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DES ATTEINTES ET ATTENTATS AUX MŒURS

EN DROIT CIVIL ET PÉNAL

ET

DES OUTRAGES

AUX BONNES MOEURS

PRÉVUS ET PUNIS PAR LES LOIS DU 29 JUILLET 1881 ET 2 AOUT 1882

ÉTUDE PHILOSOPHIQUE, LITTÉRAIRE, ARTISTIQUE

ET JURIDIQUE

PAR

M. P. FABREGUETTES

PREMIER PRÉSIDENT A LA COUR D'APPEL DE TOULOUSE

Ancien Procureur général à Nîmes et Lyon,

Officier de la Légion d'honneur,

Membre de l'Académie des Sciences, Inscriptions et Belles-Lettres de Toulouse.

PARIS

LIBRAIRIE MARESCO AÎNÉ
CHEVALIER MARESCQ ET Cie, ÉDITEURS

20, RUE SOUFFLOT, 20

1894

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Extrait des Mémoires de l'Académie des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse, 9o série, tome V, année 1893.

DES ATTEINTES ET ATTENTATS AUX MEURS

EN DROIT CIVIL ET PÉNAL

ET DES

OUTRAGES AUX BONNES MOEURS

Prévus et punis par les lois du 29 juillet 1881 et 2 août 1882

CHAPITRE PREMIER.

SECTION I.

DES ATTENTATS AUX MŒURS ET EN PARTICULIER DE L'OUTRAGE PUBLIC A LA PUDEUR AU THÉATRE.

L'ancienne législation punissait, avec une grande sévérité, tous les actes contraires à la pudeur et aux mœurs.

Confondant l'acte immoral et le délit, elle avait compris, dans ses nombreuses incriminations, toutes les actions honteuses, tous les actes de libertinage que la morale condamne, alors mème que, soigneusement cachés au public, ils n'avaient d'autre effet que de dégrader leur auteur dans le for intérieur '.

Le Code pénal de 1810, modifié par les lois des 28 avril 1832 et 13 mai 1863, n'a déféré aux tribunaux que les faits immoraux, dont la répression importait, véritablement, à la société.

1. Voir Chauveau et Hélie, Théorie du Code pénal, t. IV, nos 1502 et suiv.

Sous la rubrique d'attentats aux mœurs, il a réprimé 1° l'outrage public à la pudeur; 2° l'excitation à la débauche ou à la corruption des mineurs; 3o l'attentat à la pudeur, sans violence, lorsqu'il est commis sur un enfant de moins de treize ans, ou lorsqu'il est commis par un ascen dant sur un mineur, même âgé de plus de treize ans, mais non émancipé par le mariage; 4° l'attentat à la pudeur avec violence; 5o le viol; 6o l'adultère; 7o la bigamie.

C'est à ces actes, qui, seuls, portent à autrui un dommage visible et appréciable, que le législateur a attaché une pénalité 1.

RÈGLE. Tous ces attentats supposent une action physique, un fait matériel, accomplis, soit par des actes proprement dits, soit par des gestes. L'outrage par paroles lubriques, les expressions grossières, impudiques, les injures renfermant des indécences ne rentrent pas dans ces attentats. Ils constituent un délit d'une nature particulière, l'outrage aux bonnes mœurs, que nous retrouverons plus loin, prévu par l'article 28 de la loi du 29 juillet 1881 2.

1. Voir Chauveau et Hélie, loc. cit., no 1508.

2. Tribunal de Nantes du 19 décembre 1890 :

Ainsi jugé dans des circonstances de fait que la décision expose suffisamment :

« Attendu que le délit prévu par l'article 330 du Code pénal ne peut résulter que d'un acte matériel commis par le prévenu, et que s'il n'est pas nécessaire que cet acte ait blessé la pudeur d'une personne déterminée il est au contraire indispensable qu'il soit de nature à choquer par lui-même la pudeur de ceux qui auraient pu l'apercevoir fortuitement;

« Qu'un acte, auquel on ne serait amené à reconnaître un caractère déshonnête, qu'à condition d'entendre les propos grossiers tenus à une personne déterminée par son auteur, ne pourrait en conséquence constituer le délit d'outrage public à la pudeur, au moins s'il n'était pas établi en fait que les propos incriminés ont été proférés de manière à pouvoir être entendus fortuitement par une personne autre que celle à laquelle ils étaient tenus;

« Que, dans l'espèce, l'attitude attribuée au prévenu par les dames X..., c'est-à-dire le fait de s'être promené dans un lieu public, les mains jointes par devant à la hauteur de la braguette du pantalon,

Par suite, l'article 330 du Code pénal n'atteint pas les filles publiques qui, accostant un homme dans la rue, se bornent

ne peut être considérée comme constituant en lui-même le délit d'outrage public à la pudeur;

« Qu'on pourrait peut-être aller jusqu'à décider qu'une attitude de cette nature, prise brusquement par un homme au moment où il s'adresserait à une femme, constituerait ce délit, parce que le geste fait par cet homme pour la prendre, rapproché de l'acte matériel d'une interpellation adressée à une femme, serait de nature à révéler, à tous ceux qui pourraient en être fortuitement témoins, le but déshonnête poursuivi par lui;

<< Qu'il en est tout autrement lorsque, comme dans l'espèce, le prévenu a conservé, pour adresser la parole à une femme, une attitude qu'il avait pu prendre précédemment, sans intention mauvaise ou peut-être même inconsciemment;

« Qu'il faut alors reconnaître qu'en principe, les propos tenus par le prévenu ne peuvent modifier le caractère naturel de son attitude; « Que si l'on pouvait en droit proclamer un principe contraire on se trouverait en fait dans l'impossibilité de l'appliquer;

« Que décider effectivement que les propos n'ont pu être entendus que par la personne interpellée serait reconnaître implicitement qu'ils n'avaient pu en rien modifier l'opinion de toutes les autres personnes qui auraient pu remarquer l'attitude du prévenu, et que, par suite, l'outrage incriminé n'a pas eu et n'aurait pu avoir le caractère de publicité exigé par la loi;

« Qu'au contraire, décider que les propos ont été proférés assez haut pour être entendus par une personne autre que celle à laquelle ils étaient adressés c'est reconnaître qu'ils constituent, s'ils sont de nature à offenser la pudeur ou les bonnes mœurs, le délit spécial prévu par l'article 28 de la loi du 29 juillet 1881, dont les tribunaux correctionnels n'ont pas le droit de connaître ;

« Qu'en l'espèce, le Tribunal ne pourrait décider que les propos incriminés modifient le caractère de l'attitude prêtée au prévenu sans apprécier le caractère de ces propos et, par suite, sans juger indirectement le délit d'outrage aux bonnes mœurs par discours publics;

« Qu'au reste, le ministère public lui-même, après avoir déclaré que les débats ont enlevé, suivant lui, aux actes incriminés le caractère délictueux qu'ils lui semblaient d'abord avoir, a demandé au Tribunal de disqualifier le délit et de ne retenir que les propos, en faisant au prévenu application de l'article 28 de la loi du 29 juillet 1881; << Mais attendu que s'il est vrai que les propos incriminés peuvent, dans les conditions indiquées par la loi précitée, constituer le délit relevé à l'audience par M. le Procureur de la République, il est non moins certain que ce délit est, aux termes mêmes de cette loi, de la compétence de la Cour d'assises;

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