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teur; mais Molière n'eut point de part à cette critique; elle est de M. de Subligny '.

Le roi connoissant le mérite de Molière, et l'attachement particulier qu'il avoit pour divertir sa majesté, daigna l'honorer d'une pension de mille livres. On voit dans ses ouvrages le remerciement qu'il en fit au roi. Ce bienfait rassura Molière dans son travail; il crut après cela qu'il pouvoit penser favorablement de ses ouvrages, et il forma le dessein de travailler sur de plus grands caractères, et de suivre le goût de Térence un peu plus qu'il n'avoit fait: il se livra avec plus de fermeté aux courtisans et aux savants, qui le recherchoient avec empressement: on croyoit trouver un homme aussi égayé, aussi juste dans la conversation qu'il l'étoit dans ses pièces, et l'on avoit la satisfaction de trouver dans son commerce encore plus de solidité que dans ses ouvrages, es, et ce qu'il y avoit de plus agréable pour ses amis, c'est qu'il étoit d'une droiture de cœur inviolable, et d'une justesse d'esprit peu commune.

On ne pouvoit souhaiter une situation plus heureuse que celle où il étoit à la cour et à Paris depuis quelques années. Cependant il avoit cru que son bonheur seroit plus vif et plus sensible s'il le partageoit avec une femme; il voulut remplir la passion que les charmes naissants de la fille de la Béjart2 avoient nourrie dans son cœur à mesure qu'elle avoit crû. Cette jeune fille avoit tous les agréments qui peuvent engager un homme, et tout l'esprit nécessaire pour le fixer. Molière avoit passé, des amusements que l'on se fait avec un enfant, à l'amour le plus violent qu'une maitresse puisse inspirer; mais il savoit que la mère avoit d'autres vues qu'il auroit de la peine à déranger. C'étoit une femme altière, et peu raisonnable lorsqu'on n'adhéroit pas à ses sentiments; elle aimoit mieux être l'amie de Molière que sa belle-mère: ainsi, il auroit tout gâté de lui déclarer le dessein qu'il avoit d'épouser sa fille. Il prit le parti de le faire sans en rien dire à cette femme; mais comme elle l'observoit de fort près, il ne put consommer son mariage pendant plus de neuf mois : c'eût été risquer un éclat qu'il vouloit éviter sur toutes choses, d'autant plus que la Béjart, qui le soupconnoit de quelque dessein sur sa fille, le menaçoit souvent en femme furieuse et extravagante de le perdre, lui, sa fille, et ellemème, si jamais il pensoit à l'épouser 1. Cependant la jeune fille ne s'accommodoit point de l'emportement de sa mère, qui la tourmentoit continuellement, et qui lui faisoit essuyer tous les désagréments qu'elle pouvoit inventer; de sorte que cette jeune personne, plus lasse, peut-être, d'attendre le plaisir d'être femme, que de souffrir les duretés de sa mère, se détermina un matin de s'aller jeter dans l'appartement de Molière, fortement résolue de n'en point sortir qu'il ne l'eût reconnue pour sa femme, ce qu'il fut contraint de faire. Mais cet éclaircissement causa un vacarme terrible, la mère donna des marques de fureur et de désespoir, comme si Molière avoit épousé sa rivale, ou comme si sa fille fût tombée entre les mains d'un malheureux. Néanmoins, il fallut bien s'apaiser; il n'y avoit point de remède, et la raison fit entendre à la Béjart que le plus grand bonheur qui pût arriver à sa fille étoit d'avoir épousé Molière, qui perdit par ce mariage tout l'agrément que son mérite et sa fortune pouvoient lui procurer, s'il avoit été assez philosophe pour se passer d'une femme 2.

4 Avocat, faisant des parodies, des romans, et d'autres niaiseries oubliées. Il s'associoit avec le père du président Hénault pour dénigrer Racine, et finit par devenir le panégyriste du grand poëte dont il avoit été le Zoïle. (D.)

2 Nous avons déja dit qu'Armande Béjart (femme de Molière), étoit la sœur et non la fille de Madeleine Béjart. (Voyez la Dissertation sur Poquelin de Molière, par M. Beffara.)

Les emportements de Madeleine Béjart sont vraisemblables; mais le mariage de Molière ne fut point secret, et Madeleine Béjart y assista en sa qualité de sœur, comme le prouve le contrat rapporté dans la dissertation déja citée.

2 Cette femme, qui inspira une si forte passion à Molière, et qui le rendit si malheureux, n'avoit pas une beauté régulière: voici le portrait que Molière en a fait lui-même à une époque où elle lui avoit déja causé beaucoup de chagrins: « Elle a les yeux petits, < mais elle les a pleins de feu; les plus brillants, les plus perçants du monde; les plus << touchants qu'on puisse voir. Elle a la bouche grande, mais on y voit des graces qu'on « ne voit point aux autres bouches. Sa taille n'est pas grande, mais elle est aisée et bien <prise. Elle affecte une nonchalance dans son parler et dans son maintien, mais elle a ⚫ grace à tout cela, et ses manières ont je ne sais quel charme à s'insinuer dans les cœurs. • Enfin son esprit est du plus fin et du plus délicat; sa conversation est charmante; et < si elle est capricieuse autant que personne du monde, tout sied bien aux belles, on • souffre tout des belles. (Bourgeois Gentilhomme, acte III, scène ix) Élève de Molière, elle devint une excellente actrice sa voix étoit si touchante, qu'on eût dit, suivant un contemporain, qu'elle avoit véritablement dans le cœur la passion qui n'étoit que dans sa bouche. Le même auteur trace ainsi son portrait et celui de La Grange : < Remarquez, dit-il, que la Molière et La Grange font voir beaucoup de jugement dans leur récit, et que leur jeu continue encore, lors même que leur rôle est fini. Ils ne « sont jamais inutiles sur le théâtre: ils jouent presque aussi bien quand ils écoutent que ⚫ quand ils parlent. Leurs regards ne sont pas dissipés; leurs yeux ne parcourent pas « les loges. Ils savent que leur salle est remplie, mais ils parlent et ils agissent comme * s'ils ne voyoient que ceux qui ont part à leur action; ils sont propres et magnifiques, ◄ sans rien faire paroître d'affecté. Ils ont soin de leur parure, et ils n'y pensent plus dès ⚫ qu'ils sont sur la scène. Et si la Molière retouche parfois à ses cheveux, si elle raccom⚫ mode ses nœuds et ses pierreries, ces petites façons cachent une satire judicieuse et naturelle. Elle entre par-là dans le ridicule des femmes qu'elle veut jouer; mais enfin, ⚫ avec tous ces avantages, elle ne plairoit pas tant si sa voix étoit moins touchante; elle ⚫ en est si persuadée elle-même, que l'on voit bien qu'elle prend autant de divers tons ⚫ qu'elle a de rôles différents. » (Entretiens galants, Paris, Ribou, 1681, tome 11, page 91.) Grandval, le père, disoit de madame Molière qu'elle jouoit à merveille les rôles que son mari avoit faits pour elle, et ceux des femmes coquettes et satiriques; et que, sans être belle, elle étoit piquante, et capable d'inspirer une grande passion. (Cizeron Rival, page 15, et les Frères Parfait.)

Celle-ci ne fut pas plus tôt madame de Molière, qu'elle crut être au trang d'une duchesse; et elle ne se fut pas donnée en spectacle à la comédie, que le courtisan désoccupé lui en conta. Il est bien difficile à une comédienne, belle et soigneuse de sa personne, d'observer si bien sa conduite que l'on ne puisse l'attaquer. Qu'une comédienne rende à un grand seigneur les devoirs qui lui sont dus, il n'y a point de miséricorde, c'est son amant. Molière s'imagina que toute la cour, toute la ville en vouloit à son épouse. Elle négligea de l'en désabuser; au contraire, les soins extraordinaires qu'elle prenoit de sa parure, à ce qu'il lui sembloit, pour tout autre que pour lui, qui ne demandoit point tant d'arrangement, ne firent qu'augmenter sa jalousie. Il avoit beau représenter à sa femme la manière dont elle devoit se conduire pour passer heureusement la vie ensemble, elle ne profitoit point de ses leçons, qui lui paroissoient trop sévères pour une jeune personne, qui d'ailleurs n'avoit rien à se reprocher. Ainsi, Molière, après avoir essuyé beaucoup de froideur et de dissensions domestiques, fit son possible pour se renfermer dans son travail et dans ses amis, sans se mettre en peine de la conduite de sa femme.

A cette époque il donna successivement la Princesse d'Élide, le Mariage forcé, le Festin de Pierre, qui lui attira une critique très violente', mais qui ne put nuire ni à sa réputation ni à ses

succès.

Ce fut au mois d'août 1665 que le roi jugea à propos de fixer la troupe de Molière tout à fait à son service, en lui donnant une pension de sept mille livres 2. Elle prit alors le titre de troupe du roi, qu'elle a toujours conservé depuis; et elle étoit de toutes les fêtes qui se faisoient partout où étoit sa majesté 1.

Cette critique portoit le titre d'Observations sur le Festin de Pierre, par le sieur de Rochemont. On y voit que Molière est vraiment diabolique, que diabolique est son cerveau, et que c'est un diable incarné. L'auteur termine en menaçant du déluge, de la peste, et de la famine, si la sagesse de Louis XIV ne met un frein à l'impiété de Molière. Enfin on sent partout que cette brochure a été inspirée par la crainte du Tartufe, déja célèbre et déja persécuté, quoique non représenté. Chose remarquable! ce libelle est imprimé avec permission du lieutenant civil; ce qui prouve que le sieur de Rochemont étoit appuyé par des personnes puissantes.

2 La pension étoit de 7,000 fr. pour la troupe, et de 1,000 fr. pour Molière. L'époque où elle fut donnée est digne de remarque. Le Festin de Pierre venoit d'exciter les plus étranges réclamations. Le libelliste Rochemont avoit appelé la colère du roi sur cet ouvrage; intéressant la religion dans cette querelle, il réclamoit les plus terribles punitions contre l'auteur, qu'il traitoit d'impie. Louis XIV répondit en comblant Molière de ses bienfaits.

Molière, de son côté, n'épargnoit ni soins ni veilles pour soutenir et augmenter la réputation qu'il s'étoit acquise, et pour répondre aux bontés que le roi avoit pour lui. Il consultoit ses amis; il examinoit avec attention ce qu'il travailloit; on sait même que lorsqu'il vouloit que quelque scène prît le peuple des spectateurs comme les autres, il la lisoit à sa servante, pour voir si elle en seroit touchée 2. Cependant il ne saisissoit pas toujours le public d'abord; il l'éprouva dans son Avare. A peine fut-il représenté sept fois. La prose dérouta les spectateurs1. « Comment! disoit M. le duc de..., >> Molière est-il fou, et nous prend-il pour des benêts, de nous faire » essuyer cinq actes de prose? A-t-on jamais vu plus d'extrava>> gance? Le moyen d'être diverti par de la prose! » Mais Molière fut bien vengé de ce public injuste et ignorant quelques années après; il donna son Avare pour la seconde fois le 9 septembre 1668. On y courut en foule, et il fut joué presque toute l'année: tant il est vrai que le public goûte rarement les bonnes choses quand il est dépaysé! Cinq actes de prose l'avoient révolté la première fois; mais la lecture et la réflexion l'avoient ramené, et il alla voir avec empressement une pièce qu'il avoit d'abord méprisée.

• Quoique comédien, Molière faisoit toujours auprès du roi son service de valet de chambre. Cette double fonction fut cause de plusieurs aventures que nous allons rapporter. Un jour, s'étant présenté pour faire le lit du roi, un autre valet de chambre, qui devoit le faire avec lui, se retira brusquement, en disant qu'il n'avoit point de service à partager avec un comédien. Bellocq, homme d'esprit et qui faisoit de jolis vers, s'approcha dans le moment, et dit : « Monsieur de Molière, voulez-vous bien que j'aie l'honneur de faire ◄ le lit du roi avec vous? » Louis XIV, instruit de l'affront qu'on avoit voulu faire à Molière, en parut fort mécontent. (Moliérana, page 38.) Voici une anecdote du même genre, que le père de madame Campan tenoit d'un vieux médecin ordinaire de Louis XIV:

Ce médecin se nommoit Lafosse: c étoit un homme d'honneur, et incapable d'inven<< ter cette histoire. Il disoit donc que Louis XIV ayant su que les officiers de sa chambre ◄ témoignoient par des dédains offensants combien ils étoient blessés de manger à la ta« ble du contrôleur de la bouche avec Molière, valet de chambre du roi, parcequ'il jouoit la comédie, cet homme célèbre s'abstenoit de manger à cette table. Louis XIV, « voulant faire cesser des outrages qui ne devoient pas s'adresser à l'un des plus grands génies de son siècle, dit un matin à Molière, à l'heure de son petit lever: On dit que < vous faites maigre chère içi, Molière, et que les officiers de ma chambre ne vous trouvent pas fait pour manger avec eux. Vous avez peut-être faim, moi-même je m'éveille avec un très bon appétit; mettez-vous à cette table, et qu'on me serve mon en cas de nuit. (Tous les services de prévoyance s'appeloient des en cas.) Alors le roi coupant sa volaille, et ayant ordonné à Molière de s'asseoir, lui sert une aile, en prend en même < temps une pour lui, et ordonne que l'on introduise les entrées familières, qui se composoient des personnes les p'us marquantes et les plus favorisées de la cour. Vous me voyez, leur dit le roi, occupé à faire manger Molière, que mes valets de chambre ne trouvent pas assez bonne compagnie pour eux. De ce moment, Molière n'eut plus besoin de se présenter à cette table de service; toute la cour s'empressa de lui faire des invitations.» (Mémoires de madame de Campan, tome 111, page 8.) La réflexion de l'éditeur de ces Mémoires, M. Barrière, mérite également de trouver place ici. Cette anecdote, dit-il, est peut-être une de celles qui honorent le plus le caractère et la vie de Louis XIV. On est touché de voir ce roi superbe accueillant, dans le comédien Moaliere, l'immortel auteur du Misanthrope et du Tartuffe. Voilà par quel trait un prince, qui a de la grandeur, sait venger le génie de la sottise, et le récompenser de ses travaux. »

* Elle se nommoit Laforêt. Boileau lui a donné une espèce d'immortalité dans le passage suivant: On dit que Malherbe consultoit sur ses vers jusqu'à l'oreille de sa servante; et je me souviens que Molière m'a montré aussi plusieurs fois une vieille servante qu'il avoit chez lui, et à qui il lisoit, disoit-il, quelquefois ses comédies; et il m'assuroit que lorsque des endroits de plaisanterie ne l'avoient point frappée, il les < corrigeoit, parcequ'il avoit plusieurs fois éprouvé sur son théâtre que ces endroits n'y réussissoient point. (Boileau, Réflexions critiques, page 182, tome 11 des Œuvres, édition de Lefèvre.) « Un jour Molière, pour éprouver le goût de cette servante, loi lut quelques scènes d'une pièce de Brécourt. Laforêt ne prit point le change, et, ⚫ après avoir ouï quelques mots, elle soutint que son maître n'avoit point fait cet ou« vrage. » (BROSS.)

Quoique la troupe de Molière fût suivie, elle ne laissa pas de languir pendant quelque temps par le retour de Scaramouche 2. Се со

+ Cette anecdote est douteuse. Il paroit, d'après le registre de la Comédie Françoise, que l'Avare ne fut pas représenté avant le 9 septembre 1668. Il eut alors neuf représentations, et onze deux mois après. Ces premières représentations, il est vrai, furent presque désertes; mais Boileau s'y montroit fort assidu, et soutenoit que la pièce étoit excellente. Racine, irrité contre Molière (il le croyoit auteur d'une satire contre Andromaque, dont l'auteur véritable étoit Subligny), dit un jour à Boileau: Je vous vis dernièrement à l'Avare, et vous riiez tout seul sur le théâtre. Je vous estime trop, répondit Boileau, pour croire que vous n'y ayez pas ri, du moins intérieurement. (Voy. le Boleana, page 104.)

* C'est entre le mois de mars et d'octobre 1670 que le public déserta le théâtre de Molière pour suivre Scaramouche. La longue absence de cét acteur, qui resta en Italie depuis 1667 jus qu'au commencement de 1670, explique l'empressement du public. Le Bourgeois Gentilhomme et la tragédie de Tite et Bérénice de Corneille, jouée le 28 novembre 1670, et dans laquelle Baron fit sa rentrée, ramenèrent la foule au théâtre Molière. Scaramouche étoit un Napolitain appelé Tiberio Fiorelli. Il excelloit dans la pantomime; et le trait suivant, rapporté par Gherardi, peut donner une idée de son merveilleux talent: < Dans une scène de Colombine, avocat pour et contre, Scaramouche, après avoir ar* rangé tout ce qu'il y a dans sa chambre, prend sa guitare, s'assied dans un fauteuil, et « joue en attendant l'arrivée de son maître. Pascariel vient tout doucement derrière lui, « et bat la mesure par-dessus ses épaules. C'est ici que cet incomparable acteur, modèle < des plus illustres comédiens de son siècle, qui avoient appris de lui l'art si difficile de « remuer les passions et de savoir les bien peindre sur leur visage, c'est ici, dis-je, qu'il « faisoit pâmer de rire pendant un gros quart d'heure dans une scène d'épouvante où il < ne proféroit pas un seul mot.... Cet exemple suffit pour appuyer ce que dit Mezzetin de l'étude que Molière avoit faite du jeu de ce grand acteur. « La nature, dit-il, avoit • doué Scaramouche d'un talent merveilleux, qui étoit de figurer par les postures de son ⚫ corps et par les grimaces de son visage tout ce qu'il vouloit; et cela d'une manière si « originale, que le célèbre Molière, après l'avoir étudié longtemps, avoua ingénument ⚫ qu'il lui devoit toute la beauté de son action. (Vie de Scaramouche, par Mezzetin, page 188.) Voici un autre passage tiré du Ménagiana. « Scaramouche, y est-il dit, étoit ■ le plus parfait pantomime que nous ayons vu de nos jours. Molière, original françois, ⚫ n'a jamais perdu une représentation de cet original italien.» (Ménagiana, tome H, page 404.) Enfin nous citerons encore ces paroles de Palaprat: Qui nous racontera les • merveilles de l'inimitable Dominico; les charmes de la nature jouant elle-même à vi

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