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M. le baron Boissel de Monville estime que l'extrême generalité des trmes dans lesquels cet article est conçu peut entraîner de graves inconvénients. Si, en effet, on applique sans exception à tous les cours d'eau la totalité des articles compris dans le titre IV, il est évident que les propriétaires se trouveront exposés dans beaucoup de cas à un préjudice considérable; et, pour n'en citer en ce moment qu'un seul exemple, n'est-il pas évident que l'exécution trop absolue de l'article 24, qui défend d'établir dans les cours d'eau aucun appareil destiné à empêcher le passage du poisson, détruirait à l'instant de milliers de pêcheries établies auprès des usines, et dont leurs proprietaires sont en jouissance de temps immémorial? Pour restreindre donc cette trop grande latitude de l'artiele 23, le noble pair retrancherait de la nomenclature qu'il contient ces mots : ou cours d'eau quelconques.

M. le comte de Tournon demande qu'il soit inséré dans cet article une autre restriction. La faculté illimitée qui en résulterait pour l'administration, de surveiller l'exécution des dispositions subséquentes dans tous les cours d'eau, deviendrait gênante et souvent vexatoire pour les particuliers, si elle s'étendait aux parcs et enclos dans lesquels le libre exercice de la proprieté ne peut être gêné en rien. Concevrait-on, par exemple, qu'en exécution de l'article 27, les agents de la pêche s'introduisissent dans une propriété close pour vérifier si le propriétaire ne prend pas à la main quelque poisson dans un ruisseau qui lui appartiendrait? A la verité, l'article 45 interdit aux agents l'entrée des maisons et habitations closes; mais cette dernière exception ne s'applique pas aux pares, jardins ou encios, et c'est pour qu'aucune difficuité ne s'élève à cet égard que le noble pair propose d'ajouter à l'article 23, après ces mois; ou cours d'eau quelconques, ceux-ci : non compris dans des parcs, jardins ou autres propriétés closes.

M. le baron Boissel de Monville déclare que, quant à ce qui regarde la pêche à la main, dont le noble pair vient de parler, il se réserve de demander la suppression absolue de l'article 27, comme contraire à tous les principes, et uniquement propre a gêner l'exercice des facultes les plus simples et les plus naturelles.

M. le due de Fitz-James estime que si en effet il existe, auprès de beaucoup d'usines, des pêcheries qui barrent entièrement le cours de la rivière, c'est un abus introduit à l'époque où la pêche n'était plus soumise à aucune police,

et qui a pour résultat de réduire à rien le droit des riverains, qui cependant sont les véritables propriétaires.

M. le marquis de Bouthillier, directeur général des forêts, ob erve que les dispositions du titre IV ont pour objet de régler les conditions auxquelles la police de la pèche sera soumise dans l'intérêt général; il en conclut que leur application doit s'étendre à tous les cours d'eau, dans quelque espèce de propriété qu'ils se trouvent. On conçoit, en effet, qu'un barrage établi dans un parc ne nuit pas moins au repeuplement de la rivière que s'il était établi dans une propriété non close. Il est donc nécessaire que la disposition soit applicable à un cas comme à l'autre, et tout ce qu'on peut demander c'est que l'introduction des agents dans les propriétés closes soit soumise à des formes qui rendent tout abus impossible. L'article 45 est relatif à crt objet si sa disposition paraît insuffisante, on peut la modifier; mais celle de l'article 23 doit demeurer dans toute sa généralité.

M. le comte de Tournon, auteur du second amendement, insiste pour que la Chambre en délibère en ce moment. C'est l'article 23 qui déclare applicables à tous les cours d'eau les articles subséquents; ces articles seraient sans effet, si la loi n'attribuait pas aux agents de la pêche le droit de constater les contraventions: mais c'est le droit dont lexercice devient exorbitant et vexatoire lorsqu'il s'appliqué aux propriétés closes, et le but de l'amendement est d'en affranchir les possesseurs de ces sortes de propriétés. Pour se convaincre d'ailleurs que l'affranchissement demande n'aura pas les inconvenients qu'on en redoute, il suffit de remarquer que les cours d'eau enfermés dans des propriétés closes ne sont ordinairement ni des fleuves ni des rivières importantes, mais de simples ruisseaux, dont le libre usage sera sans conséquences graves pour la pêche en général.

M. le vicomte Dambray estime qu'il y aurait plus de danger qu'on ne pense à accorder aux propriétés closes une sorte de privilège pour l'exclusion des agents de l'administration. Sen effet on leur interdit dans ces propriétés la constatation des délits de pêche, on se croira bientôt fondé à leur en refuser aussi l'entrée pour l'inspection des usines et les vérifications auxquelles elles donnent lieu dans l'intérêt général. Le noble pair estime qu'il ne doit y avoir aucune proprieté qui soit affranchie d'une surveillance exercée dans l'intérêt général.

M. le duc de Fitz-James ajoute que l'introduction des agents est indispensable pour la constatation des faits de dérivation ou autres qui porteraient préjudice à des tiers: pourquoi donc serait-elle interdite lorsqu'il s'agit de faits qui prejudicient à l'intérêt géneral ?

M. le comte d'Argout estime qu'il n'existe aucune analogie entre ces deux cas. Les droits des tiers do vent toujours être respectés, et lorsqu'une entreprise qui leur porte préjudice aura été faite dans une propriété close, la constatation pourra toujours en être demandée et ordonnée par les voies légales. Mais il ne s'agit en ce moment que de la surveillance de l'administration, et l'on conçoit à combien de vexations cette surveillance peut donner prétexte si elle

est légalement étendue sans exception aux propriétés closes.

M. le marquis de Maleville, rapporteur de la commission, observe que les di-positions du titre IV ont toutes pour objet l'intérêt général du repeuplement des riviè es et de la reproduction du poisson: or, il est évident que les exceptions demandées s'étendraient dans leur résultat non seulement à la portion des cours d'eau qui se trouverait comprise dans les propriétés closes, mais encore aux parties supérieures et inférieures des mêmes cours d'eau. Si en effet un barrage est établi dans un parc, la communication se trouve interrompue entre les deux parties de la rivière et comme l'on sait que le poisson, pour se reproduire, aime à remonter vers les sources, la pêche de toute une rivière peut être réduite à rien par un obstacle apporté au passage du poisson dans un endroit où le cours d'eau ne paraîtrait avoir que bien peu d'importance. Il est donc nécessaire que la surveillance de l'administration puisse s'étendre à tous les cours d'eau et à toute l'étendue de chacun d'eux.

M. le marquis de Bouthillier, directeur général des forêts, insiste pour que la disposition suit maintenue dans toute sa généralité : c'est, à son avis, le seul moyen de rendre efficaces les dispositions des articles suivants, dont il n'y aurait plus aucun bien à attendre si elles étaient soumises aux exceptions demandées.

M. le baron Boissel de Monville, l'un des préopinants, insiste au contraire pour l'adoption de l'amendement. On s'est fondé pour le combattre sur ce que la reproduction du poisson avait lieu près des sources; mais s'il en était ainsi, le poisson aurait disparu depuis longtemps. de nos rivières, car il n'en est pas une dont le cours ne se trouve barré en plusieurs endroits; et cependant, loin que le poisson ait diminués, on peut soutenir que dans beaucoup de localité il a augmenté par cette disposition nouvelle qui transforme chaque portion du lit des rivières en une sorte de vivier dont les propriétaires sont intéressés à la conservation et à la multiplication du poisson. C'est donc au moins une question digne d'être méditée que celle des barrages. Mais, il faut en convenir, la généralité des disposition du titre IV tient à une autre pensée: c'est une conséquence du principe auquel l'administration ne revonce pas, que l'Etat est propriétaire de tous les cours d'eau. Dans cette hypothèse, il n'y a en effet rien que de juste à étendre à tous les cours d'eau la surveillance de l'administration. Mais il en est tout autrement si, comme la Chambre l'a reconnu, c'est aux riverains qu'appartient la propriété; dans ce dernier système le poisson est un gibier que l'on peut enfermer dans sa propriété, que l'on peut y détruire s'il vous nuit, dont on peut s'emparer entièrement et à l'exclusion de tous autres si l'on en trouve le moyen. C'est en se fondant sur ce principe que le noble pair réclame une exception à la géneralité de l'article 23.

M. le marquis de Croix observe que les lois anciennes étaient entièrement conformes sur ce point à ce que l'on propose aujourd'hui; mais l'expérience a fait voir, quoi qu'on en dise, quels étaient les inconvénients du défaut de police sur les cours d'eau. Le noble pair peut citer à cet

égard un fait qui lui est personnel. Une de ses propriétés est traversée par un ruisseau dans lequel autrefois on pêchait des truites fort estimées. L'un des riverains a construit un barrage: depuis ce moment il n'en paraît plus aucune. Et le préjudice ne s'est pas borné à la partie supérieure du ruisseau: la truite, qui remontait à la source pour frayer, s'est éloignée même du barrage, et ce produit est entièrement perdu pour le pays.

M. le marquis de Lancosme croit devoir citer également à la Chambre l'exemple d'un barrage établi sur la Creuse, et qui a privé tout le pays d'un grand nombre d'espèces de poissons qui auparavant s'y trouvaient en abondance et formaient une branche importante de consommation. Depuis longtemps le conseil général réclame contre cet établissement, et jusqu'à présent il n'a pu obtenir justice. Le noble pair insiste pour le maintien d'une disposition dont la généralité permettra de pourvoir à ce désordre.

M. le comte de Castellane, troisième opinant, invoque encore un autre exemple à l'appui de l'opinion qui vient d'être émise, c'est celui d'un barrage établi sur l'Allier, et dont l'effet immédiat a été de porter à trois francs le prix de la livre de saumon, qui se payait autrefois huit sous. La construction de ce barrage a donné à son propriétaire d'énormes bénéfices la première année; mais ces bénéfices ont diminué dès la seconde, et il paraît qu'ils ont entièrement disparu aujourd'hui, le saumon, qui ne remontait que pour arriver à la source, s'étant porté ailleurs dès le moment où la remonte est devenue impossible. On conçoit que l'effet d'un pareil barrage serait le même, soit qu'il fût ou non compris dans une propriété close: il n'y a donc pas de distinction à faire; et dans les enclos comme ailleurs le droit du riverain ne peut consister qu'à prendre le poisson au passage, mais sans s'opposer à la libre circulation de celui qu'il n'a pu saisir. La disposition générale de l'article 23 doit donc être maintenue.

M. le Président observe que l'amendement ayant pour but d'introduire une exception aux dispositions diverses que contient le titre IV, ce n'est qu'après l'examen de ces diverses dispositions que la Chambre pourra juger, en connaissance de cause, si une exception peut être faite, soit à toutes ces dispositions, soit à quelques-unes d'entre elles. Ne serait-il pas dès lors plus convenable de remettre la discussion de l'amendement et l'article 23 auquel il s'applique, jusqu'au moment où la Chambre aura statué sur les autres articles du même titre?

M. le baron de Barante estime que l'amendement et l'article doivent être mis aux voix surle-champ. De quoi s'agit-il en effet? Ce n'est pas d'établir une exception à certaines dispositions du titre IV: si de pareilles exceptions sont nécessaires, elles trouveront leur place lors de la discussion particulière sur chaque article. La question est en ce moment de savoir s'il y aura des cours d'eau ou portions de cours d'eau entièrement affranchis de toutes dispositions relatives à la police de la pêche: tel serait le résultat de l'amendement; et, réduite à ce terme comme elle doit l'être, la difficulté ne saurait plus en être une. L'article 715 du code civil a posé les vrais principes et tranché la question lorsqu'a dit

que la faculté de pêcher serait réglée par des lois particulières. Le droit de pêche dans les cours d'eau n'est pas en effet une propriété qui, comme les autres, puisse se définir le droit d'user et d'abuser. On conçoit que le propriétaire d'un étang soit le maître de disposer à son gré, et sans aucune entrave, du poisson qu'il contient; son droit, à cet égard, est exclusif de celui de tout autre, et personne n'a à lui demander compte de l'usage qu'il en fait: mais le poisson des cours d'eau n'appartient pas d'une manière absolue au riverain. Ce qui lui appartient, c'est le droit d'appréhension dans les limites de sa propriété; mais il ne peut, dans aucun cas, ni détruire entièrement le poisson, ni l'empêcher de passer dans la propriété voisine, parce qu'il n'est réellement propriétaire que du droit de pêche et du poisson qui a été effectivement saisi par lui. C'est même par ce motif que la loi a distingué, dans ses dispositions pénales, l'appréhension illégitime du poisson des étangs de celle du poisson des rivières. A l'égard du poisson des étangs, elle constitue un vol, tandis qu'à l'égard du poisson des rivières, elle ne forme qu'une simple contravention, parce que le poisson des rivières n'est véritablement pas susceptible d'une propriété particulière tant qu'il n'a pas été pris. La conséquence immédiate de ce principe est que le propriétaire du droit de pêche ne peut rien faire qui porte préjudice au droit de son voisin, et qu'il ne peut user de son droit que par les moyens que la loi autorise. Peu importe dès lors que la propriété qui donne droit à la pêche soit close ou non; cette circonstance ne change en rien les droits et les obligations respectives: or, l'exception générale que l'on demande n'irait à rien moins qu'à accorder aux propriétaires des enclos un droit illimité au préjudice des autres; cette exception ne saurait donc être admise, et le noble pair demande la question préalable sur l'amendement.

(La question préalable est mise aux voix et adoptée.)

M. le comte de La Villegontier demande que l'on supprime dans la rédaction de l'article les épithètes navigables et flottables, qui paraissent superflues, les expressions qui suivent étant générales et comprenant tous les cours d'eau quelconques.

M. le marquis de Lancosme estime que l'énonciation particulière qui est faite des rivières navigables et flottables, n'ôtant rien à la généralité de la dispostion, peut être maintenue sans aucun inconvénient.

L'observation n'a pas de suite.

Aucun autre amendement n'étant proposé sur l'article, il est mis aux voix et adopté dans les termes du projet.

L'heure étant avancée, la Chambre ajourne la suite de la discussion à demain vendredi, 2 du courant, à une heure.

La séance est levée.

CHAMBRE DES DÉPUTÉS.

PRÉSIDENCE DE M. ROYER-COLLARD.

Comité secret du jeudi 1er mai 1828.

La séance est ouverte à une heure et demie. MM. les ministres de l'intérieur, de la marine et de l'instruction publique sont présents.

L'ordre du jour est la suite de la délibération sur le projet de loi relatif aux listes électorales. M. Favard de Langlade a la parole pour le résumé de la discussion.

M. Favard de Langlade, rapporteur. Messieurs, ce n'est pas une chose facile que de résumer une discussion dans laquelle plus de trente orateurs ont parlé en sens divers. Essayons toutefois de reproduire, non toutes les observations dirigées contre le projet de loi, mais au moins les principales objections auxquelles il a donné lieu; nous réserverons les autres pour la discussion des articles.

La première de ces objections porte sur la permanence des listes électorales, dont le projet du gouvernement recelait le principe, et que la commission a proposé d'exprimer d'une manière formelle en tête de la loi.

Cette permanence, vous a-t-on dit, organise en corps politique des individus qui jusque-là n'avaient été appelés à remplir qu'une mission temporaire. O crée une puissance démocratique dont l'influence constante peut devenir dangereuse pour la royauté et pour nos libertés publiques.

Ces craintes, Messieurs, sont-elles fondées ? ces dangers ne vous paraissent-ils pas chimériques? Sans doute, les collèges électoraux sont une organisation démocratique : mais cela n'est-il pas de l'essence même de notre constitution? N'y reconnaît-on pas deux éléments bien distincts, l'un aristocratique, représenté par la Chambre des pairs; l'autre démocratique, représenté par la Chambre des députés? L'existence de ces deux éléments étant incontestable, n'est-ce pas une conséquence nécessaire que chacun d'eux soit institué selon les principes qui lui sont propres ? N'est-ce point par la sage combinaison de ces éléments opposés que l'Etat se maintient et se consolide?

Cela posé, où est le danger de déclarer permanentes les listes électorales, déjà considérées comme telles dans l'esprit de la loi du 2 mai 1827 ? Quelle est en réalité l'innovation introduite par cette loi et par le projet actuel? Elle ne change ni à la qualité ni aux droits des électeurs; cette qualité et ces droits subsistent sans interruption, tant que ceux qui en sont investis réunissent les conditions requises. La disposition qui consacre la permanence des listes n'a donc d'autre objet que de reconnaître en droit ce qui existe en fait, par la force et la nature des choses. Comment le corps des électeurs pourrait-il présenter, à cause de cette disposition, des dangers qu'on ne redou tait pas auparavant ? Dans l'un et dans l'autre cas, ils ne peuvent se réunir, pour exercer des droits politiques, qu'en vertu d'une ordonnance de convocation; dans l'un et dans l'autre cas, leur assemblée et leurs fonctions cessent au mo

ment même où l'opération du collège est terminée. Ils conservent leur qualité d'électeur; mais elle demeure inerte dans leurs mains, jusqu'à ce qu'ils soient régulièrement appelés à exercer de nouveau leurs droits.

Ainsi, nul inconvénient à craindre de la permanence des listes, et dès lors, nulle raison fondée pour la repousser.

Si, d'un autre côté, on en considère les précieux avantages, on voit qu'elle donne de la certitude et de la fixité aux droits électoraux, qu'elle n'expose plus les citoyens une fois inscrits à des justifications renaissantes, et enfin qu'elle est sans interruption un obstacle puissant aux fraudes électorales.

La seconde objection tendrait à dépouiller les préfets de la revision des listes, pour en charger l'autorité judiciaire.

Les listes dressées en exécution de la loi du 2 mai 1827 l'ont été administrativement, et il devait en être ainsi, car l'autorité administrative est seule en mesure de connaître la situation politique des citoyens, et de faire une sorte de dénombrement de ceux qui possèdent la capacité électorale. Conférer maintenant la révision anmuelle de ces listes aux tribunaux qui n'ont point en leur possession les mêmes renseignements, ce serait tout à la fois les immiscer, contre le texte de nos lois, dans l'administration, et leur demander un travail qu'il leur serait impossible de remplir avec autant de succès que le pouvoir administratif. Le projet fait tout ce qu'il a paru possible de faire, en les appelant à statuer sur presque toutes les contestations qui peuvent s'élever touchant les qualités électorales.

Une troisième objection a été présentée contre une innovation à laquelle votre commission s'est empressée de rendre hommage: nous voulons parler de la disposition par laquelle le projet de loi attribue à tout individu inscrit sur la liste le droit de provoquer l'inscription d'un électeur omis, ou la radiation d'un individu qu'il croit avoir été mal à propos inscrit.

Ce n'est point là, Messieurs, une de ces actions populaires dont l'histoire des anciennes républiques nous offre des exemples; aucun trouble, aucun désordre ne peut en être la conséquence. Il ne s'agira que de simples déclarations, dont le jugement sera déféré au conseil de préfecture, sans qu'on puisse d'ailleurs se livrer à aucune investigation fâcheuse le projet prend à cet égard toutes les précautions convenables. Ainsi, la faculté accordée aux tiers ne sera nuisible à personne, tandis qu'elle deviendra une des plus fortes garanties qu'on puisse désirer contre l'arbitraire et l'irrégularité.

La quatrième objection repose sur l'ordre des juridictions. Vous avez remarqué, Messieurs, avec quel soin le projet resserre la compétence administrative pour élargir celle des tribunaux. Vous savez qu'en effet le conseil d'Etat ne doit connaitre que des difficultés relatives à la régularité des rôles, à la nature et à l'assiette des contributions, c'est-à-dire d'objets dont tous les éléments se trouvent dans les mains de l'administration. Vous jugerez dans votre sagesse s'il est possible de dépouiller davantage la juridiction administrative.

Il est encore un cinquième reproche qu'on a fait au projet de loi, et qui mérite d'être exainė.

On vous a dit, Messieurs, que toutes les garatities possibles étaient données dans les trois premiers titres pour la revision annuelle des listes,

T. LII.

mais que les dispositions du titre IV les rendaient illusoires par la précipitation avec laquelle les opérations, dans ce cas, devaient être faites.

Mais on n'a pas remarqué qu'il n'y avait jamais lieu, dans le cas prévu par le titre IV, qu'à une rectification, et que la permanence de la liste arrêtée antérieurement offrait une garantie indestructible. La seule crainte qu'on eût pu concevoir eût été que le préfet, rayant arbitrairement de la liste permanente ceux qui y seraient inscrits, ne les privat de l'exercice de leur droit électoral; mais ces craintes ont été entièrement dissipées par l'amendement de la commission, qui veut que l'effet du jugement du conseil de préfecture soit suspendu par le recours, dans le cas où ce jugement ordonnerait une radiation.

Nous arrivons, Messieurs, à une question grave, celle de la pénalité.

Ce n'est qu'après un mùr examen que votre commission s'est vue forcée d'écarter l'idée de prononcer des peines contre le fonctionnaire qui forme les listes électorales. Nous avons eu l'honneur de vous soumettre les motifs de sa détermination.

Cette opinion a trouvé dans la Chambre d'éloquents contradicteurs. Entraînés par des sentiments honorables et par le souvenir pénible de uos récentes discussions, ils ont cru qu'on ne pouvait déployer trop de sévérité pour prévenir le retour de ces abus que vous avez eu à déplorer.

On ne peut se dissimuler qu'en envisageant ainsi la question, on ne soit naturellement conduit à ce résultat. La haine de la fraude, toujours énergique dans les âmes généreuses, les précipite quelquefois dans l'excès de la défiance; mais le législateur, qui se garde également des mesures trop timides et des précautions exagérées, le législateur, qui, loin de céder à l'influence du moment, dirige ses pensées vers l'avenir, ne voit que les besoins réels, ne consulte que les principes, et ne les sacrifie jamais à des craintes passagères.

Pénétrée de ces vérités, animée du désir de leur rendre hommage, la commission a cru devoir, à l'unanimité, persister dans sa résolution. Elle serait heureuse, Messieurs, si elle pouvait parvenir à faire passer sa conviction dans vos esprits. Veuillez remarquer que si, daus le système électoral suivi jusqu'à ce jour, la facilité des actes arbitraires et des illégalités pouvait faire désirer des moyens de repression, il ne saurait en être ainsi dans l'économie de la loi qui vous est proposée. Cette lo, en effet, ne laisse aucune voie, soit à la radiation des électeurs véritables, soit à l'inscription des faux électeurs.

Livré à tous les genres d'investigation, comment le préfet pourrait-il songer à porter sur la liste des hommes qui n'y doivent point figurer? comment se refuserait-il à en effacer ceux qui y ont été mal à propos inscrits ? comment oserait-il prendre, en violation de la loi, une décision que tout électeur aurait le droit d'attaquer et de faire casser? ne saurait-il pas que l'administration supérieure et l'autorité judiciaire veillent sur sa conduite et sont prêtes à écouter les plus justes plaintes des citoyens ? Si la fraude est désormais impossible, pourquoi créer sans utilité des peines qui ne peuvent se concilier avec la nature et le caractère des fonctions deférées aux préfets pour la formation ou la revision des listes électorales? peuvent-ils être considérés, dans l'exercice de ces fonctions, autrement que comme des administrateurs ne dépendant que de l'autorité supérieure

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dans la hiérarchie administrative? Ne serait-il pas contraire à toutes nos lois sur la séparation des pouvoirs, que les actes purement administratifs qu'ils exercent en cette matière fussent livrés à l'appréciation des tribunaux ? Ne doit-on pas distinguer ces actes des questions contentieuses dont l'autorité judiciaire est appelée à connaître ?

Voudrait-on, au contraire, voir dans les préfets des magistrats exerçant une espèce de juridiction, jugeant, pour ainsi dire, en premier ressort, la capacité électorale ? Pourquoi, dans cette supposition, se montrer plus sévère à leur égard qu'envers les fonctionnaires de l'ordre judiciaire ? A-t-on jamais prononcé une peine contre ces derniers pour un jugement erroné? la seule punition qu'ils puissent subir ne consiste-t-elle pas dans la réforme de leur décision par un tribunal supérieur?

Ainsi tout concourt à démontrer que des peines ne peuvent être infligées aux préfets, sous quelque point de vue qu'on les considère, à moins qu'ils ne se rendent coupables de faits qualifiés crimes ou délits et punis comme tels par le code pénal.

En ce qui concerne les électeurs, nous n'ajouterons point de considérations nouvelles à celles que renferme notre rapport. Nous nous bornerons à faire remarquer que, au milieu de toutes les précautions prises par le projet de loi, un individu ne pourrait guère parvenir à se faire porter frauduleusement sur la liste électorale qu'en produisant des pièces fausses, et que, dans ces cas, il encourrait les peines prononcées par le code pénal contre ceux qui fabriquent des pièces fausses ou qui en font sciemment usage.

Par ces considérations diverses, votre commission persiste à penser que le projet de loi doit être adopté avec les amendements que nous avons eu l'honneur de vous proposer. Il nous donne des garanties nouvelles; il suffit à nos besoins présents. Puisse son adoption unanime prouver que nous marchons tous vers le même but, et devenir le gage et le sceau d'un accord politique et constitutionnel!

(M. le marquis de Bernis demande un congé de quelques jours, motivé sur la maladie de son père. Accordé.)

M. Agier, rapporteur du 5° bureau. Le collège électoral de Lunéville (Meurthe) a élu, en remplacement de M. le baron Louis, M. le comte Lobau. Ce collège se composait de 170 électeurs: sur 136 volants, M. le comte Lobau a réuui 73 suffrages. Il justifie de l'âge, du cens et de la possession annale: les opérations ont été régulières; le 5 bureau vous propose de prononcer l'admission. - Adopté.

M. Vassal, rapporteur du 9. bureau. Le 6 collège électoral de la Seine se composait de 802 électeurs 688 ont exprimé leurs votes. M. Chardel, juge au tribunal de première instance, a réuni 370 suffrages. Il est âgé de plus de quarante ans; il paye plus de 1,000 francs de contributions, et justifie de sa possession annale. Comme du reste les opérations du collège ont été régulières, le 9° bureau vous propose de prononcer l'admission. Adopté.

Le 3 collège de la Seine se composait de 1,362 électeurs. Il s'est trouvé 1,138 votants, sur lesquels M. Eugène de Salverte a obtenu 810 suffrages. Il justifie de toutes les conditions à l'éli

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M. le Président. Les tableaux qui vous ont été distribués contiennent les amendements sur les deux premiers titres de la loi; il y en a plus de cinquante, sans compter ceux de la commission. Ce nombre se réduira beaucoup, parce qu'il y en a plusieurs qui sont le même amendement et qui se reproduisent sous divers titres. Tous ces amendements sont des amendements proprement dits, des dispositions additionnelles et des Sous-amendements aux amendements de la commission. Je tâcherai de vous présenter les uns et les autres dans l'ordre le plus favorable à la liberté de la délibération.

Le premier amendement concerne le titre même de la loi, titre auquel la commission propose d'ajouter après ces mots : revision annuelle des listes, ceux-ci : électorales, etc.; en sorte qu'il serait ainsi conçu: Revision annuelle des listes électorales et du jury.

M. Pataille a la parole sur cet amendement.

M. Pataille. Le titre même d'une loi ne doit point être préjugé; il importe de le rendre logique, de le faire concorder avec les dispositions que la loi doit contenir, non seulement par ce besoin de logique que l'on éprouve en faisant une loi, mais parce qu'il est arrivé quelquefois que des arguments ont été puisés dans le titre même de la loi. Il est inutile d'établir aucune discussion pour arriver à ce point, que le projet dont il s'agit statue aussi bien sur les listes électorales que sur la liste du jury. Le titre était donc inexact, et il faut le rectifier: il y a un autre rapport sous lequel ce changement peut avoir une assez grande importance. Vous savez que plusieurs personnes réclament des additions importantes à la loi, pour remédier à divers abus qu'a offerts la tenue des collèges. Il ne faut pas se dissimuler qu'en admettant cette rectification au titre, vous renforcerez les résistances qui seront opposées aux additions dont je viens de parler. On vous dira que vous-mêmes, par le titre de la loi, vous avez tracé le cercle dans lequel vous devez vous circonscrire, et qu'il ne faut pas en sortir. A cet égard, je me contente des paroles d'espérance données par M. le ministre de l'intérieur. Il est convenu que les lois relatives à la tenue des collèges laissaient quelque chose à désirer; qu'elles étaient incomplètes, insuffisantes; qu'elles ne répondaient pas au besoin de la vérité des élections, et qu'ainsi il s'occuperait de méditer dans sa sagesse les disposi tions qui seraient propres à améliorer ces lois. Je prends acte de ces paroles, d'où il résulte que MM. les ministres peuvent reconnaître que notre législation est imparfaite, et que les députés peuvent provoquer des explications de la part des ministres. Vous remarquerez que ce passage du discours de M. le ministre de l'intérieur forme un contraste avec les paroles du début de ce même discours.

Dans les premières paroles de ce discours, M. le ministre de l'intérieur a prouvé, du reste, qu'il possédait tous les secrets, qu'il avait à sa disposition tous les dons de l'art oratoire; mais ayant voulu répondre à mes dernières paroles, il a revêtu des formes très différentes de celles qui

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