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Placé entre deux minorités, celle des radicaux et celle des conservateurs ou torys, il avait derrière lui une grande majorité à laquelle les premiers et les seconds manqueraient rarement de se réunir, suivant la couleur des mesures qu'il proposerait. Ces mesures pouvaient rester bien en-deçà de ce qu'attendaient et désiraient les partisans des innovations, ou dépasser de beaucoup les craintes des conservateurs ; dans tous les cas, le ministère était sûr de voir l'un des deux partis se rallier à lui, pour l'aider à surmonter la résistance de l'autre. Ce n'est pas toutefois, quelque haut que parlat dans le cœur des Anglais le bienfait de la réforme, qu'il pût se promettre une carrière exempte de difficultés et une condescendance inaltérable de la part de la Chambre des communes. Le ministère avait beaucoup à faire encore pour ne pas déchoir de sa popularité. Tant d'espérances de réformes ultérieures, d'améliorations, de changemens, avaient été excitées et entretenues dans la nation, que lui-même aurait reculé devant la tâche de les réaliser; et d'ailleurs la Chambre des pairs, avec sa majorité compacte et irrévocablement hostile, était toujours là pour y mettre obstacle. De cette situation respective des partis, du gouvernement et du pays, il résultait que l'intérêt et l'anxiété, au milieu desquels s'étaient écoulées les dernières sessions subsistaient dans toute leur force à l'ouverture du premier parlement réformé.

Cette ouverture se fit le 29 janvier, par commission, car l'usage n'est pas en Angleterre que le roi adresse son discours au parlement, avant que les Chambres soient constituées. Les communes procédèrent immédiatement à l'élection de leur président (speaker). Depuis seize années M. Manners Sutton avait été chaque fois nommé à cette place, sans même avoir à la disputer à aucun autre candidat, et toujours, malgré ses opinions aristocratiques, il l'avait remplie avec une impartialité et une habileté reconnues de tous les partis. A la fin de la dernière session, il avait annoncé qu'il

abandonnait le fauteuil, pour ne plus l'occuper, et aussitôt une pension annuelle de 4,000 liv. ster. lui avait été accordée par acte du parlement. Outre une pension considérable, celui qui a été président de la Chambre des communes pendant long-temps, obtient ordinairement la pairie; mais les torys comptaient déjà une majorité si formidable dans la Chambre des lords, que le ministère ne pouvait songer à leur donner un nouvel allié dans la personne de M. Manners Sutton. Celui-ci ayant été renvoyé à la Chambre des communes par l'université de Cambridge, les ministres, pensant que sa longue expérience serait surtout utile dans une Chambre nouvelle, résolurent d'appuyer sa nomination à la présidence.

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Cette nomination, toujours incontestée jusqu'alors, rencontra cette fois des opposans qui, sans méconnaître les éminentes qualités que M. Sutton avait déployées dans ses fonctions, firent remarquer qu'ayant été un adversaire de la réforme, la Chambre, s'il était élu, aurait un président dont les opinions ne s'accorderaient pas avec les siennes, et qui ne pourrait pas avoir sa confiance. Le peuple verrait avec déplaisir que le seul emploi élevé qui soit à la discrétion de ses représentans, fût ainsi conféré à un homme qui n'avait pas embrassé sa cause. On reprochait d'ailleurs au candidat les nombreuses sinécures dont sa famille était en possession (MM. Hume et O'connell). D'un autre côté, on insistait sur l'expérience de M. Šutton, sur son talent pour les affaires, sur sa profonde connaissance des usages et des ré gles du parlement, qui le rendaient plus que jamais nécessaire. Quant à la différence existant entre ses principes politiques et ceux de la majorité, cette circonstance était plutôt en sa faveur que contre lui, puisque, dans aucun temps, ses opinions ne l'avaient empêché de diriger les délibérations de la Chambre avec la plus grande impartialité (Lord Morpeth, sir F. Burdett, lord Ebrington, lord Althorp). Le débat s'engagea ensuite sur la question de savoir

si M. Manuers Sutton toucherait concurremment sa pénsion avec ses appointemens comme président, et lorsque la négative eut été bien établie, il fut nommé de nouveau à une majorité considérable (241 voix contre 31). «La réélection qui vient d'être constatée, dit aussitôt M. Cobbett, annonce le maintien d'un système déplorable; car M. Manners Sutton a toujours eu les mains dans les poches du peuple. >>

Le 5 février, la première session du nouveau parlement fut ouverte par le roi. Jamais à aucune autre époque, ainsi qu'il commença par le dire, des objets d'un plus grand intérêt et d'une plus haute importance n'avaient appelé l'attention des deux Chambres. Il avait encore à déplorer la continuation de la guerre civile en Portugal, et l'insuccès de ses efforts pour amener un arrangement définitif entre la Belgique et la Hollande. Au reste, les assurances qu'il continuait à recevoir des dispositions amicales des principales puissances de l'Europe, le confirmaient dans l'idée que la paix générale serait maintenuc.

Le roi annonçait ensuite sur quelles graves matières le parlement aurait à délibérer. L'expiration prochaine des chartes de la banque d'Angleterre et de la compagnie des Indes orientales, demanderait une révision de ces établissemens. L'attention des Chambres serait aussi dirigéc sur l'état de l'église, particulièrement en ce qui concerne ses biens temporels et l'entretien du clergé. Les plaintes qu'avait excitées la perception des dimes paraissaient nécessiter un changement de système. Il y aurait de plus à rechercher si les revenus de l'église ne pouraient pas être distribués d'une manière plus judicieuse et plus équitable. Pour compléter l'œuvre commencée par l'acte de composition des dîmes qui avait passé dans la dernière session, relativement à l'Irlande, le roi recommandait l'adoption d'une mesure d'après laquelle les propriétaires fonciers seraient mis à même de se libérer, moyennant une juste commutation, du fardeau d'un paiement annuel. Quoi

que l'église établie d'Irlande fût unie par la loi d'une manière permanente à celle d'Angleterre, elle se trouvait cependant dans des circonstances particulières qui demandaient un examen séparé.

Après quelques paroles favorables sur l'état des finances, après avoir annoncé, qu'à très-peu d'exceptions près, la paix publique régnait en Angleterre, le roi revenant à l'Irlande, s'exprimait ainsi :

« J'ai à remplir le pénible devoir de dire que les désordres dont j'ai déjà parlé à la fin de la dernière session, ont considérablement augmenté en Irlande. L'esprit d'insubordination et de violence s'est élevé au degré le plus effrayant; il ôte toute sûreté aux personnes et aux propriétés, brave l'autorité de la loi, et menace d'entrainer les conséquences les plus fatales s'il n'est promptement et efficacement réprimé.

« J'ai la certitude que je n'aurai pas vainement recours à votre loyauté et à votre patriotisme pour me prêter appui dans ces déplorables circons tances, et que vous serez prêts à adopter telles mesures de précautions salutaires et à me confier tels pouvoirs extraordinaires qui peuvent être jugés nécessaires pour réfréner et punir les perturbateurs de la paix publique, ainsi que pour préserver et renforcer l'union législative des deux pays; union que, avec votre aide et par la grâce de la divine providence, je suis déterminé à maintenir par tous les moyens en ma puissance, comme indissolublement liée avec la paix, la sécurité et le bien-être de mon peuple. »

.

Dans la Chambre des lords, l'adresse fut acceptée sans division le seul débat qui s'éleva fut engagé par lord Aberdeen et le duc de Wellington, sur la politique étrangère, qu'ils critiquaient, comme de coutume, d'un ton d'aigreur et de personnalité, surtout par rapport au Portugal et à la Hollande, mais sans présenter aucunes vues nouvelles.

Les choses se passèrent bien différemment dans la Chambre des communes. La partie du discours du trône, qui faisait allusion à l'adoption de mesures extraordinaires pour la répression des troubles d'Irlande, avait excité l'indignation et les alarmes d'un grand nombre de membres de la députation irlandaise. Aussi l'adresse, qui n'était, suivant l'usage, qu'un écho du discours royal, rencontra-t-elle une violente opposition. M. O'connell commença l'attaque contre ce qu'il appelait «<une sanguinaire, brutale et inconstitutionnelle

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adresse ». Il attribua les crimes qui se commettaient en Irlande aux fautes du gouvernement, et nia que ces crimes eussent d'ailleurs aucune connexion avec la politique. Jamais l'Irlande n'avait eu un gouvernement aussi tyrannique qu'à présent; il avait persécuté la presse, le peuple et même les prêtres; mais il n'avait absolument rien fait pour rétablir la tranquillité du pays. Aussi long-temps que l'Irlande aurait des sujets de plainte, M. O'connell déclarait qu'il ne cesserait d'employer l'agitation pour obtenir le redressement de ses griefs, à l'exemple de ce qu'avaient fait les Anglais eux-mêmes pour conquérir la réforme. Le premier de ces griefs, c'était une magistrature dont les membres professaient une religion différente de celle de la nation, armée d'un pouvoir arbitraire, ayant autorité pour infliger des amendes et des emprisonnemens, et contre laquelle il n'y avait pas à espérer de recours. Presque toujours les catholiques étaient exclus de cette magistrature, que les ennemis de l'Irlande et de ses libertés avaient remplie de leurs créatures et de leurs partisans. Le mode de nommer les jurés était un autre grief non moins grave. Les corporations dont la bigoterie et l'intolérance étaient bien connues, essuyaient aussi la censure de l'orateur. Enfin, il réclamait la liberté religieuse pour les Irlandais, ainsi que l'abolition des dimes, et demandait pourquoi ils devaient payer vingt-deux évêques et une quantité innombrable d'autres prêtres pour des services dont ils n'avaient que faire. Il conclut en proposant que la Chambre se formât en comité général, pour prendre en considération l'adresse au roi.

Le secrétaire pour l'Irlande (M. Stanley), que M. O'connell venait de dénoncer comme le plus cruel ennemi de ce pays, lui reprocha d'abord de n'avoir pas saisi l'occasion d'aborder la question du rappel de l'union, ce grand objet de ses harangues passionnées, de ses promesses, de ses espérances, de toute son agitation. Au lieu de cela, il avait prononcé un discours plutôt adressé à ceux du dehors qu'à

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