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Pour qu'elle soit conservée il ne faut pas qu'elle dégénère en licence, c'est alors que le roi doit employer la censure que les lois lui ont accordée. Je vote contre la proposition.

Plusieurs orateurs sont encore entendus et reproduisent les divers arguments sur la nécessité d'abolir la censure et de donner une législation complète de la presse.

M. le Président donne ensuite lecture de la proposition; elle est ainsi conçue :

"Sa Majesté sera suppliée de proposer une loi qui abroge l'article 4 de la loi du 17 mai 1822. » L'ajournement qui a été demandé est mis aux voix et rejeté.

La prise en considération est adoptée. En conséquence, la proposition et les développements de MM. Benjamin Constant et Dupin aîné, seront imprimés el distribués dans bureaux.

M. le vicomte de Conny, auteur de la proposition relative à la réélection des membres de la Chambre des députés qui seraient promus à de nouvelles fonctions, monte à la tribune.

M. le Président donne lecture de la proposition qui porte :

«Tout député auquel il sera conféré une place rétribuée cessera par le seul fait de son acceptation de faire partie de la Chambre; mais il pourra y être réélu.

Sont exceptés de cette disposition: 1o les députés qui seraient élevés aux fonctions de secrétaires d'Etat; 2° les députés qui, appartenant à l'armée de terre ou de mer, recevraient de nouveaux grades.

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M. le vicomte de Conny. Messieurs, la proposition que j'ai l'honneur de vous soumettre fut en d'autres termes présentée dans une des sessions dernières. J'aurais laissé à l'honorable collègue qui le premier eut cette noble pensée le soin de la reproduire de nouveau, si une circonstance particulière ne l'éloignait encore de cette Chambre où tous les voeux l'appellent.

J'ai cru, Messieurs, qu'aucun retard ne devait être apporté dans une proposition dont l'influence sur les destinées de la Chambre me paraissait devoir être puissante, et j'ai pensé qu'elle devait marquer nos premiers pas dans l'avenir qui s'ouvre devant nous.

Le besoin le plus absolu d'un corps politique est la considération des peuples; c'est dans ce sentiment qu'il trouve sa force et sa puissance tout entière.

Si nous cherchons les causes de cette haute considération attachée à ces grands corps politiques qui ont marqué dans l'histoire, nous la trouvons tout entière dans ces traditions de désintéressement et de vertu que les temps nous ont conservées. Le souvenir de nos anciens parlements et de la magistrature française se lient dans notre pensée à tout ce que le désintéressement et l'abnégation de soi-même offrent au respect des hommes.

Quelque divers que soient les jugements que l'on porte sur l'action politique que ces grands corps out exercée, leur mémoire sera toujours environnée de ce respect profond qu'imprime dans la pensée le souvenir des mœurs graves et des habitudes simples qui éloignaient les hommes de ces temps des routes battues par l'ambition et la fortune; ils étaient étrangers à cette exis

tence inquiète et mobile dont l'entraînement semble être le caractère distinctif des temps où nous vivons. Si telle est notre situation, Messieurs, si le besoin des places est un des traits caractéristiques de notre époque, si la vie entière, s'épuisant dans un cercle toujours agité, se consume à la recherche de la fortune, ne devons-nous pas reconnaître que tout ce qui pourrait apporter du calme et tempérer cette ardente agitation doit être l'objet de la méditation de l'homme d'Etat? car lorsqu'une telle disposition est vivante au cœur d'une nation, c'est par des sages institutions qu'il faut combattre ses funestes résultats. Sans doute, il serait plus heureux que le désintéressement et l'abnégation de soi-même fussent dans nos mœurs; mais si tel n'est pas l'état de la France actuelle, c'est par des dispositions écrites dans nos lois qu'il faut agir sur l'esprit des peuples.

Lorsqu'un des premiers corps de l'Etat s'enchaînera ainsi par des règles sévères et immuables, il présentera un aspect plus fixe, on observera moins de mobilité dans la situation de ses membres. Il recevra des peuples une plus haute considération; et, en retour de ce respect, il agira par ses exemples sur l'esprit général de la société. On comprendra que si l'honneur insigne d'être député de son pays doit enflammer d'une noble ambition, et le magistrat dans ses veilles, et le guerrier au milieu des camps, et l'homme de lettres et le savant livré à de profondes investigations, on comprendra, dis-je, que l'orsqu'on est arrivé à ce haut rang, c'est dans la fixíté de sa position que réside la dignité. De trop grands pouvoirs sont conférés aux députés; ils exercent une action trop puissante sur les destinées de leur pays pour qu'ils puissent penser, en présence d'intérêts aussi immenses, à leur situation individuelle.

Après avoir rempli une si noble mission, le député peut toutefois recevoir, Messieurs, la plus noble récompense, celle dont la pensée plus d'une fois sans doute a fait battre son cœur, l'estime de ses compatriotes.

Si la proposition que j'ai l'honneur de vous soumettre pouvait porter atteinte aux droits de la couronne, je l'abandonnerais à l'instant même ; car je porte à la royauté un trop profond respect pour que jamais je puisse avoir cette étrange pensée. L'action de la royauté doit être puissante, c'est le premier besoin de la France : j'en ai la plus entière conviction, et c'est le sentiment le plus intime de mon être. C'est dans l'intérêt de la liberté même que j'invoquerais sa force pour lutter contre les envahissements de la puissance démocratique, que l'esprit des temps où nous vivons pourrait rendre redoutable. Mais ici ce n'est point porter atteinte à la prérogative royale le roi reste le maître, ainsi qu'il doit l'être, de choisir les personnes que, dans sa sagesse, il juge dignes de sa confiance. Le député choisi par la couronne a le droit d'opter; mais s'il reste membre de la Chambre, re narquez-le, Messieurs, sa position peut être tout-à-coup changée dans ses rapports avec son département par sa promotion à de nouvelles fonctions. Un député élu dans un des départements du midi est envoyé préfet dans le nord; il est appelé à une ambassade dans ces situations diverses, de nouveaux soins, de nouveaux intérêts à défendre, peuvent le rendre étranger au département dont il reçut les suffrages. Et daignez l'observer, Messieurs, le député a deux missions en quelque sorte à remplir: il est à la fois chargé de dé

fendre les intérêts généraux de la France et les intérêts particuliers de son département.

Si le député est placé dans une nouvelle situation, restera-t-il encore l'homme de son département? N'est-ce pas le département seul qui peut résoudre cette question? Si le département croit qu'il lui est devenu étranger par ses nouvelles fonctions et que les liens qui l'attachaient à lui sont brisés; vous dirai-je toute ma pensée, Messieurs, s'il est convaincu que les premiers suffrages qu'il reçut ne furent en quelque sorte pour lui que les calculs d'une ambition personnelle et qu'il ne vit dans un collège électoral qu'un marchepied pour le conduire à la fortune, il lui refusera ses suffrages. Si, au contraire, cette nouvelle situation ne détruit pas dans la pensée de ses commettants la conviction que le député restera l'homme de son département et remplira le mandat qui lui est confié, le département tout entier éprouve un sentiment de fierté en pensant qu'il a ouvert la carrière des plus hautes dignités politiques à un homme toujours digne de ses suffrages; le choix de la couronne devient alors un titre de plus auprès de ses commettants.

Malheur au pays, Messieurs, où un tel choix cesserait d'être un titre de confiance! Le pouvoir, égaré dans de fausses directious, aurait ravi à la monarchie la plus belle de toutes les prérogatives, l'action morale que, dans l'intérêt des peuples, elle doit exercer sur les collèges électoraux; un tel égarement de l'opinion publique pourrait amener les plus funestes résultats: ce serait là, Messieurs, un des plus graves symptômes de cette anarchie morale qui précède toujours les tempêtes politiques. Que si cependant, au milieu des luttes, des passions, de brigues électorales ou des clameurs de l'envie, on voyait refuser à un député toujours digne de la confiance de ses commettants, ces suffrages que son noble caractère avait conquis: ce serait là, Messieurs, un de ces exemples d'ingratitude dont les partis comme les pouvoirs n'en donnèrent que trop souvent et de trop mémorables. Le député qui aurait subi une telle injustice en appellerait du jugement de ses contemporains au temps, vengeur légitime, au temps qui met à leur véritable place toutes les renommées et toutes les gloires.

Loin de nous, Messieurs, la pensée qu'une telle proposition puisse être faite pour flaiter les caprices de l'opinion populaire, et donner à la Chambre une vaine célébrité. Vous êtes placés trop haut, Messieurs; de tels calculs sont au-dessous de vous ce sont d'autres pensées qui vous occupent. L'homme d'Etat n'a point reçu la mission de suivre dans ses caprices et dans son étrange mobilité une opinion trop souvent aveugle dans ses préférences comme dans ses ressentiments. Sans doute, il l'interroge cette opinion, mais c'est pour la guider et prévenir ses funestes égarements.

C'est dans l'intérêt de la monarchie, Messieurs, qu'est tout entière la proposition que j'ai l'honneur de vous soumettre. Il importe de détruire en France ce préjugé vulgaire qui place la servitude là où l'on défend le pouvoir. Non, Messieurs, ce n'est point en France que la servilité portera les esprits vers la défense du pouvoir légitime; c'est la conscience et l'honneur. La servilité est rare dans notre patrie; ce n'est point là sa terre natale. Repoussée par nos mœurs elle ne peut être de longue durée: elle reçoit de l'opinion des peuples un trop légitime et trop sévère châtiment. Voyez ce Sénat de l'Empire, qui fatigua Buona

parte de sa servilité : la France entière avait prononcé l'inexorable arrêt que la postérité, `qui déjà a commencé pour lui, vint consacrer dans sa sévère impartialité.

Mais il importe, Messieurs, de désarmer la calomnie, puissance redoutable, dont les atteintes sont cruelles. Elle le sera lorsqu'on ne pourra plus supposer aux défenseurs du pouvoir d'autres pena sées que celle de l'accomplissement des devoirs imposés par leur conscience. Les peuples comprendront mieux alors le respect qu'ils doivent à de tels hommes, et s'ils ne partagent point cette célébrité que le nom magique de liberté donne aux orateurs de l'opposition, nul ne pourra leur ravir cette estime profonde qui s'attache à l'homme d'Etat, alors que, vouant un culte au pouvoir, mais s'éloignant des routes de la fortune, il n'obéit pour le défendre qu'à l'inspiration de sa conscience.

Je l'avouerai, Messieurs, j'ai quelque peine à concevoir qu'une proposition qui serait l'expression de ce sentiment d'honneur et de délicatesse dont aucune nation plus que la nôtre, n'est susceptible de recevoir les impressions, j'ai, dis-je, quelque peine à concevoir qu'une telle proposition puisse paraître porter atteinte à la prérogative royale. C'est parce que je porte à la royauté le respect le plus profond que je désire lui donner une action plus forte en augmentant la considération d'un des grands corps de l'Etat. Je réclame pour lui, non cette indépendance qui, prise dans un sens trop absolu sans doute, cesse d'ètre en harmonie avec le principe monarchique et devient l'expression des passions de la démocratie; mais cette indépendance noble et élevée qui fait qu'un corps politique trouve sa force et sa dignité dans le sentiment de ses devoirs et de l'honneur.

Une telle proposition ne peut donc porter atteinte à la prérogative royale. Que demandons-nous, Messieurs? Nous supplions le roi de permettre qu'il nous soit accordé de mieux le servir encore, s'il est possible; de mieux remplir les devoirs de bons et loyaux députés, qui nous sont prescrits par la sainteté des serments.

Nous le répétons, Messieurs, il importe de détruire cet étrange préjugé qui flétrit le non de servilité l'honorable et religieuse disposition qui porte l'homme de bien à défendre le pouvoir.

N'en doutez pas, Messieurs; si, entraîné par ce préjugé vulgaire, une nation spirituelle dirigeait sans cesse l'arme du ridicule et flétrissait de ses sarcasmes ceux qui combattent pour l'autorité, elle battrait en brèche toutes nos institutions, elle disperserait par la crainte du ridicule les défenseurs du pouvoir. Désirons, Messieurs, que cette nation spirituelle puisse tempérer par plus de gravité sa légèreté native; désirons-le dans l'intérêt de la liberté, car la liberté expire dès que le pouvoir n'est plus respecté. Ne laissons donc pas à la légèreté, je dirais presqu'à le malignité française, le prétexte de nous accuser d'ambition personnelle. Ses armes seront impuissantes, elles cesseront de nous atteindre, si vos suffrages consacrent la proposition que j'ai l'honneur de vous soumettre.

Remarquez, Messieurs, que si les promotions des députés ne devenaient plus rares, une puissance morale d'une influence immense serait donnée à l'opposition. Plus éloigné du pouvoir par sa situation même, l'entrainement des passions diverses, que fortifie le caractère national, pourrait lui donner une prééminence daus l'opinion publique dont l'action ne serait pas sans danger.

Sans doute, Messieurs, dans une nation spirituelle où la disposition à fronder le pouvoir fut à

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toutes les époques un des traits distinctifs de son caractère, nulle puissance ne détruira jamais le charme secret qui s'attache à l'opposition. Mais le cercle dans lequel elle pourra s'exercer sera resserré dans des limites plus étroites. Sans doute vous ne l'aurez pas desarmée; mais vous aurez prévenu quelques-uns de ses plus funestes écarts, mais vous lui aurez arraché une de ses armes les plus meurtrières. Il lui en restera toujours, et certes de bien redoutables encore. Avouons-le, Messieurs, l'esprit d'opposition va remuer au fond des cœurs ces dispositions natives qui ne sont pas celles de la bonté : il excite cette verve satirique et fait naître ces saillies si vives et si spirituelles qui semblent être l'attribut distinctif de la conversation française; et dans une nation où les salons sont une puissance, où l'on cherche par dessus tout ces mots heureux, ces traits acérés, qui assurent le succès, et donnent à l'esprit de l'éclat et de la célébrité, on peut dire que dans un tel pays l'esprit d'opposition sera, en quelque sorte, sinon de droit, au moins toujours d'usage français.

Les défenseurs du pouvoir sont placés, il faut le reconnaître, dans une situation moins brillante. Leurs paroles sont plus graves; ils s'adressent à la conscience plus encore qu'à l'esprit ou aux passions des peuples. Ces succès de salon, qui ont une puissance si immense en France, leur sont en quelque sorte interdits. Peut-être un sentiment secret avertit les peuples qu'il y a au fond de leurs doctrines une sagesse profonde et ce calme de la modération qui accompagne toujours les principes d'ordre et de justice; mais ce calme, cette sagesse, cette modération, ne platsent pas toujours à une nation spirituelle, vive et légère: il est donc du plus grand intérêt d'écarter loin de tels hommes tout ce qui pourrait porter atteinte à la haute considération à laquelle ils ont des droits si légitimes.

Cette considération est un des besoins de la France, car elle est un des premiers éléments de la puissance morale que de tels hommes doivent exercer sur la nation.

Considérez, Messieurs, les situations diverses des députés. Observez d'abord celui que sa conscience appelle à prêter son appui au ministère. Monte-t-il à la tribune, parait-il dans les avenues du pouvoir, mille bruits divers s'élèvent tout à coup; c'est moins, assure-t-on, pour défendre l'autorité que pour flatter la puissance du ministre. Cet homme, que sou éloignement des affaires avait pendant sa vie entière préservé de toutes les calomnies, est à l'instant même accablé d'épigrammes et de sarcasmes amers; on l'outrage, et alors qu'il cède à sa conviction, on paraît croire qu'il est entraîne par de misérables motifs d'ambition personnelle; la renommée bientôt s'empare de son nom, et mille feuilles diverses, travestissant ses intentions et trop souvent ses paroles mêmes, vont porter de toutes parts leurs sanglantes épigrammes, et peut-être attacher pour toujours des préventions injustes à l'honorable député dont la loyauté et le désintéressement avaient des droits à l'estime publique. Peutêtre qu'en secret, attristé d'avoir perdu le repos en cédant au cri de sa conscience, il a pris la résolution de garder le silence. Etrange situation, dont les conséquences peuvent être déplorables! Si telle est la position du député défenseur du ministère, ne croyez point, Messieurs, que celui de l'opposition puisse toujours échapper à de tels dangers.

Un député, après avoir défendu plusieurs actes

du ministère, devient-il son adversaire; il a cessé de le défendre parce que sans doute dans sa conscience il a cru que le ministère suivait une route funeste eh bien, Messieurs, mille bruits mensongers bientôt en vont courir à sa honte, et mille pamphlets divers viendront vous apprendre que si ce député a cessé de prêter son appui au ministère, s'il est dans l'opposition, c'est parce que le ministère a refusé de céder à ses désirs et de lui conférer la place à laquelle il pensait avoir des titres.

Ainsi, Messieurs, vous le voyez, dans cette déplorable position, le député, sur quelque banc qu'il siége, est exposé sans cesse à des calomnies diverses; et ces calomnies, traduites avec la malignité française dans la langue la plus spirituelle, et répétées de toutes parts, peuvent porter les plus funestes atteintes à sa réputation : nul homme de bien ne peut se flatter d'échapper à un tel péril.

Et qu'on ne dise point ici que le député doit être indifférent à de telles atteintes! Non, Messieurs, si son caractère d'homme public a été altéré dans sa réputation, c'est un inalheur, et un malheur immense pour le pays; car sa réputation n'est point, si l'on peut le dire ainsi, la propriété iudividuelle du député, elle appartient tout entière au pays, au pays qui la réclame comme une nécessité pour faire le bien, et le bien devient impossible si la réputation de l'homme public est flétrie par la calomnie.

Vous le voyez, Messieurs, nous n'avons qu'un seul moyen d'échapper à cette redoutable puissance, qui, comme un vaste réseau, semble nous ceindre de toutes parts, et briserait bientôt les réputations les plus fortes; elles n'auraient plus, sous de tels coups, que la fragilité du verre. Nous n'avons qu'un seul moyen, Messieurs; c'est de supplier le roi d'établir une barrière qui nous rende étrangers à toutes promotions de places pendant la durée de nos fonctions: alors, Messieurs, nous aurons ôté a la calomnie tout ce qu'il était en notre pouvoir de lui ôter. Sans doute, nous ne l'aurons pas vaincue; mais du moins nous aurons fait notre devoir. Alors nos situations devenues plus fixes donneront un aspect plus calme à la Chambre; les passions du dehors réagiront moins vivement sur nous, elles viendront en quelque sorte se briser à nos pieds. Dès lors, Messieurs, l'on pourra moins redouter que des partis puissent se former dans le sein de la Chambre pour flatter d'ardentes passions ou devenir les instruments d'ambitions violentes. Le ressort si puissant de l'intérêt personnel sera brisé, et, dans ces mouvements des gouvernements représentatifs qui renversent ou élèvent les ministères, la position des députés restera immuable. Toujours calmes au milieu même de la région des tempêtes, l'action qu'ils exerceront sur ces grands mouvements sera tout entière dans dans les intérêts généraux, et ce sera là, Messieurs, un beau spectacle pour la France. Le député, tout entier à ses devoire, ne sera jamais détourné de ses graves méditations par de vulgaires pensées; toujours interrogeant sa conscience, et toujours fidèle aux inspirations saintes qu'elle rend lorsque l'on cherche avec ardeur la vérité et la justice, une voix secrète lui criera sans cesse: la France vous regarde! Voix puissante, qui seule ramènerait au devoir et rappellerait la sainteté des serments.

Non, Messieurs, je n'ai point cédé à un enthousiasme irréfléchi dans la proposition que j'ai l'honneur de vous soumettre; elle est dans ma

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pensée, ma conviction profonde je crois à sa nécessité, et cette nécessité n'est point passagère; elle résulte de causes puissantes et indestructibles, car ces causes sont tout entières et dans le caractère français et dans l'état général de la société.

Si nous ne parvenions point à détruire un des obstacles qui s'oppose le plus à l'harmonie de la Chambre, vous dirai-je toute ma pensée, Messieurs? je vois alors, dans des temps qui peutêtre ne sont éloignés de nous, les passions les plus ardentes, les plus effrénées, surgir au milieu de nos débats, et mêler leur action funeste aux causes générales de discorde qui n'existent que trop dans la situation des esprits en France et hors de France. Permettez-moi, Messieurs, de déposer au milieu de vous mes tristes pressentiments: je vois alors pour mon pays le plus fatal avenir.

La proposition que j'ai l'honneur de vous soumettre contribuera à imprimer à la Chambre cette haute dignité dont elle a besoin d'être investie pour remplir sa mission. Cette mission, nous l'accomplirons, Messieurs, et nous prouverons à la France que nous sommes les gardiens de la majesté du trône, la première et la plus noble de nos garanties.

Je répondrai, Messieurs, à diverses objectious qui furent faites en d'autres temps à la proposision que j'ai l'honneur de vous présenter. On disait, pour combattre la proposition de M. Jankowitz : « Pourquoi établir des règles? Un « homme indépendant le sera dans toutes les si"tuations de la vie. » Je me hâte de le reconnaitre, Messieurs : il est des caractères fortement trempés qui restent inébranlables dans les circonstances les plus extraordinaires même, et qui sortent toujours vainqueurs des luttes que le sentiment de leur devoir leur impose. Mais il faut bien le reconnaltre, ces caractères sont rares.

Qu'on ne m'accuse point ici de jeter sur les temps où nous vivons un regard trop sévère. Cherchons la vérité, Messieurs; ne substituons point à de tristes réalités de trompeuses illusions: ce sont les souvenirs de l'histoire, et de l'histoire contemporaine, que nous devons interroger.

Avouons avec naïveté que dans les temps où nous vivons l'entraînement de mille passions diverses, ces besoins multipliés nés des progrès du luxe et des arts, peuvent présenter plus d'une fois à l'homme public de redoutables écueils au milieu de sa carrière.

Le dirai-je, Messieurs? ces écueils qui l'entourent de toutes parts semblent naître même des vertus de l'homme privé. Assis au milieu de ses foyers domestiques, i les retrouve, Messieurs, ces écueils; car c'est là qu'il pense à l'avenir de ses enfants; et, dans sa tendresse inquiète, portant ses regards sur leurs destinées, qui sait, Messieurs si les illusions de l'ambition, s'unissant à des sentiments si vrais, ne viendront point porter atteinte à l'inflexible sévérité de l'homme public? qui sait, Messieurs, si, subjugué par le désir si naturel de rendre beureux tout ce qui l'entoure, il ne pourra pas céder plus facilement à l'entraînement du pouvoir, et si de vagues désirs d'ambition ne viendront point couvrir de leurs nuages quelques instants de sa carrière?

Si nous reconnai-sons que cette situation est vraie, et qu'elle est une des conditions des mœurs générales de la société plus encore que de la faiblesse du cœur humain, pourquoi, Messieurs, ne point prévenir par des règles lixes et immuables de tels résultats ? Pourquoi ne point donner à la

France une idée vraie de notre indépendance, en arrachant tout prétexte aux clameurs des partis et de la malveillance ? Jamais sans doute nous ne rechercherons les hommages d'une vaine popularité; mais s'il est indigne de nous de flatter les passions, nous serait-il défendu d'acquérir des titres à l'estime de la France, en nous imposant des sacrifices, en nous soumettant à des règles fixes et honorables?

Il importe surtout de prévenir dans la Chambre ces promotions soudaines, qui, frappant les esprits d'étonnement et de surprise, donnent matière aux plus étranges conjectures. Il nous a semblé toutefois que les députés qui seraient appelés aux fonctions de ministre ne devaient point être soumis à la règle que nous nous imposons. Ce serait, dans notre pensée, porter une atteinte grave aux prérogatives de la couronne, et nous vous proposerons une exception pour ces hautes fonctions. Les députés qui appartiennent à l'armée de terre ou de mer doivent aussi, selon nous, pouvoir recevoir les nouveaux grades qui leur seraient conférés la nature de leurs services et les conditions de leur avancement les placent dans une situation particulière.

Plusieurs de nos honorables collègues ont pensé qu'il serait peut-être trop sévère de priver les députés du droit d'avancement conféré par le temps dans les diverses carrières auxquelles ils peuvent appartenir; c'est à votre sagesse, Messieurs, qu'il appartiendra de résoudre cette question.

Si l'on pensait encore que le principe d'une réélection puisse paraître une atteinte à la prérogative royale, car, je le répète ici, le respect religieux que je porte à ses droits sacrés me fait envisager dans cette grave matière tous les doutes, toutes les craintes; le sentiment qui les fait naître est gravé trop fortement dans mon âme pour que je n'appelle point moi-même toutes les investigations j'ai cherché la vérité; heureux, si je ne la trouvais pas, que mes erreurs fussent combattues. Si donc, Messieurs, l'on s'opposait par de tels motifs à de nouvelles élections, ne pourraiton pas échapper à ce danger, et arriver même à un résultat plus heureux encore? Et ce résultat, je l'avouerai, je l'appelle de tous mes vœux. Ce serait d'établir d'une manière tout à fait absolue qu'aucun député ne doit être appelé à d'autres fonctions pendant l'exercice de la noble mission qui lui est conférée. Peut-être, Messieurs, si vous n'admettez point ce principe dans tout ce qu'il présente d'absolu, un des résultats de la proposition que j'ai l'honneur de vous soumettre serait de l'établir en quelque sorte par les usages: consacré par nos mœurs, peut-être plus tard deviendrait-il même inutile de l'écrire dans nos lois.

Voyez les progrès qu'amène le temps dans le développement d'idees analogues : déjà un sentiment de haute convenance a interdit aux membres de la Chambre des pairs l'acceptation de fonctions, les plus élevées même, dans l'ordre administratif, et la France a apprécié tout ce qu'il y avait dé noble dans une telle disposition.

S'il pouvait encore rester cette étrange idée, qu'en France la Chambre des députés est le chemin de la fortune, cette erreur serait bientôt dissipée, et ce serait là un des plus grands resultats de la proposition qui vous est soumise. Daiguez le remarquer, Messieurs, si un tel préjugé dévenait vulgaire, s'il pouvait s'établir dans la nation, tout serait perdu alors: il exercerait sur les meurs publiques la plus pernicieuse influence; il enflainmerait toutes les passions : ce serait moins encore

l'amour de la célébrité, que cette cupidité ardente, insatiable, qui déguiserait la soif de l'or, qui la tourmenterait sous le nom de l'amour des places.

Sans doute, Messieurs, nous n'avons pas besoin de dire qu'il est loin de notre pensée de priver les députés du droit si précieux et si honorable de remplir des fonctions gratuites. Puisse le cercle de telles fonctions s'étendre de plus en plus! C'est un hommage rendu au principe constitutif de notre monarchie. La considération des peuples, juste prix de tels services, peut seule les acquitter; tandis que des émoluments qui y seraient attachés, en accroissant encore les charges de l'Etat, ne les acquitteraient que trop imparfaitement même.

Quelques personnes ont semblé craindre qu'en adoptant cette proposition, le pouvoir fût privé de ces grands moyens d'influence dont l'action peut devenir nécessaire au milieu des luttes terribles qui s'élèvent dans les gouvernements représentatifs.

Je ne partage point cette pensée, Messieurs. Si jamais on redoutait de voir s'élever des factions, ce ne serait point en les flattant qu'il faudrait les combattre; ce ne serait point en élevant aux dignités leurs chefs ou leurs complices, qu'il faudrait ramener sous les drapeaux de la monarchie les transfuges qui violeraient la sainteté des serments. Non, Messieurs, la royauté légitime, ancre de salut de la France, serait toute puissante pour combattre de tels attentats : elle livrerait, aux acclamations des peuples, les coupables à l'inflexible sévérité des lois. Mais, dans les temps ordinaires, craindrait-on que le pouvoir fût privé, par l'adoption de cette proposition, de la légitime et nécessaire influence qu'il doit exercer sur la Chambre élective? Non, Messieurs, je ne le pense point non plus.

Le pouvoir aura toujours, en France, une puissance morale qui tient au caractère distinctif d'une nation appelée à de si grandes destinées. La France est monarchique par essence : nul peuple ne possède à un plus haut degré le génie, je dirais presque l'instinct monarchique; mais il faut que le pouvoir, pour exercer cette influence, soit fidèle à la loi française, à la loi de l'honneur.

Que l'on ne parle point ici, Messieurs, des usages d'un peuple qui nous devança dans la carrière du gouvernement représentatif. Si nous examinons ses tradictions parlementaires, et si, fouillant dans ses archives, nous observons les diverses phases de son histoire, plus d'une fois le nom de corruption viendra se placer sur nos lèvres. Mais que la terre classique de l'honneur n'aille point chercher ses exemples chez un peuple voisin. Je le confesse, c'est sans doute au sang français que je dois cette disposition si vive qui me porte à repousser loin de notre patrie de tels usages. Restons Français, Messieurs; et surtout plus que jamais, restons fidèles à cette vieille loi de la noble patrie c'est dans elle qu'est tout entier le salut de la monarchie.

Un homme a paru au milieu de nous qui exercé sur notre pays la plus fatale influence; et cependant la nature l'avait doué d'une assemblage rare de qualités diverses. Ses amis l'élevèrent au pouvoir avec les plus loyales intentions. Mais, au pouvoir, il y porta le génie de la ruse; il eut foi dans sa puissance. Sans doute, il oublia qu'il était ministre en France, car il ne crut point à celle puissance de l'honneur dont Montesquieu a fait avec tant de raison le principe de la monarchie française. Dès lors sa chute était certaine : il est tombé, et tombé sans retour. Puisse ce grand

enseignement ne point être pour la France une vaine leçon !

Le pouvoir accroîtra son action en France, en développant ce principe d'honneur inné dans notre nation: il lui donnera un nouveau degré d'énergie et de puissance en combattant, par des lois en harmonie avec la loi fondamentale, les funestes atteintes qu'il avait reçues au milieu de nos longues et trop sanglantes discordes.

Ainsi, Messieurs, la Restauration, en unissant les temps anciens aux temps modernes, nous rendra plus chère et plus sacrée encore cette race royale née du sang français, qui appartient à notre nation par sa gloire, confondue depuis tant de siècles avec celle de la patrie.

La puissance du pouvoir sera immense en France, lorsque ses dépositaires comprendront qu'un des besoins de cette France est d'aimer ses rois; que ce sentiment, comme celui de l'honneur, est indestructible dans les âmes françaises et survit au temps comme aux révolutions.

Si jamais il était vrai que ce sentiment pût recevoir quelque atteinte en France, ce serait parce que les dépositaires du pouvoir auraient mal compris ces hautes inspirations de gloire, de sagesse et de loyauté dont le cœur des Bourbons est le sanctuaire, et l'histoire inexorable flétrirait à jamais leurs noms.

Ce fut une pensée toute française, Messieurs, que celle qui inspira au roi législateur cette disposition qui, détruisant les usages de l'Empire et de la Révolution, prescrivit que les fonctions de député devaient être gratuites. Ainsi le retour des Bourbons, après de si longs orages, ramenait les esprits en France vers ces sentiments d'honneur et de désintéressement, caractère distinctif de la noble patrie.

Cette pensée recevra tout son développement, Messieurs, lorsque, par la proposition que nous avons l'honneur de vous soumettre, la carrière des places ne s'ouvrira plus que rarement et à de grandes distances pour les députés. Ces habitudes de désintéressement passeront dans nos mœurs parlementaires, avec le charme tout puissant qu'elles reçoivent de nos antiques traditions ; acquérant par le temps une nouvelle énergie, elles viendront féconder dans la génération qui s'élève ces sentiments d'honneur si naturels aux Français.

Oui, Messieurs, le gouvernement représentatif en France doit reposer sur l'honneur, c'est la condition de son existence et de sa durée. Si Montesquieu reparaissait au milieu de nous, cet immortel écrivain nous redirait encore ce qu'autrefois il a dit à nos pères : « L'honneur est le plus ferme appui de la puissance et le meilleur moyen d'en empêcher l'abus. »

L'honneur est le ferme appui de la puissance, parce qu'il diminue le poids de l'obéissance en la rendant plus volontaire en lui ôtant ce caractère de servitude qui la signale dans toutes les contrées que régit le despotisme.

L'honneur est le meilleur moyen d'empêcher l'abus de la puissance, parce que si, lorsqu'elle franchit ses limites naturelles, il ne lui oppose aucune résistance proprement dite, cependant il l'arrête d'une manière encore plus certaine en refusant de consentir à ce qu'il ne pourrait accorder sans honte: car l'honneur est alors l'expression de la conscience publique.

La monarchie ne sera donc constituée pour des destinées durables, selon l'expression d'un écrivain célèbre, qu'autant que l'honneur sortira, pour ainsi dire, de toutes les institutions dont

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