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mettraient à la hauteur des philosophes. On peut, sans danger, présenter le tableau des grandes passions devant des personnes dont l'éducation a poli les mœurs, et qui cherchent au théâtre un noble délassement; mais, devant un public qui manque de lumières, et qui est livré pour ainsi dire à son instinct naturel, il faut au contraire éloigner tout ce qui pourrait lui donner des idées coupables, et le familiariser avec des actions qui sont dignes de l'estime publique.

C'est dans cette vue, sans doute, que le théâtre de la Gaieté a donné un vaudeville nouveau, intitulé la Bonne Femme ou les Prisonniers de Guerre. Cette Bonne Femme, qu'on pourrait prendre dans un sens épigrammatique, est au contraire un ange tutélaire, qui a prodigué à nos soldats, et même à des militaires étrangers, tous les soins et les secours qu'il était possible de donner. C'est désigner à V. A. la mère Marthe, dont le nom est connu de tous les souverains de l'Europe, et qui mérite si bien toutes les nobles marques de distinction qu'ils se sont plu à lui envoyer. Les auteurs du vaudeville, MM. Dubois et Brazier, ont mis sur la scène une anecdocte qui honore cette illustre sœur de la charité. Le succès le plus flatteur a couronné leur entreprise, et des couplets vraiment français ont obtenu l'honneur du bis.

Puisque nous sommes encore aux boulevarts, j'arrêterai V. A. au théâtre des Variétés, pour lui parler de Gulliver dans l'Ile des Géans. Quand elle saura que M. Sewrin est l'auteur de cette pièce, elle ne voudra peut-être pas en entendre davantage; mais je lui dirai que Gulliver est un ouvrage qui a eu du succès, et qui en mérite, non sous le rapport littéraire, car ce serait calomnier M. Sewrin, mais sous le rapport des machines. Des masques de carton, énormes, couvrent des acteurs montés sur des échasses, et des enfans, qu'on appelle des Liliputiens, donnent à ce spectacle un air de singularité, qui a tenu lieu à l'auteur de gaieté et d'esprit. M. Théaulon est un vaudeviliste presque aussi fécond que M. Sewrin; mais à la différence près qu'on peut, sans compromettre son amour-propre, répéter les cou

plets du premier, qui ont souvent de la grâce, et un sel parfaitement inconnu à l'auteur de Gulliver. Gascon et Normand, est une petite pièce que M. Théaulon a fait de moitié avec M. Capelle, un de nos plus gais chansonniers. Joly, comme dans tous les ouvrages où il ne se trouve que deux ou trois acteurs, joue un rôle à travestissement, qu'il remplit avec beaucoup de succès. Il est tour à tour sous-officier, intrigant, gascon et normand. Cet acteur original n'a reparu sur le théâtre du Vaudeville que depuis très-peu de temps. Son absence avait fait suspendre plusieurs ouvrages, que son talent seul rendait supportables. Ce théâtre fait chaque jour de nouvelles acquisitions. Les ingénues y abondent. Mademoiselle Herminie, et surtout Mademoiselle Lucie, jolie actrice qui avait débuté sans éclat à Feydeau, ont paru plaire au parterre de la rue de Chartres. Le jeune Gonthier, que Paul Huet et Ponchard éclipsaient avec tant d'avantages, a suivi Mademoiselle Lucie, et, en fait de talent, a paru un colosse sur les planches du Vaudeville, tandis qu'il n'était qu'un pygmée sur celles de l'Opéra-Comique. Il en est des acteurs comme des tableaux : le cadre les écrase ou les fait ressortir. C'est par cette raison que la plupart des comédiens que nous voyons sur les théâtres royaux nous paraissent si médiocres; et vous savez, Monseigneur,

Qu'il n'est point de degré du médiocre au pire.

En parlant d'acteurs médiocres, nous nous trouvons naturellement à Feydeau. Ces pauvres sociétaires auraient bien besoin d'être régénérés; excepté Martin, Chenard, Lesage, Juliet, et Gavaudan qui s'en va : ils sont plus mauvais l'un que l'autre, chacun dans son genre. On ne peut rien leur comparer que les pièces nouvelles qu'ils reçoivent et qu'ils ont le courage de jouer: ce sont des paroles qui, pour le ridicule et la niaiserie, le disputent avec la musique. C'est ainsi que nous avons vu successivement paraître et disparaître une Matinée de Frontin, les Noces de Gamache, les Parens d'un Jour, et le Mariage par Commission, où un haut et puissant seigneur

dit à deux époux qu'il a intérêt de désunir: Vous ne savez peut-être pas que j'ai le droit de casser votre mariage? Le parterre répondit: Ma foi, non. Eh bien! reprit le seigneur, je vous l'apprends. Vraiment, répliqua le public?

M. Planard, jeune auteur, aussi fécond que son compositeur M. Bochsa, et ce n'est pas peu dire, a rompu cette chaîne de chutes qui pesait sur l'Opéra-Comique, par un ouvrage intitulé la Leure de change. C'est une comédie assez froide, mais gaie. Elle a quelques rapports avec la situation d'Édouard dans le drame de ce nom, et les Projets de Mariages de M. Duval. Les invraisemblances nombreuses de ce petit acte n'ont pas empêché de rendre justice au style, qui est naturel et parfois comique, ce qui n'est pas le péché ordinaire de M. Planard. Le public n'a point laissé protester la Lettre de change, et l'a acceptée malgré la signature de son associé.

En général, M. Planard n'est pas heureux en musiciens. Le plus joli ouvrage qu'il ait jamais fait, son Mari de Circonstance, a eu le malheur d'être appauvri par la partition d'un homme qui n'avait point encore donné jusqu'alors une preuve aussi évidente de nullité musicale. Ce fait est même passé en proverbe dans l'orchestre du théâtre Feydeau. Quand on veut désigner une musique faible, traînante, sans couleur et sans motifs, on dit: C'est aussi mauvais que le Mari de Circonstance.

Ou donc sont les Méhul, les Berton, les Boëldieu, les Spontini et les Catel? Sont-ils morts? Sont-ils partis pour le Brésil? Sommes-nous condamnés par les sociétaires de Feydeau à ne plus entendre que la musique des Catruffo, des Bochsa?...

Pendant le séjour que V. A. fit, il y a quelques années, à Saint-Pétersbourg, elle me fit l'honneur de m'écrire et de me mander le prodigieux succès qu'y avait obtenu M. Didelot, avec son ballet de Flore et Zéphire. Ce ballet vient d'être représenté à Paris, et y a obtenu le suffrage unanime du public. Quelques longueurs qu'il est facile de faire disparaître, et quelques idées un peu trop délayées

n'ont pas empêché de reconnaître dans M. Didelot un de nos plus gracieux chorégraphes.La manière dont Zéphire s'envole est une chose qui a singulièrement surpris les habitués de l'Opéra. C'est la première fois qu'ils ont vu un tableau aussi extraordinaire, et que M. Didelot seul pouvait exécuter. Qu'on joigne à cela une Flore qui danse comme Mademoiselle Gosselin aînée, danseuse si extraordinaire par la précision de ses mouvemens, que feu Geoffroi lui avait donné le surnom de la Désossée. Un Zéphire comme Albert, des décorations telles qu'on est dans l'usage d'en voir à l'Académie Royale de Musique, et on aura une idée de l'impression qu'a pu produire cet ouvrage. La musique en est détestable par exemple; et, orgueil national à part, je doute qu'on en eût composé une aussi mauvaise à Paris.

Je m'aperçois, Monseigneur, de la longueur de ma lettre. Je remets au premier courrier la reprise d'Ulysse, tragédie où Talma a fait le plus grand plaisir. Je parlerai aussi du Contrariant, comédie en vers, reprise au Théâtre Royal de l'Odéon, en trois actes. J'espère qu'aussitôt que M. Picard aura pris définitivement les rênes de l'administration de ce pauvre Odéon, j'aurai sujet de féliciter les Parisiens d'avoir enfin dans leur capitale un second Théâtre Français, où l'on s'occupera moins de mélodrames et de cavalcades que de bonnes comédies. Je ne resterai plus si long-temps sans écrire à V. A., et j'ose lui promettre d'être dorénavant plus exact dans ma correspondance.

Histoire de France pendant les guerres de Religion; par Charles Lacretelle, membre de l'institut, professeur d'histoire à l'académie de Paris. Troisième volume in-8°. (1).

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« L'histoire est, dans la littérature, ce qui touche de plus près à la connaissance des affaires publiques; c'est

(1) A Paris, chez Delaunay, Palais Royal.

Ei chez A.Eymery, rue Mazarine, n°. 3o.

>> presque un homme d'état qu'un grand historien; car il est difficile de bien juger les évenemens politiques, "sans être, jusqu'à un certain point, capable de les diriger soi-même. »>

Cette réflexion ingénieuse et profonde brille parmi tant d'autres dans l'ouvrage de madame Stael sur l'Allemagne : et si personne n'en conteste la justesse, je suis vraiment étonné qu'on n'ait pas encore confié un portefeuille à M. Lacretelle.

Quelle critique! quelle profondeur! quelle politique savante! toutes les trompettes de la renommée célèbrent de si éclatans avantages; et plus heureux que les grands hommes, ses prédécesseurs, M. Lacretelle recueille, à la publication de chacun de ses volumes, cette moisson d'éloges réservée aux talens transcendans. Qui osera faire entendre une voix discordante dans ce concert de louanges? qui empêchera M. Lacretelle d'être le premier historien du monde?

C'est moi, m'écriai-je, avec M. de Pradt, car la modestie est à la mode, depuis que les archevêques ne le sont plus.

On a souvent défini les devoirs d'historien; Cicéron, me semble, l'avait fait en peu de mots: c'est qu'il n'ose dire une fausseté ni cacher une vérité.

Combien cette tâche devient difficile pour celui qui se fait l'historien de son propre pays, de ses contemporains! la véracité lui devient impossible.

Nous apportons en naissant des préjugés dont l'ascendant est irrésistible; à quelque éloignement que soient les événemens qu'on retrace, qu'ils se soient passés au siècle des fureurs religieuses ou à celui des fureurs politiques. Quand le sol qui vous a vu naître en a été le théâtre, tout influence vos opinions; et comme personne, pas même M. Lacretelle, n'est sourd aux conseils des circonstances, l'ouvrage portera toujours le cachet du règne qui l'a produit. Quelle exactitude d'ailleurs, quelle précision de dates, quelle peinture sévère des mœurs, des usages et des lois n'exige-t-on pas surtout de l'historie n de sa patrie? M. Lacretelle semble à peine s'être dou té de ces difficultés. Compilateur adroit des mémoires du

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