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votés par la Chambre des députés. Ce n'est pas que ces mo difications eussent été vues avec faveur. Tout en concluant à leur admission, le rapporteur, M. Cousin, avait déclaré qu'elles altéraient d'une manière sensible l'économie et l'esprit de la loi, qu'elles entraîneraient nécessairement des conséquences fàcheuses, et 11 votes négatifs repoussèrent la loi, tandis qu'un premier scrutin n'avait offert contre elle que 4 voix. Mais, comme les députés tout à l'heure, les pairs avaient cédé à la nécessité: une adoption pure et simple pouvait seule mettre enfin la France en possession d'une loi impatiemment attendue.

18 juin. La séance dans laquelle la Chambre des députés donna une seconde fois son suffrage à la loi sur l'instruction primaire fut signalée par une discussion d'une nature bien différente, mais dont l'objet était aussi d'une haute importance pour le pays. Il s'agissait de la colonie d'Alger, sur la conservation de laquelle le gouvernement ne s'était jusqu'alors exprimé qu'avec une réserve dont il tardait à la France de le voir sortir. M. le maréchal Clauzel résolut par une interpellation directe de l'amener, s'il était possible, à une explication catégorique.

« Si je parle souvent, dit-il, trop souvent peut-être d'Alger à la Chambre, c'est que je m'en suis occupé beaucoup; c'est que je sais plus que tout autre l'avantage que la France pourrait retirer de cette belle possession, c'est que je suis convaincu qu'Alger peut être, doit être pour la richesse et la prospérité de notre patrie ce que les Grandes-Indes ont été, pendant plus d'un siècle, pour la prospérité de l'Angleterre. Voilà le seul, le véritable motif de ma persévérance à vous parler d'Alger. »

Convaincu de tous les avantages qu'aurait la colonisation, et sachant qu'on trouverait de nombreux moyens pour l'exécuter avec facilité, l'orateur déclarait qu'il ne discontinuerait pas d'agir pour qu'elle eût lieu, et croirait, s'il réussissait, avoir rendu un plus grand service au pays que par vingt batailles gagnées au coeur de l'Allemagne et de la Russie, et terminait en adressant au ministère ces trois questions : « Voulezvous seulement occuper quelques points sur la côte de la

régence d'Alger?-Voulez-vous coloniser Alger?- Voulez vous abandonner ou céder Alger? »

M. le président du conseil répondit aussitôt que l'intention du gouvernement se bornait en ce moment à occuper trois points principaux sur la côte d'Afrique; mais qu'il serait possible, s'il y avait utilité, soit pour la défense, soit dans l'intérêt de la France, que deux ou trois autres points fussent aussi occupés; il n'y avait rien d'arrêté, rien de résołu, tout cela pouvait être fait. Quant à la colonisation, le gouvernement voulait la favoriser de toutes ses forces, et si des compagnies se présentaient pour en faire les frais à leur compte, elles recevraient de lui la protection la plus efficace. Mais le gouvernement ne pensait pas qu'il fût dans l'intérêt de l'administration, qu'elle-même s'occupât de la colonisation.

Enfin, continuait le ministre, l'honorable maréchal a demandé si l'intention du gouvernement était d'évacuer Alger. A ce sujet,je répéterai que le gouvernement n'a pris aucun engagement avec aucune puissance (marques d'adhésion); qu'il est entièrement libre de faire tout ce que l'honneur et l'intérêt de la France pourront exiger (Très-bien! très-bien!), mais que jusqu'à présent il n'est pas entré dans sa pensée d'évacuer Alger (marques prolongées d'assentiment); que sa conduite dans ce pays et sur toute la côte d'Afrique est d'affermir l'occupation, et de n'y avoir rien à

craindre contre tout venant. »

M. le maréchal Clauzel se montra satisfait de ces explications. Il était d'ailleurs convaincu depuis long-temps depuis deux ans, que ce que le ministère faisait pour Alger valait beaucoup mieux que ce qu'il disait à la Chambre. C'est un point sur lequel nous aurons bientôt à revenir.

CHAPITRE X,

Projet de loi sur les attributions municipales. -Projet de loi sur la garantie de l'emprunt grec. - Proposition relative au rétablissement du divorce. --Proposition sur les effets de la séparation de corps.-Projet de loi sur l'amortissement. Projet de loi relatif à l'achèvement des monumens et des routes.

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Un projet de loi relatif aux attributions municipales, attendu depuis long-temps, et qui était le complément indispensable de la loi sur les conseils municipaux, votée en 1831, avait été présenté le 8 décembre à la Chambre des députés, où, après un rapport entendu le 25 mars, il fut l'objet d'une longue et laborieuse délibération (du 13 au 17 mai). On y vit aux prises l'esprit du gouvernement, dont les organes s'appliquèrent à défendre le régime de centralisation forte et compacte, établi par l'empire, et l'esprit favorable à l'émancipation des communes, qui voulait au moins alléger pour elles le joug d'une tutelle qu'elles trouvent quelquefois inutile, nuisible, ou absurde. Mais la clôture de la session ayant rendu ce travail inutile et comme non avenu, il serait sans objet d'en présenter l'analyse. Adopté par la Chambre des députés le 17 mai, le projet de loi fut seulement présenté à la Chambre des pairs le 10 juin, et le reste de la session s'écoula sans le ramener à l'ordre du jour.

On a vu dans notre Annuaire de 1832 (page 410), qu'en même temps que la France, l'Angleterre et la Russie avaient donné la couronne de Grèce au prince Othon de Bavière, elles s'étaient engagées à garantir un emprunt de 60 mil. lions de francs à contracter au profit du nouveau royaume. Cet emprunt, d'après les termes du traité du 7 mai 1832, n'é

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tait réalisable que par séries d'un tiers, à chacune desquelles devait successivement s'appliquer la garantie des trois puissances; et ce n'est qu'à la suite d'un concours préalable entre ellès, que les séries pouvaient être partiellement réalisées. Les premiers revenus de la Grèce étaient exclusivement affectés aux intérêts et au fonds d'amortissement annuels des séries réalisées.

Telles sont les explications dans lesquelles était entré le ministre des finances en soumettant à la Chambre des députés, dans le cours de la session dernière (24 janvier), le traité du 7 mai 1852, et en présentant un projet de loi qui autorisait la France à donner sa garantie, comme l'Angleterre et la Russie avaient déjà donné la leur.

« L'amélioration progressive, avait dit le ministre, dont les revenus de ce pays sont susceptibles, les ressources que la Grèce possède en domaines nationaux, les avantages naturels qu'elle tient à la fois de son sol et de sa situation maritime, tout nous autorise à penser que les obligations contractées par son gouvernement seront fidèlement remplies, et que la garantie stipulée par les puissances atteindra son but sans leur imposer aucune charge réelle..

« Nous en trouvons un gage de plus dans le choix des hommes d'état que le roi de Bavière a placés à la tête de la régence qui doit gouverner la Grèce pendant la minorité de son souverain. Nous avons l'espoir que, sous l'administration ferme et éclairée qu'ils vont y établir, ce pays, désormais calme et tranquille, ne tardera point à s'élever au degré de prospérité qu'il est appelé à atteindre. »

Le ministre avait terminé en invoquant l'intérêt, si puissant que devait inspirer la Grèce et les témoignages de touchante sympathie qu'elle avait déjà reçus de la France.

De vives contestations s'étaient élevées dans la commission chargée d'examiner le projet. La question avait été scindée : une partie des commissaires envisageant surtout le côté financier, avait repoussé le projet, tandis que l'autre partie, s'attachant au côté politique, l'avait accepté, mais à une seule voix de majorité. Ces opinions diverses furent exposées de la manière suivante par le rapporteur, M. le colonel Paixhans, (4 avfil):

« Déjà (disent les personnes qui refusent) la France n'est que trop intervenue, à ses frais et sans profit, dans les affaires des autres nations; et déjà elle a payé, presque seule, près de 40 millions pour les Grecs.

Ann. hist,

pour 1833.

16

Notre garantie sera favorable à l'Angleterre, en donnant valeur à l'ancien emprunt dont elle a les inscriptions; favorable à la Bussie, en faisant arriver des Grecs aux Turcs le tribut que ceux-ci doivent aux Russes; favorable à la Bavière, en soutenant son prince et ses soldats; mais en quoi favorable à la France?

La Grèce ayant 4 à 5 millions de revenus (ce qui, dans le rapport des deux populations, est comme și la France n'avait qu'un reveny de 120 å 150 millions), comment pourra-t-elle payer son gouvernement, sa flotte, sɔn armée, et en outre l'intérêt et l'amortissement d'une dette de 60 millions, de deux autres dettes antérieures, montant ensemble à 48 millions, et des emprunts nouveaux, si, à l'avenir, il faut en contracter?

A ces objections on avaït opposé de hautes considérations politiques. Le contre-poids nécessaire de la Russie, la Turquie se mourait; il la fallait remplacer par la Grèce de grands événemens se préparaient dans l'Orient, il y fallait un pied-à-terre pour la France, ce devait être la Grèce. Sortir de la question grecque en 'refusant la garantie c'était y laisser dominer la Russie; c'était établir la Russie dans la Grèce, sur la Méditerranée, cet objet de la longue convoitise du Nord..

« Une question importante se présente, continuait le rapporteur. Les guerres continentales, jusqu'à présent, se sont faites sur l'Elbe et le Rhirr, sur les Alpes, l'Escaut, à nos portes, au centre même de la civilisation, et on en est à savoir comment il faut que Paris soit fortifié: el bien! ces conflits que les peuples les moins civilisés nous apportent, il faut pouvoir, au besoin, les transporter chez eux, non pour les attaquer, mais pour nous défendre. Or, les affaires d'Orient en offrent l'occasion, et la Grèce le moyen. Le territoire grec, en effet, entouré par la mer, et fermé par le rempart des monts Orix et des Thermopyles, est tout entier comme une vaste forteresse, comme une tête de pont, où les amis des Grecs auront seul accès. D'un autre côté, nous avons à Toulon et en Afrique des points de départ. Or, si on nous y contraint, lorsqu'une armée française avec ses alliés marchera de la Grèce vers le Danube, lorsqu'en même temps les vaisseaux de France et d'Angleterre s'avanceront dans la mer Noire, et qu'à ce bruit les Polonais se releveront, ce ne sera plus alors des affaires de Belgique et d'Espagne, à 800 lieues de chez eux, que les Russes auront à s'occuper. »

En concluant, le rapporteur déclarait que la majorité de la commission proposait l'adoption du projet de loi, parce que, dans la situation actuelle des affaires extérieures, elle était convaincue profondément qu'une alliance avec le nouvel état grec ne saurait être que favorable, peut-être nécessaire à la durée de la paix, ainsi qu'aux intérêts et à la diguité de la France.

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