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MASCARILLE, à part.

Fut-il jamais au monde un esprit moins sensé?

LÉLIE. Laissez-moi contenter mon courage offensé.

LÉANDRE. C'est trop que de vouloir le battre en ma présence. LÉLIE. Quoi! châtier mes gens n'est pas en ma puissance?

LÉANDRE. Comment, vos gens?

MASCARILLE, à part. Encore! Il va tout découvrir.

LÉLIE. Quand j'aurois volonté de le battre à mourir,
Hé bien! c'est mon valet.

LÉANDRE. C'est maintenant le nôtre.

LÉLIE. Le trait est admirable! Et comment donc le vôtre ?
Sans doute...

MASCARILLE, bas à Lélie.

Doucement.

LÉLIE. Hem! que veux-tu conter?

MASCARILLE, à part.

Ah! le double bourreau, qui me va tout gåter,

Et qui ne comprend rien, quelque signe qu'on donne !

LÉLIE. Vous rêvez bien, Léandre, et me la baillez bonne.

Il n'est pas mon valet?

LÉANDRE. Pour quelque mal commis,

Hors de votre service il n'a pas été mis?

LÉLIE. Je ne sais ce que c'est.

LÉANDRE. Et plein de violence,

Vous n'avez pas chargé son dos avec outrance?
LÉLIE. Point du tout. Moi, l'avoir chassé, roué de coups?

Vous vous moquez de moi, Léandre, ou lui de vous.

MASCARILLE, à part.

Pousse, pousse, bourreau; tu fais bien tes affaires.

LÉANDRE, à Mascarille.

Donc les coups de bâton ne sont qu'imaginaires! MASCARILLE. Il ne sait ce qu'il dit; sa mémoire...

LÉANDRE. Non, non,

Tous ces signes pour toi ne disent rien de bon.
Oui, d'un tour délicat mon esprit te soupçonne.
Mais pour l'invention, va, je te le pardonne.
C'est bien assez pour moi qu'il m'a désabusé,
De voir par quels motifs tu m'avois imposé,
Et que m'étant commis à ton zèle hypocrite,
A si bon compte encor je m'en sois trouvé quitte.

Ceci doit s'appeler un avis au lecteur.
Adieu, Lélie, adieu, très humble serviteur.

SCÈNE V.

LÉLIE, MASCARILLE.

MASCARILLE. Courage, mon garçon, tout heur nous accompagne:
Mettons flamberge au vent et bravoure en campagne,
Faisons l'Olibrius, l'occiseur d'innocents'.

LÉLIE. Il t'avoit accusé de discours médisants
Contre...

MASCARILLE. Et vous ne pouviez souffrir mon artifice,
Lui laisser son erreur, qui vous rendoit service,
Et par qui son amour s'en étoit presque allé?
Non, il a l'esprit franc, et point dissimulé.
Enfin, chez son rival je m'ancre avec adresse,
Cette fourbe en mes mains va mettre sa maîtresse,
Il me la fait manquer avec de faux rapports;
Je veux de son rival alentir les transports,
Mon brave incontinent vient qui le désabuse;
J'ai beau lui faire signe, et montrer que c'est ruse ;
Point d'affaire: il poursuit sa pointe jusqu'au bout,
Et n'est point satisfait qu'il n'ait découvert tout.
Grand et sublime effort d'une imaginative
Qui ne le cède point à personne qui vive!
C'est une rare pièce, et digne, sur ma foi,
Qu'on en fasse présent au cabinet d'un roi.
LÉLIE. Je ne m'étonne pas si je romps tes attentes;
A moins d'être informé des choses que tu tentes,
J'en ferois encor cent de la sorte.

MASCARILLE. Tant pis.

LÉLIE. Au moins, pour t'emporter à de justes dépits,
Fais-moi dans tes desseins entrer de quelque chose ;
Mais que de leurs ressorts la porte me soit close,
C'est ce qui fait toujours que je suis pris sans vert 2.

4 Suivant une vieille légende, Olibrius, gouverneur des Gaules, ne pouvant toucher le cœur de sainte Reine, la fit mourir. Le martyre de cette sainte fut plus tard le sujet d'un grand nombre de mystères qui plaisoient beaucoup au peuple. Olibrius y étoit représenté comme un fanfaron, un glorieux, un occiseur d'innocents; de là l'expression proverbiale: faire l'Olibrius pour faire le faux brave, persécuter ceux qui sont sans défense, etc. (Voyez le Dictionnaire des proverbes, par La M.......)

2 Cette expression tire son origine d'un jeu fort en usage sous le règne de Louis XIV

MASCARILLE. Je crois que vous seriez un maître d'arme expert; Vous savez à merveille, en toutes aventures,

Prendre les contre-temps et rompre les mesures.

LÉLIE. Puisque la chose est faite, il n'y faut plus penser.
Mon rival, en tout cas, ne peut me traverser ;
Et pourvu que tes soins en qui je me repose...
MASCARILLE. Laissons là ce discours, et parlons d'autre chose.
Je ne m'apaise pas, non, si facilement;

Je suis trop en colère. Il faut premièrement
Me rendre un bon office, et nous verrons ensuite
Si je dois de vos feux reprendre la conduite.
LÉLIE. S'il ne tient qu'à cela, je n'y résiste pas.
As-tu besoin, dis-moi, de mon sang, de mes bras?
MASCARILLE. De quelle vision sa cervelle est frappée !
Vous êtes de l'humeur de ces amis d'épée1

Que l'on trouve toujours plus prompts à dégainer

Qu'à tirer un teston, s'il falloit le donner2.

LÉLIE. Que puis-je donc pour toi?

MASCARILLE. C'est que de votre père

Il faut absolument apaiser la colère.

LÉLIE. Nous avons fait la paix.

MASCARILLE. Oui, mais non pas pour nous.

Je l'ai fait, ce matin, mort pour l'amour de vous;
La vision le choque, et de pareilles feintes
Aux vieillards comme lui sont de dures atteintes,
Qui, sur l'état prochain de leur condition,

Leur font faire à regret triste réflexion.

Le bon homme, tout vieux, chérit fort la lumière,
Et ne veut point de jeu dessus cette matière;
11 craint le pronostic, et, contre moi fàché,

On m'a dit qu'en justice il m'avoit recherché.

mais beaucoup plus ancien. Au premier jour de mai, chacun devoit se trouver muni d'une branche de verdure. On se visitoit, on tâchoit de se surprendre en faute; ces mots: Je vous prends sans vert, retentissoient de tous côtés, et la moindre négligence étoit punie d'une amende dont le produit étoit destiné à une fête champêtre où l'on lébroit le printemps.

Par amis d'épée, Molière n'entend pas compagnon d'armes, mais seulement com. pagnons de duel. Molière s'est sans doute servi de cette expression par analogie avec ami de table, ami de tripot.

2 Le teston valoit dix sous tournois, le more d'argent étant à douze livres dix sous; il étoit appelé deston à cause de la tête de Louis XII qui y étoit représenté. Cette monmoie. fabriquée en 1515, subsista jusqu'à Henri III.

J'ai peur, si le logis du roi fait ma demeure,
De m'y trouver si bien dès le premier quart d'heure,
Que j'aye peine aussi d'en sortir par après.
Contre moi dès long-temps l'on a force décrets;
Car enfin la vertu n'est jamais sans envie,
Et dans ce maudit siècle est toujours poursuivic.
Allez donc le fléchir.

LÉLIE. Oui, nous le fléchirons :

Mais aussi tu promets...

MASCARILLE. Ah! mon Dicu! nous verrons.

(Lélie so:t.)

Ma foi, prenons haleine après tant de fatigues.
Cessons, pour quelque temps, le cours de nos intrigues,
Et de nous tourmenter de même qu'un lutin.

Léandre, pour nous nuire, est hors de garde enfin,

Et Célie arrêtée avecque l'artifice...

SCÈNE VI.

ERGASTE, MASCARILLE.

ERGASTE. Je te cherchois partout pour te rendre un service,

Pour te donner avis d'un secret important.

MASCARILLE. Quoi done?

ERGASTE. N'avons-nous point ici quelque écoutant?

MASCARILLE. Non.

ERGASTE. Nous sommes amis autant qu'on le peut être,
Je sais bien tes desseins et l'amour de ton maître ;
Songez à vous tantôt. Léandre fait parti
Pour enlever Célie; et j'en suis averti
Qu'il a mis ordre à tout, et qu'il se persuade
D'entrer chez Trufaldin par une mascarade,
Ayant su qu'en ce temps, assez souvent le soir
Des femmes du quartier en masque l'alloient voir.
MASCARILLE. Oui? Suffit; il n'est pas au comble de sa joie,
Je pourrai bien tantôt lui souffler cette proie;
Et contre cet assaut je sais un coup fourré
Par qui je veux qu'il soit de lui-même enferré.
Il ne sait pas les dons dont mon ame est pourvue.
Adieu, nous boirons pinte à la première vue.

SCÈNE VII.

MASCARILLE.

Il faut, il faut tirer à nous ce que d'heureux
Pourroit avoir en soi ce projet amoureux,
Et, par une surprise adroite et non commune,
Sans courir le danger, en tenter la fortune.
Si je vais me masquer pour devancer ses pas,
Léandre assurément ne nous bravera pas,
Et là, premier que lui, si nous faisons la prise,
Il aura fait pour nous les frais de l'entreprise,
Puisque par son dessein déja presque éventé
Le soupçon tombera toujours de son côté,
Et que nous, à couvert de toutes ses poursuites,
De ce coup hasardeux ne craindrons point de suites.
C'est ne se point commettre à faire de l'éclat,
Et tirer les marrons de la patte du chat.
Allons donc nous masquer avec quelques bons frères;
Pour prévenir nos gens, il ne faut tarder guères.
Je sais où gît le lièvre, et me puis, sans travail,
Fournir en un moment d'hommes et d'attirail.
Croyez que je mets bien mon adresse en usage :
Si j'ai reçu du ciel les fourbes en partage,
Je ne suis point au rang de ces esprits mal nés
Qui cachent les talents que Dieu leur a donnés.

SCÈNE VIII.
LÉLIE, ERGASTE.

LÉLIE. Il prétend l'enlever avec sa mascarade?
ERGASTE. Il n'est rien plus certain. Quelqu'un de sa brigade
M'ayant de ce dessein instruit, sans m'arrêter,
A Mascarille lors j'ai couru tout conter,
Qui s'en va, m'a-t-il dit, rompre cette partie
Par une invention dessus le champ bâtie;
Et, comme je vous ai rencontré par hasard,
J'ai cru que je devois de tout vous faire part.
LÉLIE. Tu m'obliges par trop avec cette nouvelle :
Va, je reconnoîtrai ce service fidèle.

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