Images de page
PDF
ePub

SCÈNE V.

ALBERT, LUCILE, MARINETTE.

ALBERT. Rentrez, Lucile, et me faites venir Le précepteur; je veux un peu l'entretenir, Et m'informer de lui, qui me gouverne Ascagne, S'il sait point quel ennui depuis peu l'accompagne..

SCÈNE VI.

ALBERT.

En quel gouffre de soins et de perplexité
Nous jette une action faite sans équité!
D'un enfant supposé par mon trop d'avarice,
Mon cœur depuis long-temps souffre bien le supplice;
Et quand je vois les maux où je me suis plongé,
Je voudrois à ce bien n'avoir jamais songé.
Tantôt je crains de voir, par la fourbe éventée,
Ma famille en opprobre et misère jetée;
Tantôt pour ce fils-là, qu'il me faut conserver,
Je crains cent accidents qui peuvent arriver.
S'il advient que dehors quelque affaire m'appelle,
J'appréhende au retour cette triste nouvelle :
Las! vous ne savez pas? vous l'a-t-on annoncé?
Votre fils a la fièvre, ou jambe, ou bras cassé;
Enfin, à tous moments, sur quoi que je m'arrête,
Cent sortes de chagrins me roulent par la tête.
Ah!...

SCÈNE VII.

ALBERT, METAPHRASTE.

MÉTAPHRASTE. Mandatum tuum curo diligenter'.

ALBERT. Maître, j'ai voulu...

MÉTAPHRASTE. Maître est dit à magis ter :

C'est comme qui diroit trois fois plus grand.

ALBERT. Je meure,

Si je savois cela. Mais, soit, à la bonne heure.
Maître, donc.....

Jem, hâte d'obéir à votre commandement.

MÉTAPHRASTE. Poursuivez.

ALBERT. Je veux poursuivre aussi;

Mais ne poursuivez point, vous, d'interrompre ainsi.
Donc, encore une fois, maître, c'est la troisième,
Mon fils me rend chagrin : vous savez que je l'aime,
Et que soigneusement je l'ai toujours nourri.
MÉTAPHRASTE. Il est vrai : Filio non potest præferri
Nisi filius'.

ALBERT. Maître, en discourant ensemble,
Ce jargon n'est pas fort nécessaire, me semble.
Je vous crois grand latin et grand docteur juré ;
Je m'en rapporte à ceux qui m'en ont assuré :
Mais dans un entretien qu'avec vous je destine,
N'allez point déployer toute votre doctrine,
Faire le pédagogue et cent mots me cracher,
Comme si vous étiez en chaire pour précher.
Mon père, quoiqu'il eût la tête des meilleures,
Ne m'a jamais rien fait apprendre que mes heures,
Qui, depuis cinquante ans, dites journellement,
Ne sont encor pour moi que du haut allemand.
Laissez donc en repos votre science auguste,
Et que votre langage à mon foible s'ajuste.

MÉTAPHRASTE. Soit.

ALBERT. A mon fils, l'hymen semble lui faire peur:

Et, sur quelque parti que je sonde son cœur,
Pour un pareil lien il est froid, et recule.

MÉTAPHRASTE. Peut-être a-t-il l'humeur du frère de Marc-Tulle,

Dont avec Atticus le même fait sermon;

Et comme aussi les Grecs disent Atanaton 2...

ALBERT. Mon Dieu! maître éternel, laissez là, je vous prie,
Les Grecs, les Albanois, avec l'Esclavonie,

Et tous ces autres gens dont vous voulez parler ;

Eux et mon fils n'ont rien ensemble à démêler.

MÉTAPHRASTE. Hé bien donc, votre fils?

ALBERT. Je ne sais si dans l'ame

Il ne sentiroit point une secrète flamme :

1 A un fils on ne sauroit préférer qu'un fils.

2 Atanaton, ce mot ne présente aucun sens. Quelques éditeurs ont écrit athanaton, mot grec qui signifie immortel. La phrase n'étant pas terminée, il est impossible de rien décider à cet égard.

Quelque chose le trouble, ou je suis fort déçu ;
Et je l'aperçus hier, sans en être aperçu,
Dans un recoin du bois où nul ne se retire.

METAPHRASTE. Dans un lieu reculé du bois, voulez-vous dire,
Un endroit écarté, latine, secessus;

Virgile l'a dit: Est in secessu locus 1...
ALBERT. Comment auroit-il pu l'avoir dit, ce Virgile,
Puisque je suis certain que, dans ce lieu tranquille,
Ame du monde enfin n'étoit lors que nous deux?
MÉTAPHRASTE. Virgile est nommé làcomme un auteur fameux
D'un terme plus choisi que le mot que vous dites,
Et non comme témoin de ce qu'hier vous vites.
ALBERT. Et moi, je vous dis, moi, que je n'ai pas besoin
De terme plus choisi, d'auteur, ni de témoin ;
Et qu'il suffit ici de mon seul témoignage.

MÉTAPHRASTE. Il faut choisir pourtant les mots mis en usage
Par les meilleurs auteurs. Tu vivendo, bonos,
Comme on dit, scribendo sequare peritos2.

ALBERT. Homme ou démon, veux-tu m'entendre sans conteste?
METAPHRASTE. Quintilien en fait le précepte.

Soit du cause ur.

ALBERT. La peste

MÉTAPHRASTE. Et dit la-dessus doctement
Un mot que vous serez bien aise assurément
D'entendre.

ALBERT. Je serai le diable qui t'emporte,
Chien d'homme! Oh! que je suis tenté d'étrange sorte
De faire sur ce muffle une application!

MÉTAPHRASTE. Mais qui cause, seigneur, votre inflammation?

2

Que voulez-vous de moi?

ALBERT. Je veux que l'on m'écoute,

Vous ai-je dit vingt fois, quand je parle.

MÉTAPHRASTE. Ah! sans doute;

Vous serez satisfait, s'il ne tient qu'à cela :
Je me tais.

ALBERT. Vous ferez sagement.

La citation appartient au premier livre de l'Énéide.

« Tu vivendo bonos, scribendo sequare peritos. >>>

Vers de Despautère : « Règle tes mœurs sur les gens de bien, et tes écrits sur les bons auteurs.

METAPHRASTE. Me voilà

Tout prêt de vous ouïr.

ALBERT. Tant mieux.

Si je dis plus mot !

MÉTAPHRASTE. Que je trépasse,

ALBERT. Dieu vous en fasse la grace!

MÉTAPHRASTE. Vous n'accuserez point mon caquet désormais.

ALBERT. Ainsi soit-il!

METAPHRASTE. Parlez quand vous voudrez.

ALBERT. J'y vais.

MÉTAPHRASTE. Et n'appréhendez plus l'interruption nôtre.

ALBERT. C'est assez dit.

MÉTAPHRASTE. Je suis exact plus qu'aucun autre.

ALBERT. Je le crois.

METAPHRASTE. J'ai promis que je ne dirois rien.

ALBERT. Suffit.

MÉTAPHRASTE. Dès à présent je suis muet.

ALBERT. Fort bien.

METAPHRASTE. Parlez; courage; au moins je vous donne audience.

Vous ne vous plaindrez pas de mon peu de silence :

Je ne desserre pas la bouche seulement.

ALBERT, à part. Le traître!

MÉTAPHRASTE. Mais, de grace, achevez vitement..

Depuis long-temps j'écoute; il est bien raisonnable

Que je parle à mon tour.

ALBERT. Donc, bourreau détestable...

METAPHRASTE. Hé! bon Dieu! voulez-vous que j'écoute à jamais?

Partageons le parler au moins, ou je m'en vais.

ALBERT. Ma patience est bien...

METAPHRASTE. Quoi! voulez-vous poursuivre?

Ce n'est pas encor fait? Per Jovem! je suis ivre!

ALBERT. Je n'ai pas dit...

METAPHRASTE. Encor? Bon Dieu! que de discours !

Rien n'est-il suffisant d'en arrêter le cours?

ALBERT. J'enrage.

METAPHRASTE. Derechef? O l'étrange torture!

Hé! laissez-moi parler un peu, je vous conjure.

Un sot qui ne dit mot ne se distingue pas

D'un savant qui se tait.

ALBERT. Parbleu! tu te tairas.

SCÈNE VIII.

METAPHRASTE.

METAPHRASTE. D'où vient fort à propos cette sentence expresse
D'un philosophe: Parle, afin qu'on te connoisse.
Doncque, si de parler le pouvoir m'est ôté,
Pour moi, j'aime autant perdre aussi l'humanité,
Et changer mon essence en celle d'une bête.
Me voilà pour huit jours avec un mal de tête...
Oh! que les grands parleurs sont par moi détestés !
Mais quoi! si les savants ne sont point écoutés,
Si l'on veut que toujours ils aient la bouche close,
Il faut donc renverser l'ordre de chaque chose ;
Que les poules dans peu dévorent les renards;
Que les jeunes enfants remontrent aux vieillards;
Qu'à poursuivre les loups les agnelets s'ébattent;
Qu'un fou fasse les lois ; que les femmes combattent;
Que par les criminels les juges soient jugés,
Et par les écoliers les maîtres fustigés;
Que le malade au sain présente le remède;
Que le lièvre craintif...

SCÈNE IX.

ALBERT, MÉTAPHRASTE.

(Albert sonne aux oreilles de Métaphraste une cloche de mulet, qui le fait fuir.) MÉTAPHRASTE, fuyant. Miséricorde! à l'aide !

ACTE TROISIÈME.

SCÈNE PREMIÈRE.

MASCARILLE.

Le ciel parfois seconde un dessein téméraire,
Et l'on sort, comme on peut, d'une méchante affaire.
Pour moi, qu'une imprudence a trop fait discourir,
Le remède plus prompt où j'ai su recourir,

« PrécédentContinuer »