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pour cette littérature, en créant au College Royal do France une chaire pour les langues chinoise et mandchoue. Il est heureux qu'en choisissant pour cette place M. Abel de Remusat, un habile ministre ait jeté les yeux sur le seul homme capable de remplir pleinement cette double tàche, si difficile et si épineuse. M. de Rémusat a donc commencé son cours le 16 jarvier de cette année, par l'explication de tous les objets élémentaires dont la connaissance est nécessaire pour pouvoir lire et traduire les auteurs. En développant pour la première fois les principes d'une écriture qui differe en tout de celle des autres peuples, il a tracé la manière qui a été suivie dans la composition de cette écriture. Il a esquissé son histoire et ses révolutions, en faisant sentir son génie et en analysant ses élémens. Après ce résumé historique, M. de Rémusat a cru nécessaire d'enseigner à ses auditeurs les moyens inventés par les Chinois, pour se reconnaître au milieu des signes innombrables d'une écriture symbolique. Quoique ces objets aient été traités en partie par quel ques missionnaires, aucun pourtant ne les a donués avec tant de clarté et avec les exemples nécessaires, sans les quels il est très-difficile de saisir le vrai sens des règles et des analyses qu'on veut expliquer.

Passant ensuite à la grammaire de cette langue extraordinaire, il était indispensable pour ce professeur d'accoutumer l'esprit de ses auditeurs aux singularités qu'elle offre, et de commencer par la rapprocher des nôtres en traçant un parallèle rapide, qui devait faire mieux ressortir les différences au milieu d'un petit nombre de similitudes. En peu de jours, M. de Rémusat a établi ce parallèle selon l'ordre établi par les grammairiens occidentaux pour les parties du discours, et il a fait voir que les Chinois marquaient tout ce qui est vraiment essentiel à la clarté de ce dernier, et négligeaient soigneusement tout le reste. Par-là s'est trouvé réfuté le double préjugé de ceux qui croient qu'il est trop peu méthodique pour être clair, et de ceux qui seraient effrayés du grand nombre de formes grammaticales, ou de particules qui servent à exprimer les relations des mots et les nuances des idées. On peut se servir indiffé

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remment ici du mot de particule et de celui de formes grammaticales; parce qu'il ne se trouvera sûrement personne, parmi ceux qui ont suivi cet exposé, qui voie, sous ce rapport, entre le chinois et les autres langues, d'autre difference que celle qui résulte de l'usage constant et inviolable d'écrire avec des caractères séparés, les thèmes des noms et des verbes d'un côté, et de l'autre les marques des cas, des nombres, des temps et des modes. Reprenant ensuite, suivant une méthode plus analogue au goût chinois, ces mêmes particules, pour faire voir à quels usages variés chacune d'elles pourrait servir, M. de Rémusat a tracé une esquisse suffisante pour que rien de grammatical n'arrête à l'avenir ses disciples dans les livres de Confucius et dans tous ceux des lettrés, dont il est et sera toujours le modèle. Il a laissé à part la langue vulgaire et le style de la conversation, dont il s'occupera l'année prochaine avec plus de facilité, quand ses auditeurs seront, par ce premier cours, plus familiarisés avec le style des livres, pour suivre ses dégradations depuis le King, et les ouvrages philosophiques ou historiques de Meng-Tsu, de Koung-ngan-Koue, ou de Szu-ma-Thuian, jusqu'aux compositions élégantes des lettrés de la dynastie des Soung. La grammaire de Fourmont, qui est particulièrement consacrée à l'exposition de cette langue vulgaire, en offrant à ceux qui seraient pressés du désir de l'étudier, des documens assez exacts, dispensait M. le professeur d'entrer, pour le moment, dans des détails qui l'eussent écarté de son véritable but, qui était l'étude littéraire et philosophique de la langue de Confucius et des King.

Tout ce qui concerne l'écriture, et c'est ce qu'il y a de plus considérable et de plus difficile en chinois, tout ce qu'il y a d'essentiel dans la grammaire, a été développé pendant ce premier semestre, et M. de Rémusat a passé de là à lire et à expliquer les auteurs dont on peut trouver les mots expliqués dans le dictionnaire imprimé. Il est donc arrivé, en trente séances, à un point qu'on ne peut espérer d'atteindre dans les autres langues qu'au bout d'un temps bien plus considérable, et avec un travail bien plus pénible. On voit par-là clai

rement que la langue chinoise n'est pas aussi difficile qu'on se plaît communément à la représenter, et on entrevoit facilement que la vie d'un homme n'est pas nécessaire pour en acquérir la connaissance, et que, s'il était vrai qu'il fallût à la Chine dix ans d'étude pour la savoir, la faute n'en serait point à la langue, mais devrait être attribuée au vice des méthodes ou à l'incapacité des étudians.

L'ordre dans lequel M. de Rémusat a traité, pendant la première partie de son cours, ces différens objets élémentaires, a été dicté par la nature des choses. Il a cherché à suivre l'enchaînement des faits, et en même temps tâché d'être court sur les objets les moins importans, en accordant un plus grand développement à ceux dont la connaissance devait être plus nécessaire. Quoique cette étude préparatoire soit de la plus grande utilité pour les commençans, il faut pourtant avouer qu'il n'est pas impossible, grâces à l'extrême simplicité grammaticale des Chinois, d'intervertir cet ordre, et d'attaquer, pour ainsi dire, les livres chinois de front, ou de commencer par où l'on finit dans les autres cours, par l'explication des textes et la lecture des auteurs. C'est ce que l'on éprouverait si l'on se mettait à suivre le cours au milieu de l'année. Pour peu qu'on y apportât cet esprit d'analyse et d'observation qui sait remouter des conséquences aux principes, et déduire les règles générales de la considération des faits particuliers, on pourrait, ce qu'il serait téméraire de tenter dans toute autre langue, prendre une idée de la grammaire suffisante pour connaître le génie de la langue, ne pas perdre de vue le sens des auteurs, et refaire à posteriori l'exposé court et facile des règles de la langue chinoise.

La disette dans laquelle on est encore de textes chinois imprimés, sera bientôt levée par la publication des ouvrages du savant professeur; et, en attendant, il a tåché d'y suppléer pour ses auditeurs, en dictant plusieurs morceaux, qui forment pour ceux qui l'ont suivi la plume à la main, une espèce de chrestomatie très-utile.

a eu soin de choisir des textes variés d'une étendue convenable, à l'exception des livres de Confucius qu'il

veut lire et expliquer en entier, parce que tout y paraît digne d'attention et d'admiration, au moins sous le rapport du style. Par ce moyen, l'habitude d'écrire le chinois ne tardera pas à rendre familiers les caractères aux auditeurs, qui sauront bientôt les tracer avec une certaine élégance et correctement.

M. de Rémusat a commencé par le recueil des prières chrétiennes mises en chinois par d'habiles missionnaires. Les textes dont le style est simple, et dont le sens est connu d'avance, habituent mieux que ne pourraient faire des passages originaux, aux formes encore étrangeres de la langue qu'on étudie. Après ces différentes pieces, il a expliqué l'inscription de Si-ngan-fou, monumens où la doctrine chrétienne est exposée dans un style noble et élevé, et qui, si son authenticité n'est pas entièrement à l'abri de tout soupçon, est du moins assez bien écrit pour que ces missionnaires n'aient pas craint, au milieu des lettres chinois, d'en faire remonter la composition au huitième siècle. Il existe une gravure de cette inscription dans la Chine illustrée de Kircher, mais les caractères en sont défigurés et presque illisibles; les auditeurs du cours du chinois n'ont pu le rectifier, soit d'après le calque qui est à la bibliothéque du Roi, soit sur la copie que M. de Rémusat leur offrait à mesure sur le tableau.

L'explication de ce monument, curieux sous plusieurs rapports, a été suivie de celle du Lon-chou-chi-i, ou d'un traité des six règles pour la classification des caractères chinois, composé en chinois par le P. Premare. Ce missionnaire habile, mais trop livré aux idées systématiques, a fait un choix de passages d'anciens auteurs estimés, et y a joint des commentaires où il cherche à les ramener à ses opinions. M. de Rémusat a extrait pour son cours tout ce qu'il y trouvait de vraiment chinois, en retranchant les passages aussi bizarres qu'inintelligibles, où le missionnaire expose une doctrine plus que pythagoricienne sur les nombres et sur les signes qu'il croit trouver dans les caractères les plus anciens de la venue du Messie et des autres mystères du christianisme. Fourmont avait là-dessus raison de dire qu'il croyait que

Confucius et les auteurs des Kings qui le précèdent, n'étaient pas des prophètes.

Enfin le professeur arrive à ces respectables monumens de l'antiquité chinoise, pour l'explication desquels il joint le mandchou à la langue originale, parce qu'un grand nombre des meilleurs livres chinois se trouvent traduits dans cette langue. Mais comme ces mêmes versions sont souvent aussi obscures que le texte, il faut nécessairement les lire ensemble. De sorte qu'on préférerait à tort l'étude du mandchou à celle du chinois, comme quelques zélateurs du tartare ont prétendu qu'on pourrait le faire. M. de Rémusat a donc jugé à propos d'expliquer la version mandchoue des livres de Confucius, concurremment avec les originaux, et seulement pour les faire mieux et plus facilement entendre. Par-là il a clairement démontré qu'il serait très-difficile de lire un livre mandchou sans le secours de l'original chinois, et qu'on serait alors très-exposé à faire des contre-sens graves.

Néanmoins l'étude du mandchou, jointe à celle du chinois, peut être d'une grande utilité; et M. de Rémusat a consacré l'une des trois séances de chaque semaine au tartare. L'écriture de cette langue est très-facile, et la grammaire qu'en a donnée le P. Gerbillon, est jusqu'à présent la seule que nous possédions. Malheureusement elle ne se trouve que dans une collection rare et volumineuse, et d'ailleurs elle est imprimée sans caractères originaux. Cet inconvénient paraît avoir été senti par les personnes qui ont suivi le cours de M. de Rémusat. C'est une des raisons qui me déterminent à faire imprimer le plus promptement ma grammaire mandchoue, qui paraîtra dans quelques mois. Elle est le fruit de mes recherches, et je l'ai complétée avec la grammaire mandchou-chinoise, intitulée: Tsing-ven-ki-mung.

Le manque d'une bonne grammaire chinoise s'est aussi fait sentir. La grammaire de Fourmont est devenue rare, et d'un prix quelquefois assez considérable; elle est loin d'ailleurs de contenir toutes les règles nécessaires. C'est pourquoi je compte publier aussi une traduction française de la grammaire du P. Varo, en y ajoutant les caractères chinois, qui manquent totalement dans l'original

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