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ques d'individus, sous quelque dénomination qu'elles aient lieu, tendant à influencer la liberté des élections ou à désigner des candidats aux différents collèges électoraux de la France, soit par des assemblées préparatoires, soit par tout autre moyen, avant le jour d'ouverture des collèges électoraux fixé par l'ordonnance royale de convocation, sont formellement interdites; et les provocateurs, directeurs ou membres de ces réunions ou comités seront punis conformément aux trois premiers paragraphies de l'article 42 du Gode pénal.

M. de Pina a la parole pour développer son amendement.

M. de Pina. Messieurs, je consulterai plutôt le sentiment de mon devoir que celui de mes forces, dans la grande et importante question que je viens soulever aujourd'hui.

Cependant, Messieurs, je me rassure sur les sentiments de loyauté qui ont été annoncés et hautement proclamés de tous les bancs de cette Chambre. Nous avons tous répété que nous voulions, que nous appelions de tous nos vœux des élections franches et loyales, qui fussent l'expression de la pensée et des besoins de nos concitoyens.

Et effectivement, si les honorables amis avec lesquels je siège ordinairement ont contesté comme inutiles ou dangereuses quelques-unes des dispositions de la loi sur laquelle vous n'avez pas encore prononcé définitivement, ils ont adopté avec empressement toutes les précautions qui leur ont paru nécessaires pour mettre les listes électorales à l'abri des influences illégales de l'administration.

Mais les élections ne peuvent-elles être influencées d'une manière illégale que par l'administration; ou des coteries plus ou moins imprudentes, plus ou moins coupables, ne peuventelles pas acquérir sur les collèges électoraux une influence dangereuse? Telle est la question que je viens vous soumettre, et soumettre à la France entière: deux circonstances principales ont motivé ma détermination.

Nous avons vu, depuis quelques mois, se renouveler, dans différentes provinces, des fédérations parfaitement organisées, sous le nom de comités électoraux. Leur but avoué dans des statuts ou des circulaires imprimées, est non seulement d'exercer un contrôle injurieux sur les actes de l'administration légale (qui seule appartient au roi), mais d'effrayer par des menaces et des poursuites juridiques ceux des électeurs qui ne veulent pas se soumettre à leur influence usurpée ; ces comités correspondent entr'eux ils demandent à leurs affidés des subventions pécuniaires : ils ont une caisse en un mot, ils ont la volonté et les moyens d'être hostiles.

Nous avons vu, dans la capitale, des réunions dites préparatoires, dont l'organisation systématique a du paraître bien extraordinaire à ceux qui sont habitués à respecter les lois, et dont les séances ont offert des scènes propres à effrayer ceux mêmes qui avaient provoqué ces rassemplements, s'ils n'ont pas complètement oublié les terribles leçons que la Révolution a données aux agitateurs des peuples.

La France monarchique et religieuse s'est émue de ces symptômes alarmants, et a accusé l'impuissance des lois. Le ministère n'a pu dissimuler ses inquiétudes : et des hommes sinistres ou follement imprudents n'ont pas caché leurs espérances cruelles.

Cependant quelques orateurs répondent, avec dédain, aux salutaires avertissements que nous cherchons à donner et à nos concitoyens et au gouvernement, que nos justes craintes ne sont que l'expression des regrets et du désespoir de l'ancienne administration.

Les plus polis de ces orateurs ajoutent seulement qu'une révolution n'est point à redouter, parce que quelques hommes marquants, qui paraissent exercer une grande influence sur l'opinion, ne veulent pas une secousse politique, et ont même des intérêts positifs tout opposés.

Mais le bon sens des provinces, cet instinct de conservation des sociétés humaines, répond victorieusement à cette manière évasive et injurieuse de repousser nos raisonnements, appuyés sur des faits positifs. Ce bon sens des provinces ne fut jamais soumis aveuglément aux influences morales de l'ancienne administration; et puisqu'on nous force de pousser des attaques personnelles, vous me permettrez, j'espère, Messieurs, de déclarer à cette tribune que je suis exempt, autant que tout autre au monde, des influences de cette administration aucienne: je n'ai point brigué sa faveur; je ne convoite pas ses dépouilles. Que l'on cesse donc de répéter une objection trop banale, et qui n'a pas même le mérite de l'épigramme. (Voix à droite: Très bien, très bien !)

Ce n'est point l'ancienne administration, ce n'est point une terreur de commande, mais l'expérience des choses qui m'apprend à me méfier des desseins de la Révolution,malgré les assurances qu'on nous répète. Mais remarquez, Messieurs, que si j'inculpe l'intention d'un parti, je n'inculpe pas la sincérité des individus. Je sais que, par la marche naturelle et inévitable des événements, les individus sont toujours emportés au delà de leur volonté par le parti auquel ils appartiennent. Les imprudents législateurs de 1792 ne voulaient sans doute pas le régime de la Convention, et les Girondins ne voulaient pas non plus le règne de la Terreur, quoiqu'ils aient été bientôt forcés d'en partager les excès et le châtiment. Le Moniteur, ce répertoire si incommode pour certaine opinion, m'apprend que la Révolution a toujours eu une marche astucieuse, et un masque hypocrite. Sans celte précaution, elle n'eût pas obtenu de si déplorables succès! (Sensation.)

Si de ces considérations générales je descends aux réunions illicites que je voudrais prévenir, la notoriété publique m'apprend qu'une réunion a peu près pareille à celle dont je signale le danger avait précédé et provoqué l'élection de Grégoire, en 1819; je dis une réunion à peu près pareille, car je retrouve avec douleur parmi les membres d'un des nouveaux comités électoraux, plusieurs des principaux fauteurs de cette élection fameuse, qui, certes, ne représentait nullement les intérêts moraux du pays! Je remarque cette coïncidence parce qu'elle est un fait: et je déplore cette double erreur de quelques-uns de mes compatriotes.

Mais, sans m'appesantir sur les moyens personnels de conviction, j'en appelle à une vérité constante, et non contestée. Dans toute réunion formée sous l'auspice des passions politiques, ne sont-ce pas toujours les hommes les plus ardents qui parviennent à prendre l'ascendant, et à diriger les autres? Ces réunions, ces comités doivent ĕtre essentiellement hostiles pour conserver la vie et l'existence: ils doivent être hostiles, pour fournir un aliment et une pâture à une foule d'hommes ardents, auxquels quelques talents, beaucoup d'orgueil, une demi-aisance, et l'exemple de fortunes gigantesques produites par nos secous

ses politiques, ont donné des prétentions excessives, sans moyen de les satisfaire.

Ces comités seront donc hostiles, et le sont déjà et comment cette tendance naturelle n'existerait-elle pas, puisque dans les grandes comme dans les petites situations, à Paris comme dans les provinces, l'opposition est devenue malheureusement un métier lucratif! (Interruption à gauche.)

M. de Corcelles. Voyez sur le banc des ministres... (Agitation.)

M. le Président. La Chambre me permettra de lui rappeler qu'il convient à sa dignité comme à la liberté des opinions que le plus grand calme régne dans ses délibérations, et que l'orateur ne soit point interrompu... (Le silence se rétablit.)

M. de Pina. On nous objecte encore que, si nous n'approuvons pas l'existence, la couleur et la tendance des comités électoraux, nous pouvons et devons en constituer de semblables: mais je m'étonne de l'imprudence de ces paroles. Si un pareil conseil était suivi, il ne tiendrait à rien moins qu'à préparer les dissentions civiles les plus funestes, et à établir dans chaque ville deux corps distincts munis d'abord de plumes et de papier timbré, mais bientôt peut-être d'armes plus meurtrières. Au reste, Messieurs, il n'en serà pas ainsi, les royalistes, tout empressés qu'ils sont de profiter des institutions créées ou concédées par nos rois, ne veulent point d'autre administration que l'administration légale. C'est de cette dernière seule qu'ils attendent protection et sûreté, et voilà pourquoi ils la veulent forte et tutélaire. (Adhésion générale à droite.)

On nous cite cependant l'exemple de l'Angleterre, où les élections se font, dit-on, à la vue des bannières des différents compétiteurs, et où les luttes des hustings n'effrayent pas les esprits. Mais comment l'orateur instruit dont je réfute l'opinion affecte-t-il de confondre des situations opposées? Quel est celui qui ignore qu'en Angleterre, les élections tumultueuses de Londres et de quelques autres villes ne sont, en quelque sorte, qu'une exception à la règle commune? quel est celui qui ignore que les élections de la Gran le-Bretagne sont dominées, dans leur très grande majorité, par l'influence de la couronne et d'un petit nombre de familles puissantes?

Une voix à gauche : Par les bourgs pourris...

M. de Pina. Je n'ai plus, Messieurs, que peu de réflexions à ajouter aux précédentes.

Les réunions ou associations politiques sont tellement opposées à l'esprit de nos lois que l'Assemblée législative elle-même, par une loi du 6 octobre 1791, interdit formellement à toute société quelconque de citoyens d'exercer aucune action sur les actes des autorités constituées, de s'annoncer sous un nom collectif. Les codes qui nous régissent ne tolèrent pas davantage ces réunions, et les punissent comme illégales. Si nos codes exigent une autorisation royale pour l'établissement de certaines compagnies ou associations purement industrielles, comment toléreraient-ils des compagnies ou associations politiques?

Si quelques esprits se sont effrayés à la vue d'un petit nombre de prêtres vertueux réunis pour prier ou pour enseigner, par cela seul que les congrégations d'hommes ne sont pas autorisées, que dira-t-on de ces congrégations politiques et hos

tiles qui vont couvrir la France si nous n'y apportez un remède?

Je dis qu'elles vont couvrir la France; et en effet l'hypocrisie de la peur existe réellement la peur, que font déjà ces associations politiques à des hommes honnêtes, mais faibles de caractère, les en gage à s'enrôler (malgré le cri de leur conscience) sous des bannières qui leur paraissent justement redoutables. Ces hommes faibles espèrent acheter le repos en se mettant à la suite des agresseurs, et celte disposition, malheuresement trop cominune, explique les progrès apparents de certaines opinions que je combats. Voilà l'hypocrisie de la peur telle qu'elle est dans la vérité.

Au reste, Messieurs, veuillez bien remarquer que je n'appelle point le glaive des lois contre les membres de ces comités ou assemblées préparatoires. Les peines que je propose sont peu cruelles, et propres seulement à avertir des compatriotes égarés. (On rit à gauche.) Je veux empêcher des imprudents d'allumer un incendie, par suite duquel ils seraient ensuite consumés.

J'insiste sur l'amendement que j'ai eu l'honneur de présenter a la Chambre.

M. le général Mathieu Dumas. Messieurs, la proposition de l'honorable préopinant est inconstitutionnelle. (Mouvemeut négatif à droite.) Oui, Messieurs, elle est inutile et vaine dans son objet; elle est tout à fait étrangère à la loi que vous discutez.

Elle est inconstitutionnelle, car l'honorable membre a fait une fausse application de l'article 271 du Code pénal; il voudrait assimiler les réunions d'électeurs aux sociétés illicites, même aux sociétés qui ne peuvent se rassembler pour s'occuper d'objets littéraires, à des jours marqués et d'une man ère périodique, qu'avec l'autorisation légale: il prétend soumettre les réunions d'électeurs à cette précaution. Messi urs, les électeurs qui se rassemblent en quel que nombre que ce puisse être, dans quelque maison particulière que ce soit, pour se consulter, pour s'éclairer mutuellement sur le choix de leurs mandataires ne font rien que la loi ait prohibé. Ainsi on ne pourrait les obliger à demander l'autorisation de l'autorité qu'en violant l'immu ité du domicile; et, vous le savez, pour me servir de l'expression d'un de nos plus eloquents orateurs, la vie privée est murée.

Voix à droite Il s'agit de la vie politique!

M. Mathieu Dumas. Messieurs, il s'agit de la vie privée; c'est une assemblée de famille dans laquelle on traite les plus graves et les plus ch rs interêts de la société. Il y a donc inconstitutionnalité dans la proposition qui vous est faite.

Comme on s'est appuyé de l'exemple des élections de Paris pour motiver la plus étrange proposition que puisse entendre une assemblée de représentants de la nation... (Des murmures s'élèvent à droite.)

M. de Puymaurin. Nous ne sommes pas

en 93!

M. Mathieu Dumas. Vous êtes les délégués de l'élite de la nation; vous avez éte envoyés ici par les électeurs; vous y êtes pour votre part comme élement essentiel de la legislature, ainsi que les autres pouvoirs constitués; par consé

quent, vous êtes les représentants de la nation. Les dénominations d'ailleurs n'ont aucune valeur. Vous ne parviendrez pas à exhumer le spectre de 93.

Voix à gauche: Bravo! bravo!

M. Mathieu Dumas. J'ai lieu de m'étonner des murmures qui se sont élevés, lorsque j'ai dit que c'était une étrange proposition que celle qui a pour objet de violer le domicile, et de prétendre que les électeurs, rassemblés pour examiner quels sont les candidats les plus dignes de leurs suffrages forment des réunions dangereuses? Comment! des pères de famille, les principaux propriétaires d'une commune, se rassemblent pour aviser à l'exécution de la loi la plus importante, et on considérera ces assemblées comme dangereuses; on supposera que leurs débats peuvent produire quelque agitation! Non, Messieurs, cela. est impossible.

Je reviens ici à ce que j'avais à dire sur les élections de Paris, lorsque j'ai été interrompu. J'ai vu de près ces élections puisque j'ai eu l'honneur d'être élu par le collège du premier arrondissement électoral de Paris. C'est donc le témoignage d'un témoin occulaire que je vous apporte: je vais rétablir des faits qui ont été dénaturés. Je puis assurer que dans une assemblée du premier arrondissement de Paris, il n'y a pas eu la moindre interruption. (On rit.) On a écouté en silence différentes propositions qui ont été faites sur les divers candidats; on a attaqué le candidat avec toutes les convenances possibles; chacun a pu répondre librement, aucun n'a dû être embarrassé des objections qui lui étaient faites; l'assemblée s'est séparée dans le plus grand calme; on aurait pu, à cinq pas de là, ignorer qu'il y avait eu une assemblée aussi nombreuse, occupée d'aussi grands intérêts. Voilà ce qui s'est passé dans cet arrondissement. Quant à ce qui s'est passé dans d'autres maisons particulières, je n'en puis rendre un témoignage aussi précis; mais je vois que toutes ces élections ont eu lieu conformément à la loi. Jamais peut-être on n'a vu plus d'ordre, plus de régularité; jamais il n'y a eu une satisfaction mutuelle mieux prononcée entre les présidents nommés par le gouvernement et les assemblées électorales; jamais députés n'ont été nommés par des votes plus librement, plus secrètement exprimés, et tous à une immense majorité.

J'ai dit que la proposition était inutile et vaine dans son objet. En effet, espérerait-on arrêter les progrès de la raison publique, la maturité de l'opinion, qui, par sa seule force expansive et non réactionnaire, a, sans efforts, renversé les barrières, les obstacles, péniblement, criminellement élevés entre le trône et la nation?

Voix à gauche : Très bien !

M. Mathieu Dumas. Messieurs, reposons nous sur des idées plus consolantes; espérons qu'enfin on évitera de rallumer les passions. Pourquoi se plaindre de ce que les électeurs sont de plus en plus instruits par une fâcheuse expérience; lorsqu'ils ont vu une administration tyrannique, attaquer avec des armes mensongères le principe vital de la monarchie représentative? Espèrera-t-on nous ramener à l'époque où le succès était facile, où l'on ne se plaignait pas des réunions électorales, où l'on ne parlait pas de les punir, parce que celles-là on ne les regar

dait pas comme coupables et qu'elles se tenaient sous l'égide des autorités constituées. (Vive sensation.)

Je suis dispensé, je crois, de répondre à ce qu'a dit l'honorable préopinant sur le degré de pénalité.

J'ai dit enfin que la proposition était tout à fait étrangère à la loi que vous discutez, et je n'ai pas besoin de le prouver, car on serait fort embarrassé d'indiquer un seul rapport entre cette proposition et la loi sur les listes électorales. Le préopinant a profité de cette occasion pour faire la philippique que vous avez entendue; mais il n'a point indiqué le plus petit point par lequel on puisse rattacher cette proposition à la loi. Je pense d'ailleurs, Messieurs, que le gouvernement du roi, qui a montré tant de franchise et de loyauté dans la discussion de la loi, verrait avec un vif déplaisir déparer le monument de sagesse qu'il a élevé de concert avec vous, par une proposition aussi hétérogène, aussi essentiellement contraire aux principes qui vous ont guidés dans toute cette discussion. (Mouvement d'adhésion.)

M. de Laboulaye. Je pourrais commencer par répondre à l'honorable préopinant que la proposition de M. le marquis de Pina, loin d'être étrangère à la loi, s'y rapporte directement. Car quel est le but de la loi ? n'est-ce pas de prévenir toute espèce de fraude, et dans la confection des listes et dans les élections? L'auteur de la proposition a cru voir dans les associations d'électeurs, des moyens d'influencer les élections. C'est à cette influence qu'il a voulu s'opposer. Son article n'est donc pas aussi étranger à la loi qu'on l'a supposé. Je viens donc, Messieurs, appuyer l'amendement que vous a proposé notre honorable collègue, M. le marquis de Pina, avec un changement seulement de rédaction qui pourrait le rendre plus précis, et vous soumettre des considérations pressantes qui me paraissent en devoir déterminer l'adoption.

Des opinions si opposées ont été émises sur ce sujet à cette tribune, que vous me pardonnerez si je me livre à quelques développements. Ils sont indispensables, et si je me vois à regret forcé de replacer sous vos yeux de tristes souvenirs, dans une matière aussi délicate, je garderai, j'espère, une telle mesure, que la vérité seule ressortira d'une discussion que l'on ne pouvait éviter, et dans laquelle il fallait enfin s'expliquer sans dé

tour.

C'est votre raison que je veux convaincre, votre cœur que je veux toucher.

J'ose solliciter toute votre attention, L'amendement qui vous est déféré, en respectant le vote libre et spontané des électeurs, et même en permettant le jour même de la convocation des collèges des réunions préparatoires, laisse, sous les réserves prévues par les lois, la faculté aux divers candidats de publier les titres et les motifs sur lesquels ils appuient leurs prétentions à la candidature, et la liberté aux journaux de les répandre et de les discuter.

Son but unique est d'empêcher la calomnie, de prévenir l'emploi de tout moyen illégal d'influence exercé d'avance sur les élections, et surtout d'interdire à jamais ces réunions électorales formées tout à coup sur divers points de la France par des pouvoirs inconnus, réunions dont je cherche vainement la sanction et dans le texte et dans l'esprit de la Charte, mais dont je trouve la pro

hibition formelle dans plusieurs articles précis de nos lois.

Réunions cependant publiquement avouées, dirigées par des présidents, des secrétaires, des scrutateurs nommés on ne sait par qui, où des faits et des questions politiques ont été discutés; Réunions enfin dont la seule apparition a suffi pour jeter l'effroi dans l'âme de beaucoup de citoyens paisibles, qui n'ont pu oublier encore tout ce que de semblab es assemblées ont amené jadis de malheur à leur suite.

Je suis loin d'attaquer les intentions de ceux des membres de cette Chambre qui ont cru pouvoir défendre ici la légalité et le principe de ces réunions, sans examiner jusqu'où un pareil précédent, une fois admis, pouvait nous conduire.

Je leur accorderai même qu'il est des temps où une préoccupation involontaire, des ressentiments plus ou moins vifs, des craintes plus ou moins légitimes, peuvent entraîner d'abord les meilleurs esprits bien au delà du but qu'ils voulaient atteindre; qu'avec des vues droites et louables, si vous voulez, il est possible de s'abuser sur le résultat de certaines démarches dont on n'a pas assez calculé toute la gravité.

Mais le législateur, toujours en garde contre ces premiers mouvements, doit en peser mûrement toutes les conséquences. L'expérience du passé lui révèle infailliblement l'avenir; et qui ne sait que dans ce cercle presqu'infini des misères humaines on ne pourrait, même aujourd'hui, prétendre seulement au triste mérite de la nouveauté !

Or, et c'est ici, Messieurs, que j'en appelle à toute votre loyauté dites-moi, je vous prie, comment a-t-elle commencé cette Révolution dont on ne peut écarter le salutaire mais important souvenir?

N'est-ce pas par des assemblées électorales formées et maintenues illégalement; et n'est-ce pas au sein de l'assemblée électorale de Paris qu'est née cette exécrable commune, dont tous les pas ont été souillés de sang?

Les temps ne sont plus les mêmes,a-t-on dit: les hommes sont bien changés, ils comprennent bien mieux leurs véritables intérêts; ils n'ont plus le temps d'être séditieux, ils ont toute autre chose à faire, et les lumières répandues dans toutes les classes de la société sont le gage de l'union, de la sécurité et de la paix. Qui pourrait ne pas aimer le roi, où trouverait-il un ennemi? et ne serait-il pas un monstre celui qui, pour réaliser des rêves insensés, oserait seulement concevoir la pensée de porter la plus légère atteinte aux droits sacrés de l'auguste dynastie qui nous gouverne?

Les temps sont bien changés, Messieurs. Et pour qui donc sont-ils changés, je vous prie?

Est-ce pour vous, parmi lesquels je ne vois que d'honorables citoyens, qui, par leur éducation et leurs lumières, autrefois comme aujourd'hui, pouviez prétendre au rang social où vous vous trouvez placés? Est-ce pour le peuple, qui aujourd'hui comme autrefois est obligé de chercher son bien-être au milieu des plus rudes travaux et des sacrifices les plus pénibles?

Les temps sont bien changés; et quels étaient donc ces malheurs qui pesaient alors sur la France? Des guerres furieuses dévoraient-elles ses enfants; des calamités publiques avaient-elles dévasté ses provinces; la verge de fer d'un tyran pesait-elle sur le royaume; ces préjugés de la vieille féodalité, de ces temps si éloignés de nous et qui ne peuvent revenir, courbaient-ils ses ha

bitants, sans défense, sous les fers de mille tyrans subalternes; cette brillante capitale, enfin, n'offrait-elle plus que l'aspect de là destruction et de la mort?

Qui de nous, Messieurs, oserait ici le dire?

La Providence n'avait-elle pas alors placé sur le trône le plus juste et le plus miséricordieux des princes? N'est-ce pas lui qui rappela ces parlements qui s'étaient fait les avocats et les défenseurs du peuple? N'avait-il pas aboli la question, adouci les corvées, supprimé le servage, encouragé les arts, protégé l'industrie, la navigation, l'agriculture et le commerce? Dans un voyage récent, et qu'une de nos plus belles provinces se rappelle encore avec attendrissement, n'avait-il pas partout recueilli les plus unanimes témoignages de vénération et d'amour?

Eh bien ! c'est lorsque la France entière retentit de cris de joie et d'espérance; c'est lorsque tous les cœurs saluent avec ivresse les prémices d'un règne qui, sans nos fureurs, durerait peut-être encore; c'est dans le moment où ce saint roi s'occupe avec tant de zèle et de persévérance du bonheur de ce peuple, « de ce peuple dont on dit que suis aimé, s'écriait-il quand on veut me consoler de mes peines; » c'est là l'instant où se forme cette Révolution que nous avons vue et que nous hésitons à croire; cette Révolution que nos enfants ne comprendront jamais, et dont on parviendrait peut-être à douter aujourd'hui, si elle n'avait entraîné l'Europe comme la France dans de longues et si effroyables calamités.

Dira-t-on, Messieurs, que le roi-martyr était moins aimé de son peuple que notre roi Charles X? et cependant tel fut l'effet de la terreur inspirée par des assemblées factieuses et illégales de cette époque, que soixante mille habitants armés de cette capitale, qui naguère encore avaient tous jurés de le servir, le virent silencieusement passer devant eux sans que le bras d'un seul se soit levé pour le défendre. (Vive sensation.)

Les temps sont bien changés. Sans doute, ils sont changés, mais comment? Où sont maintenant ces croyances religieuses si profondément enracinées dans le cœur des hommes; cet esprit de hiérarchie si éminemment conservateur de l'ordre; cette foi politique qui ne pouvait admettre même un doute sur le principe de la légitimité et de la perpétuité du trône dans la famille auguste de nos rois? Celui qui alors aurait prédit la catastrophe dont nous avons été les témoins, n'aurait-il pas été traité de visionnaire et d'insensé; et ceux-là même qui ne voulurent que de salutaires réformes purent-ils jamais prévoir tout ce qu'elles nous coûteraient? Ah! croyons-le, pour leur honneur et pour celui de l'humanité, il n'en est aucune sans doute qu'ils eussent voulu acheter à ce prix.

On prétend que nous sommes plus éclairés à présent. Mais, Messieurs, sont-ce des idiots, sont-ce des ignorants qui l'ont préparée, qui l'ont faite cette Révolution? sont-ce même des malheureuses victimes du despotisme et de l'arbitraire?

Ouvrez nos sanglantes annales, vous y verrez des noms illustrés par tout ce que la naissance, la science et la fortune ont de plus distingué; et le peuple, ce peuple, qu'on semblerait en accuser, n'y prit jamais d'autre part que celle de se ruer indistinctement sur tous ceux qu'on ap. pelait ses ennemis.

Le roi n'en a plus, nous dit-on. Sans doute, il ne saurait en avoir. Mais un gouvernement quel qu'il soit n'en a-t-il pas toujours ? N'y a-t-il plus

en France d'esprits remuants, de gens mécontents de leur sort, d'ambitieux déçus, de novateurs insensés ? N'y a-t-il plus de souvenirs amers, ni d'espérances coupables? Qui pourrait ici le prétendre, et se refuser à l'évidence des faits?

Messieurs, je le dis avec vérité, loin de moi de vouloir jamais offenser personne; qui pourrait lire dans ma pensée n'y trouverait qu'un profond désir d'une réunion durable et sincère, et, certes, je ne désespère pas que nous y parvenions. Mais serai-je injuste si je vous rappelle qu'après tant d'événements divers, tant de constitutions, qui devaient être éternelles et qui n'ont duré qu'un jour, tant de serments prodigués et oubliés tour à tour, des esprits graves, méditant sur les diverses formes de gouvernement qui ont passé successivement sous nos yeux, ont pu se livrer, sans intentions coupables, à des plans plus ou moins séduisants, plus ou moins spécieux ?

Serai-je injuste, si j'affirme que tous n'ont pas salué la Restauration avec les mêmes cris de reconnaissance et de joie? (Mouvements en sens divers.)

Pouvons-nous nier, enfin, que des tentatives réitérées, et des actes publics n'aient signalé la haine que plusieurs portaient à cette Restauration?

Et cependant, Messieurs, qui pourrait méconnaître ses bienfaits? Les crimes de la Révolution, elle les pardonne; les fatales erreurs d'une autre époque, elle les oublie, et ne répond à ses plus ardents adversaires qu'en leur laissant toute liberté de se plaindre sans qu'elle cherche à les en punir. Elle se venge d'eux en leur présentant la Charte, pacte fondamental, base de nos devoirs politiques, garant de nos droits, et qui, dégagé de ces principes arbitraires et destructeurs qui avaient jusqu'à elle infecté nos constitutions éphémères, nous assure tout ce que la bonté et la justice de Louis XVI nous préparait: la paix, et la liberté légale la plus étendue dont aucun peuple ait jamais joui sur la terre. Toutefois, cette Charte que nous avons juré de maintenir; cette Charte, Messieurs, à laquelle nous ne sommes pas moins profondéinent attachés que ceux qui se prétendraient plus exclusivement constitutionnels, qui la protégera efficacement sinon le roi, dont le frère nous l'a donnée, qui l'a jurée luimême, et dont l'intérêt est de l'affermir? qui la défendra sinon les autres pouvoirs établis par elle, pouvoirs dont elle seule garantit l'existence publique et l'influence salutaire?

Souffrir qu'il se forme à côté d'eux un pouvoir nouveau, quelque nom innocent dont il se pare et pour quelque cause que ce soit, n'est-ce pas déclarer que ce qui existe ne suffit plus? n'estce pas sortir évidemment du cercle légal et constitutionnel pour se créer ailleurs des moyens de protection et de défense? n'est-ce pas eufin détruire de fait la confiance que la France a et doit avoir en son gouvernement?

Or, ce gouvernement, Messieurs, notre premier devoir n'est-il pas de le maintenir dans toute la force de son intégrité, car si le peuple a besoin de sa liberté, il a besoin encore plus d'être gouverné, incapable qu'il est, quoiqu'on en puisse dire, de discerner par lui-même les limites où s'arrête ces libertés et où commence la licence, premier et terrible degré de l'anarchie.

Or ici, je vous le demande, à quoi peuvent meuer ces réunions, ces assemblées que je combats? quel en peut être le résultat, sinon de soulever des passions qu'il faudrait calmer; de susciter des dissentiments et des souvenirs que nous devons éteindre! Sommes-nous donc tout à coup

devenus si prudents et si sages, que ces associa tions ne puissent produire aucune fermentation parmi tant d'esprits divers qui les composent ; si assurés d'être toujours obéis passivement par elles, qu'elles s'arrêteront juste au point où l'on aura voulu poser la limite?

Quel est leur but? de protéger nos institutions et nos libertés! Eh! Messieurs, il y avait aussi des réunions et des associations politiques en 91, en 92 ont-elles soutenu la Constitution jurée par elles à cet époque ? ont-elles prévu le 13 vendémiaire; empêché le 18 fructidor, et sauvé la République et le Directoire? Dominatrices au dehors, ont-elles jamais pu se gouverner ellesmêmes, et n'est-ce pas au nom de la liberté qu'elles ont fait peser sur ce peuple, si fier, le plus honteux et le plus tyrannique esclavage!"

De prévenir la fraude dans les élections? mais les dispositions si précises, si minutieuses contenues dans la loi, les concessions si larges qui vous ont été faites sur tout ce qui pourrait laisser à l'administration le plus léger moyen d'influence ou de partialité, n'y 'ont-elles pas abondamment pourvu ?

D'éclairer le choix des électeurs? Ah! de bonne foi, vivons-nous dans un temps où la lumière soit sous le boisseau ? tous les hommes ne sont-ils pas maintenant connus pour ce qu'ils valent? Grâce au Moniteur, aux journaux, aux biographies, qui peut se dire ignoré, et quelles révélations nouvelles avons-nous reçues sur tant de candidats, dont les titres ont été vérifiés dans les comités électoraux récemment formés sur divers points de la France? Les apologies imprimées que ces candidats avaient pris soin de répandre ne suffisaient-elles pas ? et parmi toutes ces apologies, dites-moi s'il en est une seulement qui daigne nous rappeler quelques actes de dévouement et de fidélité au roi? Singulier procédé convenez-en, qui, sous une monarchie, ne se prévaut que des services rendus à la République et à l'Empire! (Sensation à droite.)

Il me semble pourtant, Messieurs, que dans l'ordre légal et constitutionnel le roi est bien quelque chose; et puisque l'on aime si franchement la Charte, doit-on oublier celui qui peut le plus efficacement la défendre? car, soyez-en bien couvaincus, si la Charte est nécessaire, indispensable au trône, la royauté légitime n'est pas moins nécessaire, indispensable à la Charte.

Toutes deux se prêtent un mutuel secours; et retirer à notre pacte fondamental et sa royale origine et son royal appui, ce serait en saper les bases, en préparer la ruine, et je n'aurais qu'un mot à prononcer pour en donner la preuve.

Quant aux candidats sur lesquels ces réunions semblent destinées à appeler la lumière, certes, tant d'honorables adversaires que nous voyons sur ces bancs, et qui ne se sont pas cru forcés de recourir à de semblables moyens, prouvent assez qu'il n'en était pas besoin pour les désigner aux suffrages de leurs concitoyens. Ainsi que je l'ai déjà dit, l'esprit d'association, bon sans doute dans les affaires privées, dans les affaires publiques, essentiellement et inévitablement critique et novateur, agissant en dehors des pouvoirs légalement institués, ne fut jamais et ne peut être qu'une source de maux.

Messieurs, nous sommes tous propriétaires, presque tous pères de famille. Ce que notre économie, notre industrie, nos pères nous ont acquis ou légué, nous voulons le transmettre à nos enfants; qu'une si longue et si cruelle expérience nous serve du moins à quelque chose. Ne

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