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Un autre, après cela, quitteroit tout peut-être;
Mais j'avois médité tantôt un coup de maître,
Dont tout présentement je veux voir les effets;
A la charge que si...

LÉLIB. Non, je te le promets,

De ne me mêler plus de rien dire ou rien faire. MASCARILLE. Allez donc; votre vue excite ma colère. LÉLIE. Mais surtout hate-toi, de peur qu'en ce dessein... MASCARILLE. Allez, encore un coup; j'y vais mettre la main.

(Lélie sort.)

Menons bien ce projet; la fourbe sera fine,
S'il faut qu'elle succède ainsi que j'imagine.
Allons voir... Bon, voici mon homme justement.

SCÈNE IX.

PANDOLFE, MASCARILLE.

:

FANDOLFE. Mascarille.

MASCARILLE. Monsieur.

PANDOLFE. A parler franchement,

Je suis mal satisfait de mon fils.

MASCARILLE. De mon maître?

Vous n'êtes pas le seul qui se plaigne de l'être :
Sa mauvaise conduite, insupportable en tout,
Met à chaque moment ma patience à bout.

PANDOLFE. Je vous croyois pourtant assez d'intelligence
Ensemble.

MASCARILLE. Moi, monsieur! perdez cette croyance;
Toujours de son devoir je tâche à l'avertir,

Et l'on nous voit sans cesse avoir maille à partir '.
A l'heure même encor nous avons cu querelle
Sur l'hymen d'Hippolyte, où je le vois rebelle,
Où, par l'indignité d'un refus criminel,

Je le vois offenser le respect paternel.

PANDOLFE. Querclle?

* Avoir maille à partir, c'est-à-dire à se partager, du latin partiri. La maille étoit une petite monnoie de si peu de valeur qu'elle ne pouvoit être divisée. De là le proverbe avoir maille à partir, se disputer sur un portage impossible, et par extension avoir une dispute interminable. Ménage dit que cette monnoie étoit ainsi appelée du vieux mot franço's maille, qui signifie figure carrée, parce que la maille avoit cette forme. N'avoir ni denier ni maille signifioit autrefois n'avoir aucune sorte de monnoie, ni ronde ni carrée.

MASCARILLE. Oui, querelle, et bien avant poussée.
PANDOLFE. Je me trompois donc bien; car j'avois la pensée
Qu'à tout ce qu'il faisoit tu donnois de l'appui.

MASCARILLE. Moi? Voyez ce que c'est que du monde aujourd'hui,
Et comme l'innocence est toujours opprimée!
Si mon intégrité vous étoit confirmée,

Je suis auprès de lui gagé pour serviteur,
Vous me voudriez encor payer pour précepteur :
Oui, vous ne pourriez pas lui dire davantage
Que ce que je lui dis pour le faire étre sage.
Monsieur, au nom de Dieu, lui fais-je assez souvent,
Cessez de vous laisser conduire au premier vent;
Réglez-vous; regardez l'honnête homme de père
Que vous avez du ciel, comme on le considère;
Cessez de lui vouloir donner la mort au cœur,
Et, comme lui, vivez en personne d'honneur.
PANDOLFE. C'est parler comme il faut. Et que peut-il répondre?
MASCARILLE. Répondre? Des chansons dont il me vient confondre.
Ce n'est pas qu'en effet, dans le fond de son cœur,
Il ne tienne de vous des semences d'honneur;
Mais sa raison n'est pas maintenant la maîtresse.
Si je pouvois parler avecque hardiesse,

Vous le verriez dans peu soumis sans nul effort.
PANDOLFE. Parle.

MASCARILLE. C'est un secret qui m'importeroit fort
S'il étoit découvert ; mais à votre prudence
Je le puis confier avec toute assurance.

PANDOLFE. Tu dis bien.

MASCARILLE. Sachez donc que vos vœux sont trahis

Par l'amour qu'une esclave imprime à votre fils. PANDOLFE. On m'en avoit parlé ; mais l'action me touche De voir que je l'apprenne encore par ta bouche. MASCARILLE. Vous voyez si je suis le secret confident... PANDOLFE. Vraiment je suis ravi de cela.

MASCARILLE. Cependant

A son devoir, sans bruit, desirez-vous le rendre?
Il faut... J'ai toujours peur qu'on nous vienne surprendre :

Ce seroit fait de moi, s'il savoit ce discours.

Il faut, dis-je, pour rompre à toute chose cours,

Acheter sourdement l'esclave idolatrée,

Et la faire passer en une autre contrée.
Anselme a grand accès auprès de Trufaldin;
Qu'il aille l'acheter pour vous dès ce matin :
Après, si vous voulez en mes mains la remettre,
Je connois des marchands, et puis bien vous promettre
D'en retirer l'argent qu'elle pourra coûter,
Et, malgré votre fils, de la faire écarter;
Car enfin, si l'on veut qu'à l'hymen il se range,
A cet amour naissant il faut donner le change;
Et de plus, quand bien même il seroit résolu
Qu'il auroit pris le joug que vous avez voulu,
Cet autre objet, pouvant réveiller son caprice,
Au mariage encor peut porter préjudice.

PANDOLFE. C'est très bien raisonner; ce conseil me plaît fort...
Je vois Anselme; va, je m'en vais faire effort
Pour avoir promptement cette esclave funeste,
Et la mettre en tes mains pour achever le reste.
MASCARILLE, seul. Bon; allons avertir mon maître de ceci.
Vive la fourberie, et les fourbes aussi !

SCÈNE X.

HIPPOLYTE, MASCARILLE.

HIPPOLYTE. Oui, traître, c'est ainsi que tu me rends service!
Je viens de tout entendre, et voir ton artifice :
A moins que de cela, l'eussé-je soupçonné?
Tu couches d'imposture', et tu m'en as donné.
Tu m'avois promis, lâche, et j'avois lieu d'attendre
Qu'on te verroit servir mes ardeurs pour Léandre;
Que du choix de Lélie, où l'on veut m'obliger,
Ton adresse et tes soins sauroient me dégager;
Que tu m'affranchirois du projet de mon père:
Et cependant ici tu fais tout le contraire!
Mais tu t'abuseras; je sais un sûr moyen
Pour rompre cet achat où tu pousses si bien;
Et je vais de ce pas...

MASCARILLE. Ah! que vous êtes prompte!

* Coucher d'imposture, pour payer de ruses, de mensonges. Cette manière de s'exprimer, dit Voltaire, n'est plus admise: elle vient du jeu. On disoit: Couché de vingt pistoles, de trente pistoles, couché belle.

La mouche tout d'un coup à la tête vous monte',
Et, sans considérer s'il a raison ou non,
Votre esprit contre moi fait le petit démon.
J'ai tort, et je devrois, sans finir mon ouvrage,
Vous faire dire vrai, puisqu'ainsi l'on m'outrage.
HIPPOLYTE. Par quelle illusion penses-tu m'éblouir?
Traître, peux-tu nier ce que je viens d'ouïr?
MASCARILLE. Non. Mais il faut savoir que tout cet artifice
Ne va directement qu'à vous rendre service;
Que ce conseil adroit, qui semble être sans fard,
Jette dans le panneau l'un et l'autre vieillard2;
Que mon soin par leurs mains ne veut avoir Célie
Qu'à dessein de la mettre au pouvoir de Lélie;
Et faire que, l'effet de cette invention
Dans le dernier excès portant sa passion,
Anselme, rebuté de son prétendu gendre,
Puisse tourner son choix du côté de Léandre.

HIPPOLYTE. Quoi! tout ce grand projet, qui m'a mise en courroux,
Tu l'as formé pour moi, Mascarille?

MASCARILLE. Oui, pour vous. Mais, puisqu'on reconnoît si mal mes bons offices; Qu'il me faut de la sorte essuyer vos caprices, Et que, pour récompense, on s'en vient, de hauteur, Me traiter de faquin, de lache, d'imposteur, Je m'en vais réparer l'erreur que j'ai commise, Et, dès ce même pas, rompre mon entreprise. HIPPOLYTE, l'arrétant. Hé! ne me traite pas si rigoureusement, Et pardonne aux transports d'un premier mouvement. MASCARILLE. NON, non, laissez-moi faire; il est en ma puissance De détourner le coup qui si fort vous offense.

Vous ne vous plaindrez point de mes soins désormais ; Oui, vous aurez mon maître, et je vous le promets. HIPPOLYTE. Hé! mon pauvre garçon, que ta colère cesse! J'ai mal jugé de toi, j'ai tort, je le confesse.

(Tirant sa bourse.)

' Imitation du proverbe italien : Salir le mosche al naso. On dit proverbialement en françois, qu'un homme est tendre aux mouches, qu'il prend la mouche, que la mouche le pique, pour exprimer qu'il est trop susceptible, qu'il se fache mal-àpropos. (B.)

2 On appelle panneau un filet à prendre des lièvres, des lapins, etc. De là les expressions proverbiales donner, se jeter et jeter quelqu'un dans le panneau. (A.)

Mais je veux réparer ma faute avec ceci.
Pourrois-tu te résoudre à me quitter ainsi?

MASCARILLE. Non, je ne le saurois, quelque effort que je fasse;
Mais votre promptitude est de mauvaise grace.

Apprenez qu'il n'est rien qui blesse un noble cœur
Comme quand il peut voir qu'on le touche en l'honneur.
HIPPOLYTE. Il est vrai, je t'ai dit de trop grosses injures :
Mais que ces deux louis guérissent tes blessures.
MASCARILLE. Hé! tout cela n'est rien; je suis tendre à ces coups.
Mais déja je commence à perdre mon courroux;
Il faut de ses amis endurer quelque chose.

HIPPOLYTE. Pourras-tu mettre à fin ce que je me propose,
Et crois-tu que l'effet de tes desseins hardis
Produise à mon amour le succès que tu dis?
MASCARILLE. N'ayez point pour ce fait l'esprit sur des épines.
J'ai des ressorts tout prêts pour diverses machines;
Et, quand ce stratagème à nos vœux manqueroit,

Ce qu'il ne feroit pas, un autre le feroit.

HIPPOLYTE. Crois qu'Hippolyte au moins ne sera pas ingrate.
MASCARILLE. L'espérance du gain n'est pas ce qui me flatte.
HIPPOLYTE. Ton maître te fait signe, et veut parler à toi :
Je te quitte; mais songe à bien agir pour moi.

SCÈNE XI.

LÉLIE, MASCARILLE.

LÉLIE. Que diable fais-tu là? Tu me promets merveille;
Mais ta lenteur d'agir est pour moi sans pareille.
Sans que mon bon génie au devant m'a poussé,
Déja tout mon bonheur eût été renversé.
C'étoit fait de mon bien, c'étoit fait de ma joie,
D'un regret éternel je devenois la proie;
Bref, si je ne me fusse en ces lieux rencontré,
Anselme avoit l'esclave, et j'en étois frustré;
Il l'emmenoit chez lui: mais j'ai paré l'atteinte,
J'ai détourné le coup, et tant fait que, par crainte,
Le pauvre Trufaldin l'a retenue.

MASCARILLE. Et trois :

Quand nous serons à dix, nous ferons une croix.
C'étoit par mon adresse, o cervelle incurable,

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