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DIVERSITÉ D'OPINIONS. OBJECTIONS.

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la paix soit troublée, et il n'y a pas de paix sans justice; nous devons donc faire parvenir au roi de Naples le vœu du congrès pour l'amélioration de son système de gouvernement, vœu qui ne saurait rester stérile, et lui demander une amnistie en faveur des personnes qui ont été condamnées, ou qui sont détenues sans jugement pour délits politiques.

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M. le comte Orloff, plénipotentiaire russe, fit observer que les pouvoirs dont il avait été muni ayant pour objet unique le rétablissement de la paix, il ne se croyait pas autorisé à prendre part à une discussion que ses instructions n'avaient pas pu prévoir.

M. le comte de Buol, plénipotentiaire autrichien, après avoir parlé des sujets étrangers à la question italienne, ajouta : qu'il lui serait impossible de s'entretenir de la situation intérieure d'États indépendants qui ne se trouvaient pas représentés au congrès. Les plénipotentiaires n'avaient, selon lui, reçu d'autre mission que celle de s'occuper des affaires du Levant, et il n'était ni régulier, ni possible d'agrandir leur rôle. M. de Manteuffel, représentant de la Prusse, parla dans le même sens, et fit observer au congrès qu'en agitant la question italienne, prématurément et sans mandat, on s'exposait à faire appel aux entreprises des révolutionnaires italiens qui attendaient peut-être un prétexte. S'expliquant toutefois à l'égard du gouvernement pontifical, comme il convenait à un luthérien, le plénipotentiaire prussien exprima le désir qu'il fût possible de placer le pape dans des conditions qui rendraient désormais superflue l'occupation des États romains par des troupes étrangères.

M. de Cavour demanda que cette opinion fût prise en grande considération. Il exposa que l'occupation des provinces de l'Église, par les troupes autrichiennes prenait tous les jours davantage un caractère permanent, et que la présence des soldats allemands dans les Légations et dans le duché de Parme détruisait l'équilibre politique en Italie et constituait un véritable danger pour les États sardes. M. le baron de Hubner s'étonna de ce que M. de Cavour se plaignît de l'occupation des Marches et de Bologne par les armées autrichiennes et gardât le silence sur la présence des troupes françaises à Rome. M. de Cavour répondit qu'il souhaitait également le départ du corps expéditionnaire français, mais que la présence de cette faible troupe, au cœur de l'Italie, et dans un état d'isolement, neconstituait pas, pour l'indépendance italienne, une menace aussi sérieuse, aussi directe que pouvait le faire l'occupation de la plus grande partie des villes et des provinces pontificales par des garnisons autrichiennes, toujours en communication directe avec leur pays, et alors que l'Autriche, souveraine du Milanais et de la Vénétie, ne voyait dans les Légations et dans les Marches que des annexes de ses possessions italiennes. La discussion, pour le moment, pas d'autres suites; mais elle fit pressentir, pour un avenir prochain, des événements décisifs.

n'eut

XLI

Les plénipotentiaires sardes, en effet, ne se tinrent nullement pour battus par le refus d'adhésion que

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leur avait opposé la majorité du congrès; le 16 avril, ils adressèrent au comte Walewski et à lord Clarendon, c'est-à-dire à la France et à l'Angleterre, une note conçue en ces termes :

« Les soussignés, plénipotentiaires de S. M. le roi de Sardaigne, remplis de confiance dans les sentiments de justice des gouvernements de France et d'Angleterre, et dans l'amitié qu'ils professent pour le Piémont, n'ont pas cessé d'espérer, depuis l'ouverture des conférences, que le congrès de Paris ne se séparerait pas sans avoir pris en considération sérieuse la condition de l'Italie, et pourvu aux moyens d'y porter remède, en rétablissant l'équilibre politique, troublé par l'occupation d'une grande partie des provinces de la Péninsule par les troupes étrangères. Assurés du concours de leurs alliés, ils répugnent à croire qu'une autre puissance, après avoir montré un intérêt si vif et si généreux pour le sort des chrétiens d'Orient, appartenant à la race slave et à la race grecque, refusât de s'occuper de peuples de race latine, encore plus malheureux, attendu qu'en raison du degré de civilisation avancée qu'ils ont atteint, ces peuples sentent plus vivement les conséquences d'un mauvais gouvernement. Cette espérance a été déçue. Malgré le bon vouloir de la France et de l'Angleterre, malgré leurs bienveillants efforts, la persistance de l'Autriche à demander que les discussions du congrès demeurassent étroitement circonscrites dans la sphère des questions qui avait été tracée avant sa réunion, a été cause que cette assemblée, sur laquelle sont tournés les regards de toute

l'Europe, va se séparer, non-seulement sans qu'il ait été apporté le moindre adoucissement aux maux de l'Italie, mais encore sans que l'on ait fait luire pour l'avenir, au delà des Alpes, un seul rayon d'espérance propre à calmer les esprits et à leur faire supporter le présent avec résignation. La position spéciale occupée par l'Autriche au sein du congrès rendait peut-être inévitable ce déplorable résultat. Les soussignés sont forcés de le reconnaître. Aussi, sans adresser le moindre reproche à leurs alliés, croientils devoir appeler leur sérieuse attention sur les conséquences fâcheuses que cela peut avoir pour l'Europe, l'Italie, et surtout la Sardaigne. Il serait superflu de tracer ici le tableau exact de l'Italie; ce qui se passe dans ces régions depuis nombre d'années n'est que trop notoire. Le système de compression et de réaction violente inauguré en 1848 et 1849, justifié peut-être à son origine par les troubles révolutionnaires alors comprimés, dure sans le moindre allégement. On peut même dire qu'à quelques exceptions près, il est suivi avec un redoublement de rigueur. Jamais les prisons et les bagnes ne furent plus encombrés de condamnés pour cause politique; jamais le nombre des proscrits ne fut plus considérable; jamais la politique ne fut plus durement appliquée. Ce qui se passe à Parme le prouve surabondamment. De tels moyens de gouverner doivent nécessairement maintenir les populations dans un état de constante irritation et de fermentation révolutionnaire. Telle est la situation de l'Italie.

« Toutefois, en ces derniers temps, l'agitation po

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pulaire semblait s'être calmée. Les Italiens, voyant un des monarques nationaux coalisé avec les grandes puissances occidentales pour faire triompher les principes du droit et de la justice et pour améliorer le sort de leurs coreligionnaires en Orient, avaient conçu l'espérance que la paix ne serait pas faite sans apporter un adoucissement à leurs maux. Cette espérance les a rendus calmes et résignés. Mais, lorsqu'on connaîtra les résultats négatifs du congrès de Paris, lorsqu'on saura que l'Autriche, nonobstant les bons offices et l'intervention bénévole de la France et de l'Angleterre, s'est refusée à toute discussion et qu'elle n'a pas voulu même se prêter à l'examen des mesures opportunes pour remédier à un si triste état de choses, il n'est pas douteux que l'irritation assoupie se réveillera avec plus de violence que jamais. Convaincus qu'ils n'ont plus rien à attendre de la diplomatie ni des efforts des puissances qui s'intéressent à leur sort, les Italiens s'incorporeront avec une ardeur méridionale dans les rangs du parti révolutionnaire et subversif, et l'Italie sera de nouveau un foyer ardent de conspirations et de désordres qui seront peut-être réprimés par un redoublement de rigueurs, mais que la moindre commotion européenne fera éclater de la manière la plus violente. Si un état de choses aussi fâcheux mérite de fixer l'attention des gouvernements de France et d'Angleterre, également intéressés au maintien de l'ordre et au développement régulier de la civilisation, il doit naturellement préoccuper au plus haut point le gouvernement du roi de Sardaigne. L'éveil

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