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1856-1858)

ORGANISATION DE L'ARMÉE ANGLAISE.

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ronne; lord Lyndhurst, homme éminent par le savoir et l'expérience, protesta au nom des prérogatives de la chambre; on invoqua des précédents qui remontaient à Richard II et à Henri VIII et qui n'étaient guère concluants: le gouvernement admit que la mesure, par elle-même, était assez peu constitutionnelle, mais il déclara qu'elle était d'une incontestable utilité. Le parti conservateur refusa son appui au ministère, dans cette circonstance, et, à la majorité de trente-trois voix, la nomination de sir Parke (lord Wensleydale) fut déclarée illégale. De longs pourparlers s'ensuivirent; on eut recours à des atermoiements, et le ministère sauva la prérogative de la couronne, en renonçant, pour cette fois, à une mesure contestée, et en réservant la question pour l'avenir. Le parlement anglais, jaloux de ses droits, voyait avec une douleur mêlée de déception, les souffrances qu'endurait en Crimée l'armée de la reine et les graves lacunes que présentait l'organisation militaire de la Grande-Bretagne, comparée à celle de la France et de plusieurs autres peuples. Des enquêtes furent prescrites qui n'aboutirent à aucun résultat sérieux. Un orateur des Communes, M. Roebuck, déplora éloquemment cette situation : « Une armée, disait-il, quand elle est loin de sa patrie, se sent néanmoins toujours protégée par elle. Un vaillant soldat peut tomber sur le champ de bataille; sa consolation est qu'il sera regretté et pleuré par cette patrie pour laquelle il meurt. Mais le soldat qui est tombé en Crimée, il a succombé, lui, à la faim, au froid, à la maladie. Son intrépide courage a été brisé par

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l'abandon, et il est mort en disant que son pays l'oubliait. Ne laissez point un pareil sentiment prendre possession de vos armées ; ne leur laissez point croire que vous ne vous occupez que d'affaires de portefeuilles et que vous ne vous inquiétez point d'elles. Le jour où cette pensée désespérante se sera emparée du cœur de vos soldats, alors, malheur à vous et malheur à l'Angleterre! » L'opinion publique, émue au récit des calamités qui avaient décimé les troupes de la Grande-Bretagne, dans la campagne d'Orient, cherchait la cause de ces misères dans le favoritisme qui faisait surgir le mal, dans l'habitude de confier à des amis politiques et non aux hommes vraiment capables tout ce qui regardait la santé, la nourriture, l'entretien du soldat. Pour ne pas humilier l'Angleterre devant l'Europe, on obtint que M. Roebuck retirerait sa motion; mais le commandant en chef de l'armée anglaise se démit de ses fonctions et eut pour successeur le duc de Cambridge qui avait pu observer en Crimée les côtés défectueux de l'organisation militaire de son pays. Le général de Lacy Evans ne se contenta pas de cette mutation dans la direction des affaires de l'armée; il demanda à la chambre des communes la suppression du système d'achat des grades d'officiers, au moyen duquel se recrutait, depuis Charles II, l'état-major des troupes britanniques. Cet étrange système était incarné dans l'armée anglaise; ni le gouvernement ni les chambres n'osèrent faire disparaître un pareil abus; mais la question fut mise à l'étude, et c'était déjà une première concession faite à l'égalité et à la justice.

1856-1858]

TRAITÉ DE PARIS.

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Lorsque les clauses du traité de Paris furent livrées à la publicité, l'opinion publique, en Angleterre, vit avec déplaisir les graves et salutaires modifications qui venaient d'être introduites par le congrès dans les errements anciens en cas de guerre maritime. Plus d'armements en course, plus de blocus fictifs, plus de droit de saisie des marchandises ennemies à bord des navires neutres! La vieille Angleterre s'indigna de ces concessions; la jeune Angleterre y vit un hommage rendu à la liberté des mers et aux vrais principes. De vives réclamations se firent entendre dans le parlement, et lord Colchester, mécontent de l'abandon des priviléges tyranniques dont son pays avait été si longtemps investi, se plaignit de ce que les ministres eussent osé biffer, d'un trait de plume, une partie des prérogatives de la Grande-Bretagne. Les ministres se justifièrent avec énergie et se félicitèrent d'avoir travaillé, au nom de l'Angleterre, à diminuer les misères de la guerre et à établir parmi les nations une paix cordiale. Lord Derby ne voulut point s'associer à leur joie : il exprima une douleur profonde d'avoir vu les plénipotentiaires du congrès de Paris désarmer en quelque sorte la marine anglaise, en limitant son action à l'égard des neutres : « Lord Clarendon, s'écria-t-il, a signé sa capitulation de Paris! » Cette apostrophe était plus éloquente que vraie. La majorité, dans le parlement, en jugea ainsi et se prononça en faveur des ministres.

BIST. CONTEMP.-T. VIII.

20

II

Les affaires de l'extrême Orient commençaient alors à éveiller en Europe de graves préoccupations. Le schah de Perse, secrètement encouragé par la Russie, avait fait attaquer Hérat, dont les Anglais avaient garanti la possession à Dost-Mohamed, leur allié et le chef du Caboul. L'Angleterre, considérant cette démonstration comme un acte d'hostilité dirigé contre elle, y répondit par des armements et par l'envoi d'une escadre dans le golfe Persique. Sur ces entrefaites, des voix, qui eurent de l'écho au sein même du parlement, accusèrent les agents du gouvernement anglais dans les Indes d'employer, pour assurer la rentrée des impôts, un odieux système de tortures contre les contribuables indigènes. Un cri d'indignation se fit entendre, au nom de l'humanité outragée, et l'on promit de mettre un terme à ces odieux abus (1).

(1) Voici, d'après les pétitions des habitants de Madras, présentées à la chambre haute par lord d'Arbermale, une énumération des tortures infligées aux contribuables hindous récalcitrants :

Privation de nourriture et d'eau ;

Empêcher le patient de dormir;

Attacher autour du cou un collier de matières dégoûtantes;

Obliger un homme à se tenir debout, en lui faisant porter de grosses

pierres sous les bras;

Frapper la tête de deux patients l'une contre l'autre.

Attacher ensemble, dans une position difficile à garder, deux per

sonnes l'une à l'autre, en entrelaçant leurs cheveux;

Attacher un homme par les cheveux à la queue d'un âne et le faire parader dans les rues;

1856-1858]

LA PERSE ET L'INDE.

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Ce n'étaient là que les préludes d'une situation plus grave. L'année suivante (1857), l'Inde anglaise fut le théâtre d'une insurrection soudaine, qui mit en péril la domination britannique dans ces parages de l'Asie. On eût dit que les représentants de l'Angleterre, au lieu de faire aimer cette domination, travaillaient à froisser, à irriter, à soulever les indigènes, et à les mettre dans la nécessité de briser le joug. Depuis dix ans, on méconnaissait à plaisir les droits de ces races vassales. On jetait le défi à leurs lois, à leurs usages, à leurs traditions nationales.

III

Qu'on nous permette ici d'entrer dans des détails destinés à éclairer le lecteur sur la situation de l'Inde anglaise à l'époque dont nous esquissons le récit.

Suspendre un homme par les bras liés derrière le dos;

Le jeter dans un puits ou une rivière, jusqu'à ce qu'il soit à moitié noyé ;

Suspendre un homme par les talons à un arbre;

Attacher un homme à un arbre et ses jambes à un autre;

Exposer le patient au soleil, avec ordre de ne pas bouger, et les cheveux rasés;

Suspendre un homme à un arbre par le poignet, et le fouetter pendant qu'il est en l'air ;

Attacher un homme à un arbre et l'étouffer à moitié en faisant du feu dessous;

Renfermer un insecte ou reptile dévorant dans une noix de coco percée, qu'on applique à une partie sensible du corps;

Serrer un membre avec un câble pour empêcher la circulation;
Placer la victime dans une fourmilière de fourmis rouges;

Pincer les doigts avec un bambou fendu;

Attacher des chiffons autour des doigts et lesmettre au feu, etc., etc.

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