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que la révolution de juillet eût détruit ou fondé aucun droit.

« Eh bien! cela étant, poursuivait l'orateur," je conçois très-bien que tant que la guerre a existé, tant que le fer seul a prononcé entre Charles X et ses défenseurs, tant que les chances du combat se sont prolongées, je conçois très-bien que la force en ait décidé. Quand on est venu d'une manière pénible faire intervenir le cabinet des Tuileries ou du Palais-Royal dans le grand événement de juillet, dans ce grand élan du peuple des barricades vers Rambouillet pour consommer sa grande et glorieuse révolu❤ tion, on s'est complètement mépris. Nous étions alors en état de guerre et de révolution, la France seule a prononcé entre Charles X et le peuple ; et la nation française, par la force et par le droit réunis, a brisé le lien qui l'unissait à Charles X. Les pouvoirs politiques ne sont venus que déclarer un fait, ce qui existait. Le droit naissait de ce que le contrat lui-mêmé était brisé. Nous reconnaissons toutes les erreurs, tous les écarts qui procèdent de la manière différente d'envisager notre révolution.

« Ainsi, vous nous accusez d'avoir violé la loi, la Charte, sous l'influence, il est vrai, d'une impérieuse nécessité. Ainsi nous avons violé la Charte, quand nous avons chassé Charles X, lorsque nous l'avons déclaré déchu, lorsque plus tard nous lui avons interdit l'accès du territoire, lorsque nous avons fait juger les ministres de Charles X. Et nous, Messieurs, nous vous disons: Non, nous n'avons pas violé la Charte; car elle n'existait plus dès que Charles X l'avait déchirée lui-même, qu'elle avait été ensevelie sous les pavés de nos barricades. (Très-bien, très-bien.) La Charte n'a pas été violée lorsque nous avons entouré de soins, d'attentions, Charles X, en le conduisant à Cherbourg; et je me fais gloire d'avoir été l'instrument de la générosité nationale dans cette circonstance. Certes nous ne reconnaissions pas par-là l'illégalité de notre révolution et la légitimité du roi déchu; nous n'avons pas violé la Charte, lorsqu'à Cherbourg, saluant le roi parjure, nous lui avons dit: Oublions le passé, mais n'y revenez plus. Nous n'avons pas violé la Charte, lorsque, jugeant les ministres pour un fait consommé, au sein de la cité, contre les lois existantes, nous leur avons appliqué les lois; nous n'avons pas violé la Charte, lorsque plus tard nous avons déclaré que l'accès du territoire français était interdit à la famille déchue. Tout cela n'était que la conséquence du combat qui s'était livré en France entre le droit divin et la souveraineté nationale; mais ce combat a été terminé, lorsque notre constitution a été votée et jurée, lorsque le Gouvernement a été investi de la puissance et du fait et du droit.

« Et deux ans après notre révolution, lorsqu'une femme vient à la dérobée se jeter au sein de nos provinces et armer les bras des assassins et des incendiaires, dire que le combat dure encore, réclamer encore le droit de la guerre, l'inviolabilité du droit des gens, c'est supposer qu'il n'y a pas eu d'issue à ce combat de juillet, qu'il n'y a pas eu un dénouement, que ce dénouement n'a pas été la consolidation à jamais de notre Gouver nement, de ne plus reconnaître que des ennemis et des criminels dans ceux qui l'attaqueraient.

« Ainsi, vous le voyez, le point de départ est différent ; les conséquences devaient l'être aussi. La révolution de juillet a été consommée par la victoire du droit sur la force; une fois consommée, il n'est plus permis de reconnaître les droits qu'elle a détruits; il n'y a contre elle que des existences privées, que des faits individuels passibles de la loi française. »

M. Odilon Barrot traitait ensuite la question de haute,

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police, de sûreté publique, sur laquelle M. Thiers avait beaucoup insisté. Il ne pouvait croire aux dangers qu'on présentait comme inséparables de l'exécution des lois.

Après ce discours, la clôture, déjà vivement réclamée auparavant, fut prononcée. M. Viennet ayant demandé que l'ordre du jour fût motivé sur les conclusions du rapporteur, le président lui répondit que la Chambre ne motivait pas ses décisions, qu'au surplus elle ne s'engageait nullement, et il mit aux voix la proposition de la commission, divisée en deux parties: 1o le renvoi au garde des sceaux de quelques pétitions paraissant renfermer des délits, ou même des faux; 2° l'ordre du jour pur et simple à l'égard de toutes les autres. La Chambre vota dans ce sens : le renvoi au garde des sceaux fut prononcé à la presque unanimité; cinquante ou soixante membres seulement se levèrent contre l'ordre du jour.

Ainsi se termina cette longue et solennelle séance, la plus remarquable de toute la session peut-être, si l'on considère l'importance de la question qui s'y débattit. L'issue en fut conforme aux voeux du ministère, et il crut pouvoir s'en féliciter hautement dans les feuilles dévouées à sa cause, tandis que les journaux de l'opposition accusèrent la décision de la Chambre d'établir un nouveau droit public, ou plutôt de substituer la raison d'état, devise de tous les gouvernemens absolus, au droit public établi par la Charte de 1830. Ces mêmes journaux se plaignirent encore de ce que la discussion eût livré la révolution de juillet à ses ennemis, en sorte que, pour soutenir sa thèse, le défenseur de la légitimité n'avait cu rien de mieux à faire que de s'emparer des assertions de M. le duc de Broglie: ils voyaient là, tout à la fois, un scandale et une faute. Quoi qu'il en soit, le ministère demeura pleinement le maître d'ordonner à son gré de la princesse prisonnière. Plus tard nous verrons comment il usa de ce pouvoir, qui n'avait plus même à redouter l'ombre la plus légère de responsabilité.

La Chambre passa bientôt à des travaux d'une moindre

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importance. Dans la séance du 7 janvier, elle écouta le développement d'une proposition relative à la disparition du sieur Kessner, caissier général du Trésor, qui avait pris la fuite dans les premiers jours de l'année 1852, laissant un déficit de plus de six millions. L'auteur de la proposition, M. Salverte, demandait que le préjudice porté au Trésor par cette soustraction, ainsi que la responsabilité, qui pouvait en devenir la conséquence, fussent, dans le cours de la session actuelle, soumis à un examen spécial. Il rappelait que, l'année précédente, le 1er février, la Chambre avait nommé une commission d'enquête, en lui prescrivant de remonter aux causes de la malversation du caissier, et de constater à la fois si toutes les précautions propres à la prévenir avaient été prises, conformément aux réglemens qui régissent l'administration du Trésor, et si, lorsque le crime avait été connu, le gouvernement avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour s'assurer de la personne du fonctionnaire prévenu d'infidélité. L'enquète avait été suivie avec zèle par la commission; mais le rapport n'ayant pu être fait que le 12 avril, aucune discussion ne s'en était suivie. Très-lucide dans l'exposition des faits, le travail était bien moins explicite sur les conclusions que l'on devait en tirer on voyait que dans l'opinion, dont le rapporteur M. Martin (du nord) était l'organe, les faits ne donnaient lieu, ni à l'application de la responsabilité ministérielle, ni même à une sévère improbation. Telle n'était pas l'opinion de M. Salverte, qui s'autorisait des faits contenus dans le rapport pour démontrer que le ministre (M. le ba ron Louis), suffisamment averti, n'avait pris, ni avant ni après l'événement, aucune des mesures que lui prescrivaient la prudence et l'intérêt public.

La prise en considération de la proposition fut peu contestée : M. Martin (du nord) l'appuya même, en ce sens qu'il désirait de voir trancher définitivement la question de responsabilité ministérielle, et qu'il pensait que la Chambre

était à même de le faire sur-le-champ. Le ministre des finances, M. Humann, la combattit seul, par le double motif que, quant à l'avenir, toutes les précautions étaient prises pour que pareil abus ne se renouvelât plus, et que, quant au passé, le réglement des comptes de l'exercice de 1831 offrirait l'occasion de vider toutes les questions relatives au déficit. Néanmoins la majorité de la Chambre vota pour la prise en considération de la proposition, et le rapport de la commission chargée de l'examiner conclut à son adoption (12 janvier), qui fut prononcée quelques jours après (19 janvier.)

Afin de présenter ici l'historique complet de cette proposition, nous nous permettrons d'anticiper sur l'ordre des délibérations de la Chambre. Le 23 mars suivant, M. Martin (du nord) lut un nouveau rapport dans lequel, examinant la question de responsabilité pécuniaire, il déclarait que, sur ce point, la commission nouvelle partageait l'avis de la commission nommée le 1er février 1832, et qu'elle avait écarté cette responsabilité à, l'unanimité. Mais la minorité avait pensé que M. le baron Louis avait commis une faute, en permettant de négliger le contrôle, qui seul pouvait être une garantie rassurante; qu'il n'avait pas suffisamment surveillé l'exécution de son propre arrêté du 25 avril 1831; qu'il avait méprisé les avis qui lui avaient été donnés sur les opérations hasardeuses auxquelles se livrait le caissier central; qu'après l'arrêt de la cour des comptes, aussi bien qu'après la découverte d'un déficit, il n'avait pris aucune des mesures dictées par son devoir de tous ces faits, elle avait tiré la conséquence que la conduite du ministre devait être sévèrement blàmée. La majorité avait, au contraire, repoussé une opinion rigoureuse, en se fondant sur ce que M. le baron Louis, préoccupé d'ailleurs des circonstances politiques, dont la gravité réclamait tous ses soins, n'avait fait que suivre les erremens de ses devanciers, et s'abandonner à la confiance généralement inspirée par Kessner. La commission proposait donc le projet de résolution suivant : « La

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Chambre déclare que M. le baron Louis n'a encouru, en sa qualité de ministre des finances, aucune responsabilité à raison des malversations, dont le caissier central Kessner s'est rendu coupable, en 1831, au préjudice du Trésor. »

Une discussion approfondie s'ouvrit, le 12 avril, sur ce rapport. M. Salverte, le premier, en combattit les conclusions, et proposa à la Chambre de sanctionner l'avis de la minorité de sa commission, en déclarant que M. le baron Louis, en sa qualité de ministre des finances, avait engagé sa responsabilité morale et mérité un blâme sévère. M. Martin (du Nord) répondit à M. Salverte, qu'appuyait M. Portalis, et dont M. Réalier Dumas amendait la proposition. Le ministre des finances, M. Humann, était aussi intervenu dans le débat, lorsque M. Dupin souleva une question constitutionnelle, qui jusqu'alors n'avait été traitée par aucun

orateur.

« Quel est, dit-il, le droit de la chambre vis-à-vis d'un ministre? (Et ici vous remarquerez encore que le ministre est pair de France; mais je ne considère cette circonstance que comme un accident survenu depuis.) La chambre a, en matière de haute trahison ou de concussion, le droit d'accusation, c'est-à-dire le droit de signaler les faits à raison desquels elle croit qu'ils peuvent être condamnés; mais elle n'a pas le droit de les juger; le jugement est déféré à l'autre chambre, et cette chambre ne juge qu'après avoir entendu. De cette manière le droit public'est observé, et il n'est pas porté préjudice au droit privé.

«En matière de finances, quel est le droit de la chambre? Je ne pense pas, comme l'ont prétendu quelques hommes publics, qu'il faille toujours que tout dégénère en accusation contre les ministres, qu'on ne puisse atteindre de mauvaises opérations de finance que par une accusation capitale en quelque sorte. Je pense, au contraire, qu'il peut y avoir une respon sabilité civile, mais toujours exercée dans les termes de la constitution, avec les formes et les garanties qui appellent la chambre à statuer réguliérement.

«Ainsi toute question de dépense, toute question de comptabilité arrive à la chambre d'une manière régulière par la loi des comptes : la chambre est appelée à examiner chaque article des comptes, et il n'est pas néces saire qu'un article soit criminel pour qu'il ne soit pas accepté par vous; il suffit qu'il soit irrégulier, qu'il y ait un mauvais ordonnancement, des faits imputables au ministre, et qui autorisent à rejeter la dépense. Ce droit n'est pas douteux, vous l'avez déjà exercé plusieurs fois, soit à l'égard du ministre de la justice, soit à l'égard du ministre de la guerre. Seulement il existe une lacune dans nos lois, en ce que la loi sur la responsaLilité des ministres n'existant qu'en principe, n'étant pas encore organi sée dans ses effets et dans la procédure, on n'a pas réglé encore le mode ultérieur de procéder après que vous avez rejeté un article de la loi des

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