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J'eus un frère, seigneur, illustre et généreux,
Digne par sa valeur du sort le plus heureux.
Que je regrette encor sa triste destinée !
Et jamais il n'en fut de plus infortunée.
Un père, conjuré contre son propre sang,
Lui-même lui porta le couteau dans le flanc.
De ce jeune héros partageant la disgrace,
Peut-être qu'aujourd'hui même sort me menace :
Plus coupable en effet, n'en attends-je pas moins.
Mais ce n'est pas, seigneur, le plus grand de mes soins;
Non, la mort désormais n'a rien qui m'intimide :
Qu'un soin bien différent et m'agite et me guide!

RHADAMISTHE.

Quels que soient vos desseins, vous pouvez sans effioi,
Sûr d'un appui sacré, vous confier à moi.

Plus indigné que vous contre un barbare père,
Je sens à son nom seul redoubler ma colère.
Touché de vos vertus, et tout entier à vous,
Saus savoir vos malheurs, je les partagé tous.
Vous calmeriez bientôt la douleur qui vous presse,
Si vous saviez pour vous jusqu'où je m'intéresse.
Parlez, prince: faut-il contre un père inhumain
Armer avec éclat tout l'empire romain?
Soyez sûr qu'avec vous mon cœur d'intelligence
Ne respire aujourd'hui qu'une même vengeance.
S'il ne faut qu'attirer Corbulon en ces lieux,
Quels que soient vos projets, j'ose attester les dieux
Que nous aurons bientôt satisfait votre envie,

I'allût-il pour vous seul conquérir l'Arménie.

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ARSAME.

Que me proposez-vous? quels conseils! Ah! seigneur,
Que vous pénétrez mal dans le fond de mon cœur !
Qui? moi! que, trahissant mon père et ma patrie,
J'attire les Romains au sein de l'Ibérie!

Ah! si jusqu'à ce point il faut trahir ma foi,
Que Rome en ce moment n'attende rien de moi :
Je n'en exige rien, dès qu'il faut par un crime
Acheter un bienfait que j'ai cru légitime;

Et je vois bien, seigneur, qu'il me faut aujourd'hui
Pour des infortunés chercher un autre appui.

Je croyois, ébloui de ses titres suprêmes,

Rome utile aux mortels autant que les dieux mêmes;
Et, pour en obtenir un secours généreux,

J'ai cru qu'il suffisoit que l'on fût malheureux:
J ose le croire encore; ct, sur cette espérance,
Souffrez que des Romains j'implore l'assistance.
C'est pour une captive asservie à nos lois,
Qui, pour vous attendrir, a recours à ma voix :
C'est pour une captive aimable, infortunée,
Digne par ses appas d'une autre destinée.
Enfin, par ses vertus à juger de son rang,
On ne sortit jamais d'un plus illustre sang.
C'est vous instruire assez de sa haute naissance,
Que d'intéresser Rome à prendre sa défense.
Elle veut même ici vous parler sans témoins;
Et jamais on ne fut plus digne de vos soins.
Pharasmane, entraîné par un amour funeste,
Veut me ravir, seigneur, ce seul bien qui me reste,

Le seul où je faisois consister mon bonheur,

Et le seul que pouvoit lui disputer mon cœur.

Ce n'est pas que, plus fier d'un secours que j'espère,

Je prétende à mon tour l'enlever à mon père:
Quand même il cèderoit sa captive à mes feux,
Mon sort n'en seroit pas plus doux ni plus heureux.
Je ne veux qu'éloigner cet objet que j'adore,

Et même sans espoir de le revoir encore.

RHADAMISTHE.

Suivi de peu des miens, sans pouvoir où je suis,
Vous offrir un asile est tout ce que je puis.

ARSAME.

Et tout ce que je veux: mon ame est satisfaite.
Je vais tout disposer, seigneur, pour sa retraite.
Je ne sais; mais, pressé d'un mouvement secret,
J'abandonne Isménie avec moins de regret:
Pour calmer la douleur de mon ame inquiète,
Il suffit qu'en vos mains Arsame la remette.
Encor si je pouvois, aux dépens de mes jours,
M'acquitter envers vous d'un généreux secours!
Mais je ne puis offrir, dans mon malheur extrême,

Pour prix d'un tel bienfait, que le bienfait lui-même.

RHADAMISTHE.

Je n'en demande pas, cher prince, un prix plus doux:

Il est digne de moi, s'il n'est digne de vous.

Souffrez que désormais je vous serve de frère.

Que je vous plains d'avoir un si barbare père !
Mais de ses vains transports pourquoi vous alarmer?
Pourquoi quitter l'objet qui vous a su charmer?

Daignez me confier et son sort et le vôtre;

Dans un asile sûr suivez-moi l'un et l'autre.
Sensible à ses malheurs, je ne puis sans effroi
Abandonner Arsame aux fureurs de son roi.

Prince, vous dédaignez un conseil qui vous blesse :
Mais si vous connoissiez celui qui vous en presse....

ARSAME.

Donnez-moi des conseils qui soient plus généreux,
Dignes de mon devoir, et dignes de tous deux.
Le roi doit dès demain partir pour l'Arménie :
Il s'agit à ses vœux d'enlever Isménie.

Mon père en ce moment peut l'éloigner de nous,
Et sa captive en pleurs n'espère plus qu'en vous.
Déjà sur vos bontés pleine de confiance,
Elle attend votre vue avec impatience.

Adieu, seigneur, adieu : je craindrois de troubler
Des secrets qu'à vous seul elle veut révéler!

SCÈNE III.

RHADAMISTHE.

AINSI, père jaloux, père injuste et barbare,
C'est contre tout ton sang que ton cœur se déclare!
Crains que ce même sang, tant de fois dédaigné,
Ne se soulève enfin, de sa source indigné,
Puisque déjà l'amour, maître du cœur d'Arsame,
Y verse le poison d'une mortelle flamme.
Quel que soit le respect de ce vertueux fils,
Est-il quelques rivaux qui ne soient ennemis?
Non, il n'est point de cœur si grand, si magnanime,
Qu'un amour malheureux n'entraîne dans le crime.

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Mais je prétends en vain l'armer contre son roi :
Mon frère n'est pas fait au crime comme moi.
Méritois-tu, barbare, un fils aussi fidèle ?

Ta rigueur semble encore en accroître le zèle :
Rien ne peut ébranler son devoir ni sa foi;

Et toujours plus soumis.... Quel exemple pour moi!
Dicux, de tant de vertus n'ornez-vous donc mon frère,
Que pour me rendre seul trop semblable à mon père?
Que prétend la fureur dont je suis combattu?
D'un fils respectueux séduire la vertu ?
Imitons-la plutôt, cédons à la nature :

N'en ai-je pas assez étouffé le murmure?

Que dis-je ? dans mon coeur, moins rebelle à ses lois,
Dois-je plutôt qu'un père en écouter la voix ?
Pères cruels, vos droits ne sont-ils pas les nôtres ?
Et nos devoirs sont-ils plus sacrés que les vôtres ?
On vient c'est Hiéron.

:

SCÈNE I V.

RHADAMISTHE, HIERON.

RHADAMISTHE.

CHER ami, c'en est fait;

Mcs efforts redoublés ont été sans effet.

Tout malheureux qu'il est, le vertueux Arsame,
Presque sans murmurer, voit traverser sa flamme:
Et qu'en attendre encor quand l'amour n'y peut rien?
Hiéron, que son cœur est différent du mien !
J'ai perdu tout espoir de troubler l'Ibérie,
Et le roi va bientôt partir pour l'Arménie.

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