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Bientôt après (28 août ) l'empereur de Russie, dont il paraît que la réunion avec ses alliés de Prusse et d'Autriche, était aussi décidée depuis plusieurs mois, s'embarqua à Cronstadt, dans le dessein d'aborder à Stettin. Mais, assailli par une de ces affreuses tempêtes qui désolèrent, vers cette époque, toutes les mers du nord et de l'ouest, le bateau à vapeur que montait ce prince fut forcé de se réfugier dans un petit port voisin de Rével. Déjà les habitans de SaintPétersbourg, effrayés par la tempête qui avait inondé une partie de leur ville, commençaient à craindre pour la vie de l'empereur. Instruit de ces alarmes et des inquiétudes de sa famille, il jugea qu'il lui convenait de reparaître aux yeux de ses sujets pour dissiper une incertitude qui aurait pu avoir de sérieux résultats. Après s'être fait voir dans sa capitale, l'empereur remonta immédiatement en voiture, et franchit avec la plus grande rapidité les 220 lieues d'Allemagne qui le séparaient de Schwedt sur l'Oder, où il était attendu par le roi de Prusse. Ici, quatre jours furent donnés au repos, aux affections de famille, et probablement aussi à la politique; puis, le 9 septembre, l'empereur repartit pour Munchen-Graëtz, bourg de la Bohême où se trouvait l'empereur d'Autriche. L'empereur Nicolas était précédé de son vice-chancelier, comte de Nesserolde. Les deux monarques restèrent ensemble une huitaine de jours à Munchen-Graëtz, où l'on remarqua en même temps la présence du prince royal de Prusse, et cette entrevue fit naître, comme celle de Thérésienstadt, mille versions contraditoires.

Ce mouvement extraordinaire de princes, de ministres et de diplomates ne s'arrêta pas encore là. Le 10 octobre, la ville de Lintz vit une réunion du roi et de la reine de Bavière avec la famille impériale d'Autriche. Ici, M. de Metternich était présent, de même qu'à Thérésienstadt et à Munchen-Graëlz.

Il était naturel de supposer que ces hauts personnages n'a

vaient pas fait de si longues courses pour des visites de pure étiquette, ou du moins que ces visites environnées d'un appareil mystérieux, avaient pu s'élever aux proportions d'une conférence. Des résolutions importantes, et préparées dans des négociations préliminaires, avaient sans doute reçu une dernière adhésion en Bohême; mais comme rien n'avait transpiré hors du cercle des têtes couronnées et de leurs premiers ministres, le champ le plus vaste restait ouvert aux hypothèses, depuis les affaires d'Orient jusqu'à celles de la Belgique et de la Suisse, de l'Espagne et du Portugal; depuis l'état de la Pologne jusqu'aux mécontentemens de l'Italie, et aux embarras de la confédération germanique en présence des tendances libérales de certaines contrées de l'Allemagne, et des efforts des Chambres législatives pour conquérir une indépendance réelle. avait en effet sur tous ces points bien des difficultés qui devaient donner à réfléchir aux trois cours du Nord. Peut-être aussi ces anciens membres de la Sainte-Alliance tenaient-ils à resserrer leurs rangs, comme une armée qui a fait des pertes, pour concentrer leurs forces et montrer à l'Europe un contre-poids à l'union de la France et de l'Angleterre.

y

En attendant que l'avenir dévoile entièrement les déci sions prises en Bohême, on peut ranger au nombre des résultats de ces royales Conférences, la résolution d'assembler à Vienne, en 1834, un congrès de tous les ministres des divers états de la confédération germanique. Ce congrès aurait pour objet de délibérer sur les réformes et les modifications que l'expérience du passé, et surtout celle des dernières années, avait fait juger indispensables aux cabinets de Vienne et de Berlin. En d'autres termes, on s'efforcerait de faire disparaître les incompatibilités qui rendaient impossible, dans un avenir très-prochain, l'existence simultanée de la Confédération germanique et des constitutions représentatives sur leurs bases actuelles.

Il est encore un fait qu'il faut rapporter aux entrevues Ann. hist. pour 1833,

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de la Bohême, c'est la signature d'un traité dans lequel les empereurs d'Autriche et de Russie et le roi de Prusse, prenant en considération leur intérêt égal au maintien de la tranquillité et de l'ordre existant dans les provinces polonaises soumises à leur souveraineté, s'engageaient pour l'avenir à se livrer mutuellement les habitans de ces provinces qui seraient accusés de haute- trahison, de lèse-majesté, de révolte à main armée ou de complot contre la sûreté du trône et du gouvernement (voy. l'Appendice )..

Entre toutes les suppositions auxquelles les conférences de la Bohême ont donné cours, la moins digne d'attention n'est pas celle qui admettait le projet d'établir une confédération italienne sous le protectorat de l'Autriche, à l'image de la Confédération germanique; et d'interdire à toute Puissance étrangère la moindre intervention dans les affaires de la Péninsule. Rien ne devait sourire plus agréablement au cabinet de Vienne, n'était la difficulté de l'exécution, que ce projet tendant à consolider en Italie la domination de l'Autriche. Faute de mieux, ce cabinet a continué d'y soumettre les étrangers à la plus rigoureuse surveillance, de mettre, pour ses sujets du royaume lombardo-vénitien, les plus grandes entraves à la liberté de voyager au dehors, d'augmenter les garnisons des villes, de rassembler des troupes 'sur les frontières, de restreindre les communications avec la Suisse, de peur qu'une étincelle de l'esprit révolutionnaire échappée de ce pays n'embrasât l'Italie.

Les inquiétudes du cabinet de Vienne se trahirent aussi par une proclamation du gouverneur du Milanais, déstinée à faire connaître l'existence d'une association secrète, formée sous le nom de la Jeune Italie, au milieu des derniers événemens, en la proscrivant comme plus dangereuse que le carbonarisme, avec menace de punir des peines les plus sévères du Code criminel ceux qui entreraient dans cette association ou qui n'en dénonceraient pas les membres. Ce Code, dans le royaume lombardo-vénitien, est

tant que

celui de Marie-Thérèse et de Joseph II; mais il a été modifié, de temps à autre, tant dans sa partie pénale que dans la partie de la procédure, surtout pour les délits politiques. Entre autres principes qu'il contenait, il en était un porla preuve par indices ne suffisait pas pour former preuve légale, et que la peine de mort ne serait pas appliquée sur des indices seuls., Un décret de l'empereur, publié en octobre à Milan, abolit ce principe, et une loi en neuf articles lui a été substituée, qui statue que le prévenu contre qui il existera des indices, devra être retenu comme légalement convaincu, lorsque se vérifieront les conditions,. la nature et le nombre de indices indiqués dans la nouvelle loi. C'était rétrograder, en matière de législation pénale, à plus de soixante ans en arrière; c'était ressusciter une disposition condamnée par Marie-Thérèse et Joseph II, et que toutes les nations civilisées ont depuis long-temps rayée de leurs codes.

La Hongrie, où nous avons vu la diète s'ouvrir à la fin de l'année dernière, n'était pas non plus sans donner des embarras au gouvernement autrichien. Le sentiment national s'y manifestait d'une manière de plus en plus significative par des tentatives opiniâtres pour introduire la langue hongroise dans le commandement militaire et dans la rédaction des lois. Toutefois, le gouvernement témoignait pour les intérêts matériels du pays de meilleures intentions que l'aristocratie qui, sans vouloir renoncer à ses vieux priviléges, demandait des concessions politiques de la nature la plus antipathique au cabinet de Vienne. Il en résulta que les travaux de la diète ne marchèrent qu'avec une extrême lenteur, à cause de la mésintelligence qui régnait, soit entre les deux Chambres, soit entre la diète et le gouvernement. Aussi le public finit-il par se lasser de tant de longues dis-, cussions qui n'aboutissaient à rien. Cependant la deuxième Chambre s'était montrée non-sculement très-libérale, mais encore très-persévérante, relativement au projet qui devait

faire droit aux justes.griefs des protestans en Hongrie. Huit fois elle avait discuté et adopté ce projet; huit fois la Chambre haute l'avait rejeté. Ainsi échouèrent ou ne furent enfin sanctionnées qu'avec des restrictions, et après beaucoup de difficultés, la plupart des améliorations projetées par le gouvernement en faveur des classes agricoles. Au reste, la diète continua à se traîner à travers des débats interminables, au milieu de l'indifférence générale, sans faire faire aucun progrès important à l'état social si arriéré de la grande masse de la population du pays.

Les mêmes divisions qui se décélaient dans la diète par des votes et des opinions', donnèrent naissance à une sanglante collision dans les rues d'Erlau, au mois d'octobre. Il s'agissait dé l'élection d'un député. Le candidat que l'archevêque et le clergé avaient proposé, éprouva tant d'opposition de la part de la noblesse, que quelques milliers d'individus du parti de cette noblesse, parmi lesquels se trouvait un certain nombre de paysans, se rendirent au lieu de l'élection et y commirent les excès les plus affreux. Les partisans du candidat du clergé furent mis en fuite, et toutes les fenêtres des maisons de la rue principale, brisées, démolies, surtout celles du clergé. Plusieurs personnes perdirent la vie dans cette émeute, d'autres y furent grièvement blessées, et l'élection dut être ajournée.

En résumé, ces troubles et les discussions de la diète dessinent la situation des choses et des partis en Hongrie d'une manière assez singulière d'un côté, l'aristocratie travaillée par ces idées d'émancipation politique qui se sont répandues dans toute l'Europe, se montre jalouse de la nationalité hongroise, de la liberté de la presse, de la publicité des débats législatifs, mais jalouse aussi de ses droits seigneuriaux, et refuse de rien accorder aux paysans. Le gouvernement, au contraire, visant à assimiler autant que possible la Hongrie aux états héréditaires de l'Autriche, favorise la propagation de la langue allemande parmi les Hongrois, et

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