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la question de la révision. La diète, persévérant dans les mesures de conciliation, et pour ne rien négliger qui pût ramener la concorde, avait décidé, sur la proposition des Grisons, qu'une conférence appelée à mettre un terme aux divisions qui affligeaient les cantons de Bâle et de Schwytz, se réuni rait le 5 août à Zurich. Les partisans de l'ajournement du pacte voulaient qu'on s'occupât d'abord de cette pacification. Ils estimaient d'ailleurs que le pacte, même révisé, ne serait guère moins mauvais que celui de Zurich, qui ne contenait aucun principe rationnel, aucune idée élevée. Pendant la délibération, on avait remarqué le plus grand désaccord sur les changemens à introduire dans le projet tel qu'il existait, et tout faisait prévoir que, mal gré, on resterait dans l'incertitude actuelle.

bon gré

Mais le rejet du pacte à Lucerne, s'il avait entravé la marche des libéraux, avait au contraire rehaussé les espérances et doublé l'énergie de la ligue de Sarnen. Les menées aristocratiques furent plus actives que jamais; on se livra avec une nouvelle ardeur à des manœuvres qui ne tendaient qu'à attirer sur la Suisse le malheur d'une intervention étrangère. Bâle-ville continuait ses enrôlemens. La guerre, tantôt cachée, tantôt ouverte, que ce canton et Neufchâtel entretenaient depuis si long-temps en Suisse, devait épuiser leurs ressources, et le parti populaire se demandait qui fournissait les fonds nécessaires pour alimenter tant de dépenses. Quoi qu'il en soit, l'occasion parut propice aux adhérens de la ligue de Sarnen pour en appeler à la force des armes.

Depuis quelques semaines les districts extérieurs de Schwytz étaient fortement travaillés par l'ancien pays; des vœux de réunion avaient été prononcés dans une ou deux communes; Schwytz intérieur avaitgagné quelques uns de leurs habitans à sa cause; mais un prétexte manquait encore pour l'entreprise projetée : il fut trouvé.

Le 29 juillet un individu qui colportait un écrit demandant que l'assemblée du peuple fût convoquée pour délibérer

sur la proposition de réunir le district de Kussnacht à l'ancien canton, fut soumis à un interrogatoire de la part de l'autorité locale. Il ne fit que des réponses mensongères, ou s'obstina à ne pas répondre. On l'avertit que s'il se refusait davantage à donner des explications sur sa conduite, il serait incarcéré. « Je serai bientôt délivré, répliqua-t-il. » En effet, son arrestation ayant été effectuée, on ne tarda pas à voir arriver sur Kussnacht, de quelques districts voisins, une soixantaine d'hommes armés de piques et de fusils. Entrés dans le bourg, ils durent se retrancher dans une maison où ils furent attaqués par des hommes du parti fédéral qui en eurent promptement raison.

Deux délégués d'une commune à laquelle appartenait une partie des assaillans, vinrent le 30 à Kussnacht, pour offrir leur médiation. Ils déclarèrent que si elle n'était pas acceptée, le gouvernement de Schwytz enverrait une force

armée pour

pour rétablir la tranquillité. Le landammann de Kussnacht répondit qu'il considérerait une pareille démarche comme un acte d'hostilité. Sur ces entrefaites on apprit que le colonel Abyberg marchait contre Kussnacht avec 600 hommes de troupes. Le magistrat du bourg donna aussitôt avis de cet événement au gouvernement de Lucerne, en réclamant sa protection L'ex-avoyer Amrhyn, envoyé sur les lieux par ce gouvernement, rencontra le colonel Abyberg et lui fit observer que Kussnacht se trouvant en dehors du territoire de l'ancien pays, il n'avait aucun droit d'y pénétrer. M. Amrhyn protesta au nom de son canton et de la diète contre une agression contraire au droit des gens et qui portait atteinte au repos et à la neutralité de la Confédération. Le colonel Abyberg répliqua qu'il ne reconnaissait ni la diète ni ses actes, et qu'au surplus il attendait encore 2000 hommes qui viendraient le jour suivant renforcer sa troupe.

Malgré les protestations et les représentations de M. Amrhyn, le colonel continua sa marche, et le 31 juillet au

mátin il entra dans Kussnacht où il fit prisonnier le landammann ainsi que d'autres magistrats de l'endroit qu'il envoya garrottés et sous forte escorte à Schwytz. D'autres excès furent commis par ses soldats contre les propriétés.

La nouvelle de ces attentats parvint le lendemain à la diète de Zurich. Le plus grand nombre des députés déclara surle-champ qu'il fallait saisir cette occasion pour recouvrer la confiance du peuple: il fallait prouver que la diète savait faire respecter la justice et les résolutions par elle adoptées. L'envahissement de Kussnacht, considéré comme partie intégrante de Schwytz extérieur dont la Diète avait reconnu l'indépendance, était à leurs yeux un acte brutal d'hostilité envers la paix publique, et sans doute l'avant-coureur de projets plus vastes. Ils demandaient une décision énergique et prompte. En conséquence, tous les cantons, excepté ceux qui formaient la ligue de Sarnen, eurent ordre de mettre dès à présent sur pied ou à la disposition de la diête tout ou partie de leurs contingens. Le vorort fut invité à diriger sur Küssnacht et sur les districts extérieurs de Schwytz, un corps de 5 à 6,000 hommes de troupes fédérales. Les gouvernemens cantonnaux s'empressèrent de répondre à l'appel de la diête. Partout les contingens s'organisèrent avec rapidité, avec enthousiasme. Dès le 4 août, Kussnacht évacué sans résistance par le colonel Abyberg, était au pouvoir des forces envoyées au nom de la Confédération. Cette occupation militaire fut bientôt après étendue à tout le canton de Schwytz.

Presqué au même moment la paix publique avait été troublée, d'une manière non moins subite et plus grave encore, dans le canton de Bâle.

Nous avons déjà raconté les longs démêlés de Bâle-ville et de Bâle-campagne (voy. les Annuaires de 1831 et de 1832). Les torts, comme il arrive dans toute discussion de ce genre, avec des baïonnettes pour argumens, avaient été mutuels. Toutefois Bâle-campagne était dans son droit en prenant le parti de se constituer et de s'administrer séparément, les

conditions d'union que la ville lui offrait ne lui ayant pas semblé équitables. Mais où expirait ce droit, c'est lorsque par des intrigues, des tracasseries, et même des agressions violentes, elle cherchait à rattacher de force à sa cause les communes rurales qui voulaient rester fidèles à la ville. Enfin, après une dernière attaque, celles-ci demandérent du secours à Bâle, et une expédition, dans le but de replacer toute la campagne sous le joug de la ville, fut décidée à la veille du jour où allait s'ouvrir à Zurich une conférence de conciliation que les Bâlois avaient eux-mêmes acceptée.

Le 3 août, une troupe de 1,200 hommes environ, ayant 8 pièces d'artillerie, se mit en marche contre Liestall, cheflieu de Bâle-campagne, qu'elle croyait surprendre sans défense. Mais les campagnards, prévenus à temps, s'étaient mis en mesure. Arrivés à Prattelen, les assaillans commencèrent à éprouver de la résistance. Toutefois ils entrèrent dans ce village, où ils commirent divers excès et incendièrent plusieurs bâtimens.

Pendant cette scène déplorable, une colonne de 3 à 400 hommes de Bâle se dirigeait sur l'Erli, colline peu éloignée du village. A son approche, elle fut accueillie par une grêle de balles. Après un combat acharné, les soldats bâlois parvinrent à s'emparer du sommet de la colline. Leur dessein était de tourner une redoute flanquée de palissades et garnie de canons, que les campagnards avaient construite sur la grande route, tandis que le reste des forces bâloises se porterait d'un autre côté sur Liestall. Mais à peine ces dernières troupes étaient-elles en vue de la redoute, qu'une batterie placée sur une éminence à gauche, et protégée par un nombreux détachement d'infanterie, ouvrit un feu violent qui contraignit les Bâlois de s'arrêter, et jeta ledésordre dans leurs

rangs.

Cependant le combat continuait sur l'Erli et devenait funeste aux campagnards. Ils reculèrent pour occuper une position plus forte. Ils y furent attaqués par les Bâlois, et la

mêlée devint terrible. Enfin les campagnards, furieux de la mort de quelques uns des leurs, se précipitèrent sur les Bàlois et les repoussèrent après une vigoureuse résistance.

Dans sa retraite, la colonne bâloise se dirigea sur Prattelen où elle vint se réunir au principal corps. Les campagnards fondirent avec une nouvelle impétuosité sur l'ennemi, qui prit la fuite à travers les vignes, en cherchant à regagner la grande route. Alors le carnage fut affreux. Des détachemens de carabiniers et d'infanterie, en embuscade des deux côtés de la route, attaquèrent en flanc les Bâlois vivement poursuivis par d'autres troupes de la campagne. Au milieu de cc feu croisé ils eurent cruellement à souffrir. Les campagnards ne firent aucun quartier ; ils achevaient à coup de crosse et de baïonnette les blessés qu'ils rencontraient. A deux heures après midi, les Bâlois rentrèrent dans la ville, ayant eu 200 hommes à peu près tués ou blessés.

La coïncidence de cette tentative de Bâle-ville avec celle de Schwytz intérieur, lui donnait l'apparence d'une ramification d'un même complot, et cette apparence ne pouvait qu'engager la diète à persister dans la voie des mesures énergiques et promptes. Elle décréta que le canton de Bâle, ville et campagne, serait aussi occupé par des troupes fédérales, et la garnison soldée de la ville de Bâle désarmée et licenciée. La diète fit plus encore: une lutte qu'elle n'avait point appelée avait tourné tout à son avantage; le moment était donc favorable pour pousser sa victoire jusqu'au bout, en faisant disparaître le schisme fédéral qui affligeait la Suisse. Les seize cantons réunis à Zurich (non compris Bâle-campagne et Schwytz extérieur), avaient oublié toute divergence d'opinion et de position devant le danger commun: Des sacrifices mutuels avaient été faits, et il en était résulté une unanimité imposante qui devait déconcerter bien des plans et des intrigues. Tout cela fit que le crédit et l'autorité revinrent à la diète dans la même proportion que les événemens avaient affaibli l'audace et la confiance du parti sarnien.

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