de côté ce mot nécessité. Tous les actes qui ont suivi la révolution de juillet ont été faits par cette révolution, et en ont été le complément; et vouloir aujourd'hui, sous quelque prétexte que ce soit, recourir à une nécessité, ce serait supposer que nous sommes encore en révolution. »

M. le ministre du commerce avait dit que le procès était impossible, parce qu'il fallait des faits, une loi, des témoins; et l'instant d'après, le ministre lui-même avait cité des faits très-positifs et très-graves.

« Quant à la loi, ajoutait M. Salverte, elle est dans le Code pénal; je ne sache pas qu'il y ait nulle part une loi qui permette des actes semblables à ceux dont M. le ministre des affaires étrangères est convenu que madame de Berry était avec raison accusée.

« Mais, vous dit-on, elle est sortie du droit commun. Pourquoi? parce que la loi du 10 avril 1831 a déclaré qu'elle n'est plus Française, qu'elle ne peut plus posséder en France; par conséquent elle est étrangère à vos lois. Un honorable député de la Haute-Loire a été plus loin, il vous dit qu'elle ne pouvait être soumise aux lois. Supposez que la loi de 1831 ait assimilé madame de Berry à une personne frappée de mort civile, qu'elle l'ait rendue semblable à un étranger; dans tous les cas, si les faits

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dont elle est accusée, qui ressortent des pièces qu'on a saisies à l'époque de son arrestation et dans d'autres circonstances, constituaient un délit contre la sûreté de l'Etat, il est évident qu'une personne frappée de mort civile, qu'un étranger qui excite à la guerre civile, à l'assassinat, est dans. tous les pays du monde justiciable des tribunaux du pays qu'il veut troubler; que, quand on est sur un Etat quelconque, il n'est pas besoin d'avoir prété serment aux lois du pays; son droit est de se défendre et de frapper celui qui le trouble de la loi que personne n'est censé ignorer. Mais, vous a dit l'honorable député de la Haute-Loire, vous seriez à la fois juges et parties; madame de Berry représente un parti opposé à la révolution de juillet, au gouvernement que vous avez fondé. Il n'arrive jamais qu'une société soit ainsi divisée, ou bien il n'y aurait que la force entre les deux factions ainsi séparées. Ici le peuple français a prononcé ; et certes, quoiqu'on nous ait parlé de quelque quatre-vingt ou cent mille mécontens, en supposant qu'ils existent, ce que je ne crois pas, nombre ne ferait pas que la décision du peuple français dût être leur invalidée.

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«Quant au danger qu'on a prétendu faire ressortir d'un procès où, dit-on, le droit de la révolution de juillet serait mis en doute, je ne crois pas que· vous puissiez en être touchés. Comme l'a dit l'un des ministres, avons tous foi dans la durée de la révolution et des institutions qu'elle a fondées; nous ne craignons pas davantage qu'il soit besoin d'avoir quatrevingt ou cent mille soldats échelonnés sur la route pour un pareil jugement.

Que l'on n'assimile pas cet événement à celui du procès des ministres. Il est arrivé dans un temps où les esprits ne se ressentent plus des inconvéniens de la révolution; vous êtes aujourd'hui tranquilles, parce que les derniers événemens politiques ont prouvé à tous comme à vousmêmes qu'on ne vous attaquerait pas impunément; qu'à l'extérieur, comme à l'intérieur, vous étiez maitres de vos propres affaires. Dans cette position il faut que la loi s'exécute, qu'il n'y ait, comme on l'a dit, que le Roi d'inviolable en France.

« Quant à cette singulière théorie qui viendrait faire partager à sa famille une partie de son inviolabilité, je ne ferai qu'une réponse : elle est bien simple; c'est que toutes les exceptions à la loi commune doivent être écrites dans la loi. L'exception qui empêcherait de soumettre à un jugcment les personnes d'une famille qui a régné ou qui règne actuellement, n'existe pas dans la Charte; vous ne devez pas la supposer.

« Pour le mouvement dont on a parlé, soyez sûrs que la violation de la loi exciterait le mécontentement, et qu'au contraire son exécution achèverait d'user l'espérance aux partisans de la dynastie déchue.

Je n'ajouterai qu'un mot :'en réclamant l'exécution de la Charte, nous savons qu'elle contient tout ce qui est nécessaire pour concilier la sûreté et la dignité de la nation avec les vœux que peut vous inspirer la générosité du caractère national. »

M. Odilon Barrot s'attacha d'abord à faire comprendre quelles seraient les conséquences de l'ordre du jour proposé par la commission. La commission avait bien déclaré qu'elle n'entendait engager la Chambre dans aucune des questions que pouvaient soulever les pétitions, que cet ordre du jour ne serait de sa part qu'une déclaration d'incompétence, d'absence de pouvoirs, pour s'immiscer dans des questions dont Ann. hist. pour 1833.

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la loi seule pouvait donner la solution: mais le ministère était venu dire au contraire : « Cet ordre du jour, c'est la sanction de ce que j'ai fait; c'est mon bill d'indemnité. » Voilà ce que l'ordre du jour voudra dire : voilà le sens que le ministère a résolu d'y attacher.

«La question ainsi posée, continuait l'orateur, mérite toute votre attention. Je sais tout ce qu'on a dit sur l'omnipotence parlementaire; on a prononcé une fort belle phrase, et qui paraît avoir excité quelque sympathie de la part de cette Chambre; on a dit qu'il était des pouvoirs qui ne devaient s'arrêter que devant les limites que la raison et la prudence leur assignaient. Je nie cette omnipotence parlementaire ; je suis heureux de sentir des limites précises dans lesquelles les pouvoirs sont circonscrits; je nie que nous puissions jamais sortir de la constitution, ni de la loi ; je nie que, sous aucun prétexte, nous devions méconnaitre les limites de la raison et de la justice, car ce sont des termes que chacun qualifie et définit selon ses passions et ses intérêts; je nie que nous puissions faire tout ce qui nous plaît, tout ce qui nous convient.

« Non, Messieurs, nos pouvoirs sont des pouvoirs légaux. Que ceux qui puisent leurs exemples chez un peuple voisin renoncent à des applications qui, chez nous, seraient injustes et fausses. Non, il n'y a pas en France d'omnipotence parlementaire; il y a des Chambres instituées pour veiller à l'exécution de ces lois, et, au besoin, pour rappeler les ministres à cette exécution, pour faire droit à ceux qui se plaignent de la violation des lois, pour accuser les ministres s'ils étaient de mauvaise foi, et s'ils avaient des intentions coupables dans la violation de ces lois. Voilà la limite de nos pouvoirs, je n'en reconnais pas d'autre.

« Quant à la souveraineté de la raison et de la justice, je la connais dans l'ordre moral; mais, dans l'ordre politique, je ne connais d'autres limites que celles que la constitution elle-même a posées à nos pouvoirs.

«Si c'est d'après le droit positif, les lois existantes, que nous devons nous prononcer, je dis qu'il n'y a aucun moyen d'échapper à ces lois. Un attentat a été commis au sein de la France; on y a rattaché la duchesse de Berry. Ce n'est pas une opinion arbitraire : il y a arrêt, il y a ce que je regarde comme le plus sacré au monde, une décision judiciaire. Cet arrêt subsiste, il n'est pas cassé; le ministre reconnaît lui-même qu'il n'a aucun moyen légal de le faire tomber. Il subsisterait malgré votre décision, car vous ne pourriez casser cet arrêt sans vous rendre coupables d'une confusion de pouvoirs.

Pour que le gouvernement n'eût pas le droit de faire juger la duchesse de Berry, il faudrait la déclarer inviolable, et M. Odilon Barrot indiquait toutes les conséquences de cette déclaration. Suivant lui, M. Berryer était conséquent avec lui-même, lorsqu'il soutenait que la famille déchue n'ayant pas reconnu le gouvernement, était restée comme une puissance rivale, et qu'entre deux puissances rivales il ne pouvait y avoir que guerre, et non jugement. Telle était la doctrine de la légitimité, qui n'admettait pas

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