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des résistances redoutables; on rendrait l'instruction primaire suspecte, antipathique peut-être à une multitude de familles en possession d'une juste influence.

Nous espérons, messieurs, avoir évité dans le projet de loi ces excès différens, également dangereux. Nous n'avons point imposé un système à l'instruction primaire; nous avons accepté tous les principes qui sortaient naturellement de la matière, et nous les avons tous employés dans la mesure et à la place ils nous ont paru nécessaires. C'est donc ici, nous n'hésitons pas à le dire, une loi de bonne foi, étrangère à toute passion, à tout préjugé, à toute vue de parti, et n'ayant réellement d'autre objet que celui qu'elle se propose ouvertement, le plus grand bien de l'instruction du peuple. »

Le projet de loi se divisait en quatre titres relatifs aux objets de l'enseignement primaire, à la nature double des écoles primaires et à la composition du pouvoir sous le contrôle duquel elles devaient être placées. Le titre Ier comblait une lacune signalée depuis long-temps et que chaque jour rendait plus sensible jusqu'alors un degré d'instruction avait manqué entre les écoles proprement dites et les colléges, et il en résultait que les classes moyennes si nombreuses ne trouvant pas d'enseignement qui leur fût approprié, étaient obligées de recourir soit à l'instruction inférieure insuffisante, soit à l'instruction supérieure trop développée. En donnant deux degrés à l'instruction primaire, le projet de loi remplissait ce vide et créait l'intermédiaire nécessaire entre les écoles et les colléges. Le titre II reconnaissait à chacun le droit d'exercer la profession d'instituteur primaire : les garanties de capacité et de moralité étaient les seules conditions imposées à l'exercice de ce droit. Prévoyant l'insuffisance des écoles primaires privées, qui seront, était-il dit dans l'exposé des motifs, à l'instruction ce que les enrôlemens volontaires sont à l'armée, et dont il faut se servir sans y compter, le titre III y suppléait en créant des instituteurs primaires publics, que la commune, le département, ou enfin l'état, selon les circonstances, devaient payer, et qui recevraient aussi une rétribution des élèves; car il était statué que l'instruction primaire ne serait gratuitement donnée qu'aux enfans de parens pauvres. Des dispositions étaient encore prises sous le même titre pour relever l'état

des instituteurs primaires, pour assurer leur existence présente et leur avenir. Le titre IV créait des comités de surveillance chargés de pourvoir à l'exécution régulière de la loi, et définissait l'étendue et les limites de leurs attributions. Par la composition de ces comités les intérêts partiels et généraux se trouvaient suffisamment garantis, les influences locales et administratives convenablement combinées. Un cinquième titre enfin autorisait les communes, selon leurs besoins et leurs ressources, à ouvrir, en se conformant à la loi, des écoles primaires destinées aux filles.

Quant à cette matière délicate, M. Guizot déclarait qu'elle était susceptible peut-être d'innovations utiles; mais on ne saurait les tenter avec trop de prudence, et il avouait qu'avant de rien présenter aux Chambres de spécial en ce genre avec quelque confiance, il avait encore besoin des leçons du temps et de l'expérience.

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En effet, messieurs, ajoutait-il en terminant, l'expérience est notre guide. C'est elle seule que nous voulons suivre et que nous avons cons➡ tamment suivie. Il n'y a ici aucune hypothèse. Les principes et les procédés employés dans cette loi nous ont été fournis par les faits; elle ne contient pas un seul article organique qui déjà n'ait été heureusement mis en pratique.

Nous avons pensé qu'en matière d'instruction publique surtont, il s'agit plutôt de régulariser et d'améliorer ce qui existe que de détruire pour inventer et renouveler sur la foi de théories hasardeuses. C'est en travaillant sur ces maximes, mais en travaillant sans reláche, que l'administration est parvenue à communiquer à cette importante partie du service public une marche forte et régulière, au point qu'il nous est permis de dire sans aucune exagération que, depuis deux ans, il a été plus fait pour l'instruction primaire par le gouvernement de juillet, que depuis quarante années par tous les gouvernemens précédens. La première révolution avait prodigué les promesses sans s'inquiéter des résultats. L'empire épuisa ses efforts dans la régénération de l'instruction secondaire; il ne fit rien pour celle du peuple. La restauration, jusqu'en 1828, a consacré 50,000 fr. par an à l'instruction primaire.

« Le ministère de 1828 obtint des Chambres 300,000 fr. La révolution de juillet nous a donné un million chaque année, c'est-à-dire en deux ans, plus que la restauration en quinze années. Voilà les moyens, voici ics résultats.

"

« Vous le savez, messieurs, l'instruction primaire est tout entière dans les écoles normales primaires. Ses progrès se mesurent sur ceux de ces établissemens. L'empire, qui le premier prononça le nom d'école normale primaire, en laissa une seule; la restauration en ajouta cinq à six.

« Nous, messieurs, en deux années, nous avons perfectionné celles-là, dont quelques unes étaient dans l'enfance, et nous en avons créé plus de

trente, dont une vingtaine sont en plein exercice, et forment dans chaque département un vaste foyer de lumières pour l'instruction du peuple. Tandis que le gouvernement perce des routes dans les départemens de l'ouest, nous y avons semé des écoles ; nous nous sommes bien gardés de toucher à celles qui étaient chères aux habitudes du pays; mais nous avons mis dans le cœur de la Bretagne la grande école normale de Rennes qui portera ses fruits, et nous lui avons donné une ceinture féconde d'écoles normales de divers degrés, une à Angers, une à Nantes, une autre encore à Poitiers.

« Le Midi a maintenant plus de cinq grandes écoles normales primaires, dont les unes sont déjà, et les autres seront bientôt en activité. Enfin messieurs, nous nous croyons sur la ronte du bien. Que votre prudence entende la nôtre; que votre confiance nous soutienne et nous encourage, et le temps n'est pas éloigné où nous pourrons dire tous ensemble, ministres, députés, départemens, communes, que nous avons accompli, autant qu'il était en nous, les promesses de la révolution de juillet et de la Charte de 1830, dans ce qui se rapporte le plus directement à Pinstruction et au vrai bonheur du peuple. :

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Lorsque ce projet de loi fut communiqué à la Chambre élective, elle avait déjà renvoyé à une commission une proposition relative au même sujet ; en nommant une seconde commission pour examiner le projet du gouvernement, c¦le ordonna qu'elle se joindrait à la première, afin qu'un seul et même travail sur la proposition et le projet fùt fait à la fois par tous les commissaires réunis. Les deux commissions, après s'être éclairées de plusieurs pétitions que leur avait renvoyées la Chambre, avaient. adopté le projet du gouvernement pour base de la loi ; elles en avaient accueilli presque toutes les dispositions avec faveur, Une discussion s'était élevée sur la question de savoir si, conformément au projet, l'instruction religieuse ferait partie des matières comprises dans l'enseignement primaire, ou si, comme l'avait jugé une autre commission dans la session précédente, elle devait être réservée exclusivement aux ministres du culte et renfermée dans les églises. Ce problème, qui ne portait pas sur l'utilité de l'instruction religieuse, mais sur le choix des organes propres à la répandre, avait été résolu par les nouvelles commissions dans le sens du projet, par des considérations que le rapporteur collectif, M. Renouard, exposa ainsi (séance du 4 mars);

L'instruction religieuse n'est pas de nature à être concentrée dans le

cercle étroit de quelques leçons; elle ne saurait être, dès le premier âge, présentée sous trop de formes à tous les esprits. Elle se mêle, comme la morale, aux plus simples paroles que l'on adresse à l'enfance. Nous vou-. lons tous le succès des écoles. Réfléchissez si les parens seraient appelés par un attrait bien puissant à y envoyer leurs enfans, après qu'il aurait été officiellement déclaré par la loi que les saintes Ecritures, que le catéchisme, que l'histoire sacrée ne pourraient plus y être adoptés comme livres de lecture; car, pour peu que l'on tienne à se montrer conséquent, il est inévitable d'aller jusque-là, si l'on interdit aux instituteurs de s'immiscer dans l'instruction religieuse. Croyez bien qu'une partie considérable de la population, mue par un sentiment digne de nos respects, reculerait loin de nos écoles, si, sans égard à l'état des mœurs, et brisant de longues habitudes, nous ne permettions aux parens d'y retrouver aucun de ces livres auxquels une longue vénération s'attache, et si l'on n'y redisait jamais quelqu'une de ces prières et de ces leçons que les pères et mères ont eux-mêmes entendues dans leur enfance, et qu'ils se regarderaient comme coupables de ne pas mettre au dessus de tous les autres enseignemens.

« Personne n'ira sans doute jusqu'à prétendre que l'on puisse interdire l'instruction religieuse dans les écoles primaires privées. Il est facile de comprendre quelle redoutable concurrence et quelle défaveur s'éleveraient contre les écoles publiques dans lesquelles cette même instruction serait prohibée. »

Les commissions avaient non seulement approuvé vivement la division de l'instruction primaire en deux degrés, mais, allant même au-delà du projet, elles proposaient que le million affecté par le budget à l'instruction primaire fût réservé intégralement à l'instruction primaire élémentaire, et que l'instruction primaire supérieure reçût une allocation supplémentaire de 500,000 francs.

Accueillant également toutes les dispositions portées aux titres II et III du projet, et n'ayant trouvé que de minimes changemens à y introduire, les commissaires faisaient subir aux articles du titre IV, relatifs aux comités de surveillance, quelques modifications plus considérables, sur lesquelles nous nous étendrons dans le cours des débats. En résumé, le rapport était largement approbatif.

« Le projet de loi, disait M. Renouard, nous a paru simple, franc et pratique. Il admet et organise, avec une entière sincérité, dans l'instruction primaire, la liberté d'enseignement promise par la Charte; et nous avons aimé à y trouver un gage des améliorations qui seront introduites dans les autres parties de l'instruction publique, lorsque le législateur pourra enfin s'occuper complétement de cette matière difficile, qui intéresse à un si haut degré nos devoirs envers les générations futures. La liberté d'enseignement, même dans l'instruction primaire, en même temps qu'elle répandra dans le pays sa force fécondante, armera souvent, contre

les idées qui nous sont les plus chères à tous, des opinions et des influences ennemies sans cela, elle ne serait pas la liberté. Mais nous l'aimons ainsi, parce que nous avons foi en elle et en nous, et parce que nous savons que l'avenir appartient à la vérité. »

A l'époque où ce rapport fut présenté ( 4 mars), la Chambre était saisie de différentes questions qui la conduisirent à la fin de la session, sans qu'elle ait pu ouvrir la discussion sur le projet elle le retrouva donc tout préparé pour la mise en délibération, lorsqu'elle reprit ses travaux dans la session de 1833. La marche des débats fut rapide. Les considérations de principe avaient été tellement épuisées, elles étaient devenues si banales que les orateurs inscrits pour la discussion générale renoncèrent à la parole, de sorte que la discussion commença aussitôt sur les articles.

29 avril. Le premier paragraphe de l'article 1er, relatif à la division de l'instruction primaire en deux classes, fut adopté sans contestation; mais les autres paragraphes, concernant les matières de l'enseignement comprises dans les deux degrés, donnèrent lieu à quelques débats. Un amendement de M. Salverte, qui proposait d'introduire les notions des droits et des devoirs politiques parmi les matières à enseigner, fut assez vivement discuté. M. Salverte pensait que, par l'effet de cette omission, l'instruction primaire qui devait tendre à former des citoyens ne pouvait pas atteindre son but. Il s'étonnait d'avoir à signaler une pareille lacune dans le projet de loi.

« Je conçois, dit-il, que, dans les idées de l'empire, dans les idées de la restauration, on éloignât toute idée de droit et de devoir politique dans l'instruction. Mais je crois que, sous le gouvernement de juillet, sous une constitution qui tend à faire des citoyens et à étendre le plus loin possible leurs droits et leurs devoirs, l'instruction primaire manquerait son but, si elle ne faisait pas mention des premiers élémens de cette science, la plus nécessaire après la science de la morale. »

Appuyé et développé par M. Laurence, cet amendement fut combattu par MM. de Podenas et Renouard comme inutile et comme dangereux; comme inutile en ce que l'instruction morale portée au projet comprendrait les notions politiques qu'il était convenable d'inculquer aux enfans; comme

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