ASCAGNE. NON, non, vous pouvez bien,
Puisque vous le faisiez, rompre notre entretien.
ASCAGNE. Je disois que Valère
Auroit, si j'étois fille, un peu trop su me plaire; Et que, si je faisois tous les vœux de son cœur, Je ne tarderois guère à faire son bonheur.. VALÈRE. Ces protestations ne coûtent pas grand chose, Alors qu'à leur effet un. parcil si s'oppose;
Mais vous seriez bien pris, si quelque événement Alloit mettre à l'épreuve un si doux compliment. ASCAGNE. Point du tout; je vous dis que, régnant dans votre ame, Je voudrois de bon cœur couronner votre flamme.. VALÈRE. Et si c'étoit quelqu'une où par votre.secours Vous pussiez être utile au bonheur de mes jours? ASCAGNE. Je pourrois assez mal répondre à votre attente. VALÈRE. Cette confession n'est pas fort obligeante, ASCAGNE. Hé quoi! vous voudriez, Valère, injustement, Qu'étant fille, et mon cœur vous aimant tendrement, Je m'allasse engager avec une promesse
De servir vos ardeurs pour quelque autre maîtresse? Un si pénible effort, pour moi, m'est interdit..
VALÈRE. Mais cela n'étant pas?
ASGAGNE. Ce que je vous ai dit,
Je l'ai dit comme fille, et vous le devez prendre Tout de même.
VALÈRE. Ainsi done il ne fant rien prétendre, Ascagne, à des bontés que vous auriez pour nous, A moins que le ciel fasse un grand miracle en vous;.. Bref, si vous n'êtes fille, adieu votre tendresse, Il ne vous reste rien qui pour nous s'intéresse.. ASCAGNE. J'ai l'esprit délicat plus qu'on ne peut penser, Et le moindre scrupule a de quoi m'offenser Quand il s'agit d'aimer. Enfin je suis sincère; Je ne m'engage point à vous servir, Valère, Si vous ne assurez, au moins absolument, Que vous gardez pour moi le même sentiment;
Que pareille chaleur d'amitié vous transporte, Et que, si j'étois fille, une flamme plus forte N'outrageroit point celle où je vivrois pour vous. VALÈRE. Je n'avois jamais vu ce scrupule jaloux; Mais, tout nouveau qu'il est, ce mouvement m'oblige, Et je vous fais ici tout l'aveu qu'il exige.
ASCAGNE. S'il est vrai, désormais
Vos intérêts seront les miens, je vous promets. VALÈRE. J'ai bientôt à vous dire un important mystère, Où l'effet de ces mots me sera nécessaire.
ASCAGNE. Et j'ai quelque secret de même à vous ouvrir, Où votre cœur pour moi se pourra découvrir. VALÈRE. Eh! de quelle façon cela pourroit-il être? ASCAGNE. C'est que j'ai de l'amour qui n'oseroit paroitre; Et vous pourriez avoir sur l'objet de mes vœux Un empire à pouvoir rendre mon sort heureux. VALÈRE. Expliquez-vous, Ascagne; et croyez, par avance, Que votre heur est certain, s'il est en ma puissance. ASCAGNE. Vous promettez ici plus que vous ne croyez. VALÈRE. Non, non; dites l'objet pour qui vous m'employez. ASCAGNE. Il n'est pas encor temps; mais c'est une personne Qui vous touche de près.
VALÈRE. Votre discours m'étonne.
Plùt à Dieu que ma sœur!...
ASCAGNE. Ce n'est pas la saison
De m'expliquer, vous dis-je.
Vous saurez mon secret, quand je saurai le vôtre. VALÈRE. J'ai besoin pour cela de l'aveu de quelque autro. ASCAGNE. Ayez-le done; et lors, nous expliquant nos vœux. Nous verrons qui tiendra mieux parole des deux.
VALÈRE. Adieu, j'en suis content.
ASCAGNE. Et moi content, Valere.
(Valère sort), FROSINE. Il croit trouver en vous l'assistance d'un frère.
LUCILE, ASCAGNE, FROSINE, MARINETTE. LUCILE, à Marinette, les trois premiers vers.
C'en est fait; c'est ainsi que je me puis venger ; Et si cette action a de quoi l'affliger,
C'est toute la douceur que mon cœur s'y propose. Mon frère, vous voyez une métamorphose. Je veux chérir Valère après tant de fierté,
Et mes vœux maintenant tournent de son côté. ASCAGNE. Que dites-vous, ma sœur? Comment! courir au change! Cette inégalité me semble trop étrange.
LUCILE. La vôtre me surprend avec plus de sujet. De vos soins autrefois Valère étoit l'objet : Je vous ai vu pour lui m'accuser de caprice, D'aveugle cruauté, d'orgueil et d'injustice; Et, quand je veux l'aimer, mon dessein vous déplaît ! Et je vous vois parler contre son intérêt!
ASCAGNE. Je le quitte, ma sœur, pour embrasser le vôtre; Je sais qu'il est rangé dessous les lois d'une autre; Et ce seroit un trait honteux à vos appas, Si vous le rappeliez et qu'il ne revînt pas.
LUCILE. Si ce n'est que cela, j'aurai soin de ma gloire, Et je sais, pour son cœur, tout ce que j'en dois croire; Il s'explique à mes yeux intelligiblement ; Ainsi découvrez-lui, sans peur, mon sentiment. Ou, si vous refusez de le faire, ma bouche Lui va faire savoir que son ardeur me touche. Quoi! mon frère, à ces mots vous restez interdit? ASCAGNE. Ah! ma sœur ! si sur vous je puis avoir crédit, Si vous êtes sensible aux prières d'un frère, Quittez un tel dessein, et n'ôtez point Valère Aux vœux d'un jeune objet dont l'intérêt m'est cher, Et qui, sur ma parole, a droit de vous toucher. La pauvre infortunée aime avec violence; A moi seul de ses feux elle fait confidence, Et je vois dans son cœur de tendres mouvements A dompter la fierté des plus durs sentiments. Oui, vous auriez pitié de l'état de son ame,
Connoissant de quel coup vous menacez sa flamme; Et je ressens si bien la douleur qu'elle aura, Que je suis assuré, ma sœur, qu'elle en mourra, Si vous lui dérobez l'amant qui peut lui plaire. Éraste est un parti qui doit vous satisfaire,
LUCILE. Mon frère, c'est assez. Je ne sais point pour qui vous vous intéressez ; Mais, de grace, cessons ce discours, je vous prie, Et me laissez un peu dans quelque rêverie. ASCAGNE. Allez, cruelle sœur, vous me désespérez, Si vous effectuez vos desseins déclarés.
SCÈNE IV.
LUCILE, MARINETTE.
MARINETTE. La résolution, madame, est assez prompte. LUCILE. Un cœur ne pèse rien alors que l'on l'affronte; Il court à sa vengeance, et saisit promptement Tout ce qu'il croit servir à son ressentiment. Le traître! faire voir cette insolence extrême !
MARINETTE. Vous m'en voyez encor toute hors de moi-même; Et quoique là-dessus je rumine sans fin, L'aventure me passe, et j'y perds mon latin, Car enfin, aux transports d'une bonne nouvelle Jamais cœur ne s'ouvrit d'une façon plus belle; De l'écrit obligeant le sien tout transporté, Ne me donnoit pas moins que de la déité ; Et cependant jamais, à cet autre message, Fille ne fut traitée avecque tant d'outrage. Je ne sais, pour causer d'aussi grands changements, Ce qui s'est pu passer entre ces courts moments. LUCILE. Rien ne s'est pu passer dont il faille être en peine, Puisque rien ne le doit défendre de ma haine. Quoi! tu voudrois chercher hors de sa lâcheté, La secrète raison de cette indignité?
Cet écrit malheureux, dont mon ame s'accuse, Peut-il à son transport souffrir la moindre excuse? MARINETTE. En effet, je comprends que vous avez raison, Et que cette querelle est pure trahison.
Nous en tenons, madame: et puis, prêtons l'oreille Aux bons chiens de pendards qui nous chantent merveille, Qui, pour nous accrocher, feignent tant de langueur ; Laissons à leurs beaux mots foudre notre rigueur; Rendons nous à leurs vœux, trop foibles que nous sommes ! Foin de notre sottise, et peste soit des hommes! LUCILE. Hé bien! bien ! qu'il s'en vante et rie à nos dépens, Il n'aura pas sujet d'en triompher long-temps; Et je lui ferai voir qu'en une ame bien faite
Le mépris suit de près la faveur qu'on rejette. MARINETTE. Au moins, en pareil cas, est-ce un bonheur bien doux Quand on sait qu'on n'a point d'avantage sur vous. Marinette eut bon nez, quoi qu'on en puisse dire, De ne permettre rien un soir qu'on vouloit rire. Quelque autre, sous espoir de matrimonion, Auroit ouvert l'oreille à la tentation;
LUCILE. Que tu dis de folies,
Et choisis mal ton temps pour de telles saillies! Enfin je suis touchée au cœur sensiblement; Et si jamais celui de ce perfide amant,
Par un coup de bonheur dont j'aurois tort, je pense, De vouloir à présent conserver l'espérance (Car le ciel a trop pris plaisir à m'affliger, Pour me donner celui de me pouvoir venger); Quand, dis-je, par un sort à mes desirs propice, Il reviendroit m'offrir sa vie en sacrifice, Détester à mes pieds l'action d'aujourd'hui, Je te défends, surtout, de me parler pour lui. Au contraire, je veux que ton zèle s'exprime A me bien mettre aux yeux la grandeur de son crime; Et même si mon cœur étoit pour lui tenté De descendre jamais à quelque lâcheté, Que ton affection me soit alors sévère,
Et tienne comme il faut la main à ma colère.
MARINETTE. Vraiment, n'ayez point peur, et laissez faire à nous; J'ai pour le moins autant de colère que vous ;
Et je serois plutôt fille toute ma vie,
Que mon gros traître aussi me redonnat envie. S'il vient...
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