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C'est de pousser ma pointe, et dire en diligence
A notre vieux patron toute la manigance.
Son fils, qui m'embarrasse, est un évaporé :
L'autre, diable! disant ce que j'ai déclaré,
Gare une irruption sur notre friperie!

Au moins, avant qu'on puisse échauffer sa furie,
Quelque chose de bon nous pourra succéder,
Et les vieillards entre eux se pourront accorder.
C'est ce qu'on va tenter; et, de la part du nôtre,
Sans perdre un seul moment, je m'en vais trouver l'autre.

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MASCARILLE. Je viens, monsieur, pour vous donner

Le bonjour.

ALBERT. Ah! vraiment, tu prends beaucoup de peine :

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Vous saluer au nom du seigneur Polidore.

ALBERT. Ah! c'est un autre fait. Ton maître t'a chargé

De me saluer?

MASCARILLE. Oui.

ALBERT. Je lui suis obligé;

Va, que je lui souhaite une joie infinie '.

(Il s'en va.)

Cette phrase est obscure, et il faut nécessairement sous-entendre, va, dis-lui

que, etc. (A.)

MASCARILLE. Cet homme est ennemi de la cérémonie.

(Il heurte.)

Je n'ai pas achevé, monsieur, son compliment;
Il voudroit vous prier d'une chose instamment.
ALBERT. Hé bien! quand il voudra, je suis à son service.

MASCARILLE, l'arrêtant.

Attendez, et souffrez qu'en deux mots je finisse.
Il souhaite un moment, pour vous entretenir
D'une affaire importante, et doit ici venir.
ALBERT. Et quelle est-elle encor l'affaire qui l'oblige
A me vouloir parler?

MASCARILLE. Un grand secret, vous dis-je,

Qu'il vient de découvrir en ce même moment,
Et qui, sans doute, importe à tous deux grandement.
Voilà mon ambassade.

SCÈNE III.

ALBERT.

O juste ciel! je tremble :
Car enfin nous avons peu de commerce ensemble.
Quelque tempête va renverser mes desseins,
Et ce secret, sans doute, est celui que je crains.
L'espoir de l'intérêt m'a fait quelque infidèle 1,
Et voilà sur ma vie une tache éternelle.
Ma fourbe est découverte. Oh! que la vérité
Se peut cacher long-temps avec difficulté !
Et qu'il eût mieux valu pour moi, pour mon estime 2,
Suivre les mouvements d'une peur légitime,
Par qui je me suis vu tenté plus de vingt fois
De rendre à Polidore un bien que je lui dois,
De prévenir l'éclat où ce coup-ci m'expose,
Et faire qu'en douceur passât toute la chose !
Mais, hélas! c'en est fait, il n'est plus de saison ;
Et ce bien, par la fraude entré dans ma maison,
N'en sera point tiré, que dans cette sortie
Il n'entraîne du mien la meilleure partie.

L'auteur veut dire : L'espoir d'une récompense m'a fait quelque infidèle.
Estime se disoit autrefois pour répulation.

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SCÈNE IV:

ALBERT, POLIDORE.

POLIDORE, les quatre premiers vers, sans voir Albert.

S'ètre ainsi marié sans qu'on en ait su rien!

Puisse cette action se terminer à bien!

Je ne sais qu'en attendre; et je crains fort du père.

Et la grande richesse, et la juste colère.

Mais je l'aperçois seul..

Polidore. Je tremble à l'aborder.

ALBERT. Dieu! Polidore vient!

ALBERT. La crainte me retient..

POLIDORE. Par où lui débuter?

ALBERT. Quel sera mon langage?

POLIDORE. Son ame est tout émue.

ALBERT. Il change de visage. POLIDORE. Je vois, seigneur Albert, au trouble de vos yeux, Que vous savez déja qui m'amène en ces lieux.

ALBERT. Hélas! oui.

POLIDORE. La nouvelle a droit de vous surprendre,

Et je n'eusse pas cru ce que je viens d'apprendre. ALBERT. J'en dois rougir de honte et de confusion. POLIDORE. Je trouve condamnable une telle action, Et je ne prétends point excuser le coupable. ALBERT. Dieu fait miséricorde au pécheur misérable. POLIDORE. C'est ce qui doit par vous être considéré. ALBERT. Il faut être chrétien.

POLIDORE. Il est très assuré.

ALBERT. Grace, au nom de Dieu! grace, Ô seigneur Polidore!!
POLIDORE. Hé! c'est moi qui de vous présentement l'implore.
ALBERT. Afin de l'obtenir je me jette à genoux..
POLIDORE. Je dois en cet état être plutôt que vous
ALBERT. Prenez quelque pitié de ma triste aventure.
POLIDORE. Je suis le suppliant dans une telle injure
ALBERT. Vous me fendez le cœur avec cette bonté.
POLIDORE. Vous me rendez confus de tant d'humilité.

ALBERT. Pardon, encore un coup!

POLIDORE. Hélas! pardon, vous-même!

ALBERT. J'ai de cette action une douleur extrême.

POLIDORE. Et moi, j'en suis touché de même au dernier point.
ALBERT. J'ose vous convier qu'elle n'éclate point.
POLIDORE. Hélas! seigneur Albert, je ne veux autre chose.
ALBERT. Conservons mon honneur.

POLIDORE. Hé! Qui, je m'y dispose.
ALBERT. Quant au bien qu'il faudra, vous-même en résoudrez.
POLIDORE. Je ne veux de vos biens que ce que vous voudrez :
De tous ces intérêts je vous ferai le maître;

Et je suis trop content si vous le pouvez être.
ALBERT. Ah! quel homme de Dieu! Quel excès de douceur!
POLIDORE. Quelle douceur, vous-même, après un tel malheur!
ALBERT. Que puissiez-vous avoir toutes choses prospères!
POLIDORE. Le bon Dieu vous maintienne!"

ALBERT. Embrassons-nous en frères.

POLIDORE. J'y consens de grand cœur, et me réjouis fort

Que tout soit terminé par un heureux accord..

ALBERT. J'en rends graces au ciel.

POLIDORE. Il ne vous faut rien feindre,

Votre ressentiment me donnoit lieu de craindre;
Et Lucile tombée en faute avec mon fils,

Comme on vous voit puissant et de biens et d'amis....
ALBERT. Hé! que parlez-vous là de faute et de Lucile?
POLIDORE. Soit, ne commençons point un discours inutile.
Je veux bien que mon fils y trempe grandement :
Même, si cela fait à votre allégement,
J'avouerai qu'à lui seul en est toute la faute;
Que votre fille avoit une vertu trop haute
Pour avoir jamais fait ce pas contre l'honneur,
Sans l'incitation d'un méchant suborneur;
Que le traitre a séduit sa pudeur innocente,
Et de votre conduite ainsi détruit l'attente.
Puisque la chose est faite, et que, selon mes vœux,
Un esprit de douceur nous met d'accord tous deux,
Ne ramentevons rien, et réparons l'offense
Par la solennité d'une heureuse alliance.

ALBERT, à part.

O dieu! quelle méprise! et qu'est-ce qu'il m'apprend!
Je rentre ici d'un trouble en un autre aussi grand.
Dans ces divers transports je ne sais que répondre,
Et, si je dis un mot, j'ai peur de me confondre.

POLIDORE. A quoi pensez-vous là, seigneur Albert?

ALBERT. A rien.

Remettons, je vous prie, à tantôt l'entretien.
Un mal subit me prend, qui veut que je vous laisse.

SCÈNE V.

POLIDORE.

Je lis dedans son ame, et vois ce qui le presse.
A quoi que sa raison l'eût déja disposé,
Son déplaisir n'est pas encor tout apaisé.
L'image de l'affront lui revient, et sa fuite
Tâche à me déguiser le trouble qui l'agite.
Je prends part à sa honte, et son deuil m'attendrit.
Il faut qu'un peu de temps remette son esprit.
La douleur trop contrainte aisément se redouble.
Voici mon jeune fou d'où nous vient tout ce trouble.

SCÈNE VI.
POLIDORE, VALÈRE.

POLIDORE. Enfin, le beau mignon, vos bons déportements
Troubleront les vieux jours d'un père à tous moments;
Tous les jours vous ferez de nouvelles merveilles,
Et nous n'aurons jamais autre chose aux oreilles.
VALÈRE. Que fais-je tous les jours qui soit si criminel?
En quoi mériter tant le courroux paternel?

POLIDORE. Je suis un étrange homme, et d'une humeur terrible,
D'accuser un enfant si sage et si paisible!

Las! il vit comme un saint, et dedans la maison
Du matin jusqu'au soir il est en oraison !
Dire qu'il pervertit l'ordre de la nature,
Et fait du jour la nuit, ô la grande imposture !
Qu'il n'a considéré père ni parenté
En vingt occasions, horrible fausseté!

Que de fraîche mémoire un furtif hyménée
A la fille d'Albert a joint sa destinée,

Sans craindre de la suite un désordre puissant ;
On le prend pour un autre, et le pauvre innocent
Ne sait pas seulement ce que je lui veux dire.

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