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comptes, de même qu'il n'y a pas de procédure réglée en matière d'accusation capitale.

« Cependant, quand un droit existe, comme il faut bien qu'on trouve le moyen de l'exercer, parce qu'un droit certain ne peut pas rester illusoire, on a fait des accusations capitales, et on les a jugées avec une procédure appropriée à l'accusation. De même, on pourrait trouver, dans la législation ou dans les précédens et dans le droit commun, un moyen de faire arriver à la responsabilité civile effective la conséquence du rejet d'un article de la loi des comptes.

« Ainsi, à ne considérer que le droit, il y a de la part d'un ministre crime ou délit, et dans ce cas la chambre par elle-même ne peut qu'ac cuser, sans pouvoir juger ; et, en matière de finances, elle ne peut que refuser d'allouer un article mal établi, sauf à faire une accusation s'il y a dol, fraude, connivence, concussion, et à aviser au moyen de poursuivre ultérieurement, et à faire une loi, s'il y a nécessité. »

Mais M. Dupin ne se contentait pas d'une fin de non recevoir, et voulait pour le baron Louis une justice plus éclatante: dans cette vue, il traçait un résumé rapide de sa vie entière et de sa dernière administration. Après ce discours, qui produisit une vive impression, M. Demarçay proposa l'ajournement à la loi des comptes: M. Laffitte prit la parole pour s'expliquer sur des faits tant personnels que généraux, et M. Odilon Barrot pour proposer l'ordre du jour pur et simple. M. Dupin ayant reparu à la tribune demander la question préalable, M. Salverte retira sa proposition et se joignit à celle de l'ordre du jour, qui fut adopté par la Chambre à la presque unanimité. Ce vote équivalait à un ajournement de la question, jusqu'à la discussion du réglement des comptes de 1831. Tous les débats n'avaient servi qu'à bien constater que les six millions, dilapidés par Kessner, étaient perdus sans retour pour les contribuables.

pour

A cette époque il ne se passait rien en dehors des Chambres qui méritât de fixer l'attention; nous n'avons à signaler que le voyage du roi dans les départemens du Nord. Parti de Paris le 5 janvier avec les ducs d'Orléans, de Nemours et de Joinville, Louis-Philippe était de retour le 20 du même mois. Il avait successivement visité Compiègne, Saint-Quentin, Maubeuge, Valenciennes, Lille, Douai, Arras, Péronne et les autres villes qui se trouvaient sur son passage. Le but principal de ce voyage était de rendre hommage à l'armée

victorieuse d'Anvers; le roi avait voulu lui porter des félicitations et des récompenses le plus près possible du théâtre de ses exploits. Partout sur ses pas éclatèrent les témoignages de cette allégresse et de cet enthousiasme que réveillent toujours en France les succès guerriers; partout les vœux des populations pour la personne du prince, pour l'ordre et l'union, se confondirent avec les acclamations pour la gloire nationale.

CHAPITRE II.

Loi relative à l'abrogation de l'anniversaire du 21 janvier. -Loi relative à l'organisation des Conseils de département et d'arrondissement.

Dans la dernière séance de l'année précédente, la Chambre des députés avait adopté la proposition de M. Portalis tendant à l'abrogation de la loi du 19 janvier 1816, relative à l'anniversaire de la mort de Louis XVI. Un message la transmit immédiatement à la Chambre des pairs qui avait déjà rejeté une proposition analogue dans la session de 1831, et M. le comte Siméon fut chargé d'en présenter le rapport (14 janvier). Aux motifs qui militaient pour l'abrogation, l'orateur opposa ceux qui pouvaient la faire considérer comme superflue: il pensait que la désuétude eût été le mode le plus convenable d'en finir avec la loi, qui, n'intéressant ni la liberté, ni la propriété, n'était plus observée que par quelques tribunaux. Une abrogation formelle nécessitait une discussion, ́et cette discussion soulevait des questions délicates. Tandis qu'on accusait la loi du 19 janvier de réaction, quelques personnes pouvaient voir dans la proposition de l'abroger une réaction contraire.

«En effet, disait M. Siméon, l'abrogation telle qu'elle est proposée équivaut à déclarer que le 21 janvier 1793 fut et est à nos yeux un jour comme un autre; que la condamnation d'un roi inviolable nous paraît un événement aussi indifférent que celle d'un criminel légalement et compétemment jugé. Oui, Messieurs, telle serait la conséquence de l'abrogation pure et simple: ce serait de proclamer qu'à grand tort la loi de 1816 déclara ce que les auteurs de la proposition et leurs adhérens reconnaissent eux-mêmes, que le 21 janvier 1793 fut un jour déplorable, horrible précurseur des massacres et de la terreur qui le suivirent.

« Mais, dit-on, le regret exprimé par la loi le fut d'une manière insultante pour la nation, que l'on traitait comme un coupable vaincu. J'ai déjà fait voir qu'il y a exagération dans ces plaintes; tandis que les auteurs de la proposition ne songent sans doute qu'à venger l'honneur national qu'ils croient blessé, les partis républicain et anarchiste, car il y en a qui, quoique peu nombreux, ne sont pas sans audace et sans activité, aperçoivent un moyen de porter un grand coup à l'inviolabilité royale.

Au surplus, la Chambre des pairs avait eu égard à toutes ces plaintes, à toutes ces susceptibilités. Elle avait consenti à l'abrogation, en statuant, toutefois, que le 21 janvier de chaque année les administrations publiques, les cours et tribunaux vaqueraient en signe de deuil. La Chambre des députés s'était refusée à cette disposition, et avait persisté dans son premier projet d'abrogation absolue. La Chambre des pairs, ajoutait le rapporteur, pourrait aussi persister dans le sien. Néanmoins le désir de mettre fin à une dissidence toujours fâcheuse avait déterminé la commission à chercher un terme de conciliation et de rapprochement. Deux choses étaient à distinguer dans la loi du 19 janvier, d'une part le regret, le blâme solennel et légal d'un énorme attentat, de l'autre les mesures prises pour constater cé blâme et ces regrets. Ces mesures pouvaient, suivant les circonstances, s'atténuer ou disparaître. Ainsi la Chambre, en ne réservant que la férie et la vacance des administrations publiques, avait déjà sacrifié les autres mesures; elle pourrait consentir encore à l'abandon de ce qu'elle avait voulu conserver, mais la commission n'était pas d'avis qu'elle pût jamais renoncer au sentiment d'indignation et de douleur dont la loi du 19 janvier était l'expression. La commission proposait donc la résolution suivante :

Art. 1. Le 21 janvier demeure un jour de deuil national.

2. La loi du 19 janvier est abrogée.

Prévoyant l'objection que la disposition de l'article premier n'était pas législative, et qu'elle n'avait pour but que la déclaration d'un fait, le rapporteur répondait que, ce fait étant malheureusement contesté, la loi pouvait et devait le reconnaître et le fixer, car il était dans le domaine de la loi de consacrer le souvenir des malheurs comme des bonheurs publics,

15 janvier. Dans la délibération qui s'ouvrit le lendemain, M. le comte Portalis parla le premier contre la propo

sition. Il dit que le rapport fait à la Chambre des députés la dépouillait de toute son importance, en ne la présentant que comme destinée à faire cesser l'incertitude qui réguait sur le véritable caractère de l'un des jours de l'année judiciaire; mais au fond la question était bien plus haute. La France avait désavoué le crime commis le 21 janvier, personne ne le révoquait en doute, et la loi, qu'on voulait abolir, consacrait ce désaveu. Une pareille loi avait l'autorité irrévocable de la chose jugée; elle était sacrée comme un jugement d'absolution, car elle déchargeait le pays d'une prévention odieuse. On aurait tort de l'envisager comme un affront, comme une note d'infamie pour le nom français : la résolution proposée serait seule réellement injurieuse, puisqu'elle tendrait à faire considérer le pays comme indifférent à l'égard des excès, dont il avait gémi.

« Après tout, ajoutait M. le comte Portalis, ce n'est pas ici une question de circonstance, de parti ou de dynastie, comme on a voulu le faire entendre. Nous ne saurions trop le répéter: c'est une question de morale publique et de droit constitutionnel. Ce n'est pas parce que Louis XVI appartenait à la branche aînée de la maison de Bourbon que nous demandons le maintien de l'anniversaire du 21 janvier; c'est parce qu'il était notre roi ; c'est la cause de la monarchic que nous soutenons, et non celle d'une maison régnante.

«C'est cependant sur cette équivoque que reposent les argumens de ceux qui considèrent l'anniversaire du 21 janvier comme inconciliable avec la révolution de 1830.

<< Comme si la révolution de 1830 n'avait pas maintenu la monarchie! « Comme s'il pouvait être contraire à son but de veiller à ce qu'on n'ébranlát pas le fondement de l'établissement monarchique!

« Comme si les rois constitutionnels n'avaient pas plus besoin encore d'inviolabilité que les rois absolus!

<< Comme enfin si on n'avait pas poussé déjà assez loin la simplification de la royauté!

« Ce n'est donc pas dans un but d'opposition ou de résistance à la révolution que la Chambre des pairs a voté l'année dernière le maintien de l'anniversaire du 21 janvier, comme nous espérons qu'elle le votera encore cette année. C'est parce qu'elle est la gardienne et en quelque sorte la sentinelle avancée de la constitution de l'Etat. »

Aux argumens développés par M. Portalis, M. le baron Mounier joignait l'exemple de l'Angleterre, qui continuait, depuis deux siècles et sous une autre dynastie, à célébrer l'anniversaire de la mort de Charles Ier. Il s'appuyait sur les paroles prononcées l'année précédente par M. le duc de Bro

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