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Membres de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres,
Et MM. les Membres composant de Bureau de l'Académie.

Directeur :

M. RENÉ CAGNAT, Membre de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.

Secrétaire de la Rédaction:

M. HENRI DEHÉRAIN, Conservateur de la Bibliothèque de l'Institut.

HISTORIQUE, MODE ET CONDITIONS DE LA PUBLICATION.

Le JOURNAL DES SAVANTS est le plus ancien des journaux littéraires de l'Europe. Fondé en 1665, il fut placé par Louis XIV en 1701 sous le patronage royal. Il disparut en 1792, mais il fut réorganisé par l'État en 1816. Depuis 1903 il est publié sous les auspices de l'Institut de France.

Le JOURNAL DES SAVANTS paraît le 15 de chaque mois, sauf en août et en septembre, par fascicules de six feuilles in-4°.

Le prix de l'abonnement annuel est de 50 francs pour la France et de 60 francs pour l'étranger. Le prix du fascicule est de 6 francs.

Les manuscrits ainsi que les propositions de collaboration doivent être adressés à M. le Directeur ou à M. le Secrétaire de la rédaction, Bibliothèque de l'Institut, 23, quai de Conti, Paris, VI.

Adresser tout ce qui concerne les abonnements et les annonces:

A la Librairie Orientaliste PAUL GEUTHNER, 13, rue Jacob, Paris, VI.

DES SAVANTS

MARS 1927

LES PEINTURES CHRÉTIENNES DE LA CAPPADOCE.

G. DE JERPHANION. Les églises rupestres de Cappadoce, t. I, première partie, 1 vol. in-4 de LXIII-296 pages, avec un album in-fo de 69 planches. Paris, Librairie orientaliste Paul Geuthner, 1925-26.

I

A l'ouest de Césarée de Cappadoce, au pied des derniers contreforts du mont Argée, la région d'Urgub est assurément une des plus étranges qui se rencontre en Asie Mineure. Sur un espace d'environ quinze kilomètres sur vingt, le tuf volcanique et friable a été profondément creusé et comme déchiqueté par l'érosion, qui ici a dressé en falaises les hautes parois verticales, là coupé d'étroits et profonds ravins la surface aride du plateau, qui a taillé surtout et plissé la roche en une multitude de cônes et de pyramides, dont est comme hérissé tout le pays. Devant cet aspect extraordinaire, le voyageur d'abord n'échappe pas à une sorte de saisissement, «< se demandant s'il a sous les yeux un paysage réel ou s'il n'est pas transporté, par un prodige, devant le plus invraisemblable décor de féerie1». Certains de ces cônes ont jusqu'à trente ou quarante mètres de hauteur, et leur nombre est presque infini. Tel village de la région, Matchan par exemple, dont l'ouvrage du P. de Jerphanion nous montre plusieurs vues singulièrement pittoresques (pl. 1, 4, 6 et 7), mêle ses maisons à ces hautes pyramides qui surgissent autour d'elles « comme les clochers ou les dômes. d'une ville chrétienne?», ou mieux encore, selon la comparaison de l'au

1. P. 1.

2. P. 21.

SAVANTS.

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teur, comme des tentes, grandes ou petites, alignées en longues files régulières. Ailleurs, dans la vallée de Gueurémé et dans les ravins voisins d'ElNazar et de Qeledjlar, les aiguilles et les cônes, dont certains sont curieusement coiffés d'une sorte de chapeau rocheux, se succèdent jusqu'à un vaste cirque tout hérissé de pointes aiguës (pl. 8, 9, 10, 11). Puis ce sont d'étroits couloirs, où le chemin se confond avec le lit du torrent.

Les parois sont taillées à pic, écrit le P. de Jerphanion. Pendant longtemps on avance entre deux parois verticales d'une centaine de mètres. Partout elles surplombent et mettent le voyageur dans une ombre épaisse. Aucune issue ni à droite, ni à gauche. En avant et en arrière les détours du ravin masquent la route. On est emprisonné entre des rochers dont la masse pèse sur l'esprit et l'oppresse. La solitude est absolue. Le silence n'est interrompu que par les longs roucoulements qui sortent des pigeonniers établis dans la profondeur de la roche, et dont le passage des voyageurs trouble le repos'.

Paysage d'autant plus impressionnant que la pierre présente une variété de couleurs singulière, tantôt couronnant une haute paroi blanche d'un banc de jaune sombre, tantôt appuyant une puissante croupe rose sur une base de roche blanche. Vers le sud, l'aspect change un peu. Un plateau uniforme, d'une altitude moyenne de 1600 mètres, s'étend en une longue surface déserte mais il est entaillé de ravins profonds, où, entre les lignes. parallèles des murailles trachytiques, se sont installés les villages. Là se trouve Soghanle, qui a conservé, après Gueurémé, le groupe le plus nombreux et le plus important de monuments anciens (pl. 13, 14, 15).

Tout cet étrange pays est aujourd'hui encore fort habité. Urgub, avant la guerre, comptait de vingt à trente mille habitants, Sinassos de six à huit mille; Matchan avait 600 maisons, Orta-Hissar 500, etc. Il l'était autrefois bien davantage. « Toute cette région, dit le P. de Jerphanion, apparaît au voyageur comme une immense cité morte. » Dans les parois rocheuses qui dominent les vallées, dans les cônes qui les hérissent, les habitants anciens du pays avaient creusé de bonne heure des habitations innombrables, et un historien byzantin du xe siècle, Léon Diacre, rappelle que les gens de Cappadoce étaient jadis appelés troglodytes, parce qu'ils avaient l'habitude de vivre dans des cavernes. D'innombrables groupements s'offrent ainsi aux yeux. Pas un cône, pour ainsi dire, qui n'ait été creusé, et qui ne renferme, selon ses dimensions, une ou plusieurs pièces. Sur les parois verticales, les ouvertures sont parfois si nombreuses qu'on croit voir des façades construites (pl. 13). Et parfois en effet de véritables

1. P. 28.

2. P. 7.

façades ont été taillées dans la roche, et donnent à ces habitations souterraines un décor extérieur assez pittoresque, où plusieurs rangées d'arcatures aveugles se superposent sur la muraille. A Tchaouch-In, à Qeledjlar (pl, 20, 21), on en rencontre de particulièrement remarquables. Il y avait là sans doute des églises d'une importance exceptionnelle, et qui étaient le centre d'un établissement monastique plus considérable.

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C'est en effet le grand intérêt de cette région d'Urgub qu'elle a été au moyen âge entre le ixe et le XII° siècle toute peuplée de monastères, à ce point que, sur cet étroit espace, on rencontre au xe siècle deux sièges épiscopaux, et que d'autres y furent postérieurement fondés. A chaque pas on retrouve les traces de ces monastères, avec leurs réfectoires, leur vaste ensemble de salles, leurs églises, tout cela creusé dans la roche et groupant autour d'un sanctuaire principal les diverses habitations monastiques, les cellules isolées habitées par des ermites, les chapelles dispersées. A Gueurémé, il y avait au moins trois monastères, dont l'un avait sans doute pour centre l'église de Toqale-Kilissé, le plus important assurément des sanctuaires de cette région. Qeledjlar avait un autre monastère, dont l'église est décorée de peintures qui comptent parmi les meilleures de la Cappadoce, Soghanlé de même comprenait plusieurs centres monastiques. Il serait facile d'allonger cette liste'. Dans ces couvents creusés dans les rochers, les moines du moyen âge oriental menaient la vie pieuse, austère et rude que jadis, dans les solitudes de la Thébaïde, avaient menée les disciples d'Antoine, de Pachôme et de Schnoudi, et que menaient encore, entre le ixe et le xiv siècle, les anachorètes qui peuplaient les gravine de l'Italie du Sud.

L'intérêt principal de ces établissements monastiques réside dans les nombreuses églises rupestres qui nous ont été conservées et dans les peintures qui les décorent. Ces églises sont de formes assez diverses 2. Beaucoup d'entre elles et il semble bien que ce soit là le type le plus ancien - sont constituées par une nef rectangulaire, ordinairement voûtée en berceau et terminée par une abside; parfois le vaisseau principal est doublé par une seconde nef semblable à la première; quelquefois, mais assez rarement, on rencontre des basiliques à trois nefs. Un autre type, fréquent à Gueurémé, et qui rappelle certaines églises de la Mésopotamie, montre une nef rectangulaire couverte d'un berceau transversal, c'est-à-dire dont l'axe est perpendiculaire à celui des trois absides ouvertes sur le grand côté. Ailleurs on trouve des églises en forme de croix, sans colonnes, et qu'une cou

1. Voir Jerphanion, p. 43-44, et aussi p. 22-25, 29 et 39-41.

2. Voir les plans aux planches 28, 43, 61.

pole ou une calotte couronne à la croisée des bras, et d'autres, conformes au type classique de l'église en croix grecque, c'est-à-dire « à colonnes et à coupoles multiples dominant une croix inscrite dans un carré1». Dans cette dernière catégorie d'édifices, de même que dans la seconde, les arcs sont toujours outrepassés; on y trouve des iconostases devant l'abside centrale, trait qu'on ne constate point dans les constructions plus archaïques. Aussi le P. de Jerphanion observe-t-il et la remarque a son importance pour la datation des peintures qui décorent ces églises

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que les édifices de ce dernier type sont « d'une date relativement récente et d'une origine étrangère» et que «<leurs décorations doivent être rangées parmi les plus récentes 2».

Toutes ces églises rupestres sont de dimensions assez exiguës. « Tout ce qu'il y a de monuments décrits dans cet ouvrage, dit le P. de Jerphanion, tiendrait à l'aise dans Sainte-Sophie de Constantinople3. » Et la remarque doit être retenue, pour apprécier exactement l'importance de monuments qu'une description minutieuse risque de faire apparaître innombrables. Mais-et c'est ce qui en fait vraiment l'importance-toutes ces églises sont décorées de peintures (le décor architectural est en général très sobre), exécutées à la détrempe sur un enduit plus ou moins fin. Le coloris en est parfois encore d'une vivacité surprenante; le plus souvent cependant le temps a pâli les couleurs, et il est à peine besoin d'ajouter que beaucoup de ces peintures sont fort abîmées. Telles qu'elles sont, elles n'en constituent pas moins, pour l'histoire de l'art byzantin, un ensemble d'une valeur singulière; et c'est avec raison que le P. de Jerphanion, dans l'ouvrage considérable où il en entreprend l'étude, a pu quoique modestement il s'en défende — indiquer, dans le titre du livre, qu'il nous fait connaître «< une nouvelle province de l'art byzantin ».

II

Au temps lointain où j'étais à l'École française d'Athènes, j'avais été très frappé par le passage où Texier parle de ces chapelles et oratoires de la région d'Urgub, qui, dit-il, se comptent par centaines, ajoutant « qu'une année entière ne suffirait pas pour recueillir toutes les peintures qui les

1. P. 60.

2. P. 61.

3. P. xx.

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