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La république des États-Unis refusa d'admettre une disposition dont la conséquence, en cas de luttes, devait être fatale pour eux : «< en effet, leur marine militaire était relativement très-inférieure à celle des autres puissances: en renonçant à leur droit d'armer des corsaires et de courir sus aux navires marchands de leurs adversaires, ils abandonnaient leur commerce sans défense. >>

Les États-Unis ont eu, depuis cette époque, l'occasion de faire contre eux-mêmes un terrible usage de ce droit de course qu'ils maintenaient alors, avec une certaine logique, mais qui n'en répugne pas moins aux instincts généreux des peuples modernes.

Une autre question de droit maritime les mêla trèsdirectement, et d'une façon importante, aux démêlés des nations européennes. Ils prirent l'initiative dans l'affaire du Sund.

Depuis plusieurs siècles, le Danemark prélevait des droits de péage sur les navires qui franchissaient, pour entrer dans la Baltique, les détroits du Sund, du GrandBelt et du Petit-Belt. Les droits du Danemark n'avaient d'autre base légale que des traités passés avec les différentes puissances, pour un certain nombre d'années, mais qu'on s'était habitué à renouveler constamment des considérations de plus d'une nature justifiaient cette tolérance des nations étrangères visà-vis de la nation danoise. On regardait ce tribut comme une compensation légitime des frais que le Danemark s'impose, dans l'intérêt commun, pour l'entretien des phares et la surveillance des côtes; en outre, le péage du Sund et des Belt procure au

1856-1858)

SCISSION DU NORD ET DU SUND.

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Danemark le revenu le plus considérable de son budget on ne pouvait l'en priver sans compromettre gravement les moyens d'existence de ce petit État dont l'indépendance a une importance pour tous.

Les États-Unis, moins soucieux que les puissances européennes de la prospérité du Danemark, déclarérent qu'au mois d'avril 1856, terme auquel expirait le traité qui les liait vis-à-vis de lui, les navires américains franchiraient les détroits sans se soumettre, comme par le passé, au droit de péage. Dans certaines parties de l'Allemagne, en Prusse surtout, par un sentiment que des événements postérieurs ont suffisamment expliqué, l'attitude du cabinet de la MaisonBlanche provoqua une visible satisfaction.

Mais le gouvernement de Copenhague sentit la gravité de la question: il opposa aux prétentions américaines un appel énergique adressé à tous les cabinets de l'Europe, et cet appel fut entendu.

En 1857, une commission d'agents spéciaux, rassemblés à Copenhague décida, pour les nations européennes, qu'elles se rachèteraient du droit de péage moyennant une indemnité proportionnelle accordée au Danemark: le gouvernement de Washington, entraîné par cette attitude unanime, poussé aussi par le calme bon sens de ses nationaux qui continuaient de payer, sans protester, cet impôt consacré par l'usage, céda enfin et consentit aussi, lui, à accorder une indemnité de rachat motivée par les dépenses que coûtait au Danemark l'intérêt général de la navigation.

XXXI

Les questions de politique extérieure, si importantes qu'elles fussent, étaient à la veille de passer au second rang dans les préoccupations de l'Union américaine. C'était au mois de mars 1857 qu'elle devait installer à la Maison-Blanche un nouveau président. L'année 1856 se passa dans les agitations électorales au milieu desquelles on cherchait un successeur à M. Pierce.

Deux grands partis, jusqu'à l'avénement de ce dernier président, avaient représenté les diverses fractions de l'opinion dans la république des États-Unis : le parti démocratique, ou parti conservateur, préoccupé avant tout de maintenir les droits locaux des divers États et le parti whigs, plus soucieux des questions générales, souhaitant de faire triompher dans toute la république ses doctrines progressistes. Mais ni l'un ni l'autre de ces partis n'avait encore été l'expression de passions géographiquement déterminées, c'est-à-dire restreintes à tel ou tel point du territoire : il y avait en un mot des whigs et des démocrates également dans les provinces du Nord comme dans celles du Sud.

Un grand problème social devait trancher plus nettement les nuances de l'opinion: le fléau de l'esclavage était pour la grande république une plaie dévorante : elle a failli devenir mortelle à son unité.

Une fois la lutte engagée sur cette question de l'affranchissement des esclaves, le parti whig se trouva, par la force des événements, scindé en deux groupes

1856-1858)

ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE.

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distincts; d'une part, il se fondit, dans le Sud, avec l'ancien parti démocratique, défenseur des libertés territoriales; d'autre part il se réunit, dans le Nord, au parti républicain, expression d'une force centralisatrice encore inconnue dans la société des États-Unis.

Démocrates et républicains, il importe, dès maintenant, d'indiquer le sens précis de ces deux mots au delà de l'Atlantique: l'un désigne les décentralisateurs; l'autre, les autoritaires; le premier représente, avant tout, la liberté locale; l'autre s'efforce de représenter la généralisation de la liberté morale. On peut comprendre, en se pénétrant de ce contraste entre deux principes rivaux et pourtant nés d'un but commun, quelles fluctuations ont dû, aux États-Unis et en Europe, agiter, pendant la guerre civile dont l'esclavage a été l'occasion, tant d'esprits généreux en présence de ces deux camps où l'on s'armait également au nom de la liberté.

Au moment où M. Pierce allait se retirer de la présidence, on attendait du vote qui allait nommer son successeur une crise décisive, un mouvement vers un ordre de choses nouveau dans la république ; on ne demandait plus : « Le président sera-t-il whig ou démocrate? » on demandait déjà : « Le président serat-il démocrate ou républicain? » ce qui au fond voulait dire « La république continuera-t-elle d'exister sous la forme fédérative, ou va-t-elle se transformer dans la forme unitaire? >>

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Jamais les élections pour la présidence n'avaient présenté une telle animation. Les partis s'attaquaient avec un acharnement déplorable on eut le triste

BIST. CONTEMP. T. VIII.

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spectacle de scandales et d'intrigues qui souillèrent la plupart des réunions électorales et les organes de la presse l'insulte, la calomnie, la menace, les moyens les plus bas et les plus violents furent mis en œuvre par les différentes sectes politiques.

A la dernière heure, deux rivaux se trouvaient en présence: M. Buchanan, représentant du parti démoeratique, et le colonel Frémont, représentant du parti républicain.

M. Frémont fut, de la part de ses adversaires, pendant plusieurs mois, l'objet d'inqualifiables outrages. Les pamphlets, les meeting, les journaux l'accusaient de faux, de vol, de mœurs dissolues: on allait même jusqu'à insulter la mémoire de sa mère dont le nom était accolé à des épithètes déshonorantes sur des bannières publiquement promenées.

Il faut dire que les partisans de M. Frémont né respectaient pas davantage M. Buchanan : ils le traînèrent jusqu'en plein théâtre par les allusions les plus transparentes et les plus blessantes.

Heureusement l'histoire n'a point à épouser les misérables querelles qui agitent les partis, en retraçant, dans l'éloignement des temps et des lieux, la physionomie de deux rivaux politiques; ce qui la préoccupe, ce ne sont pas les défaillances de leur caractère ou les erreurs de leur jugement; elle veut ignorer les petits côtés de leur vie privée, ceux sur lesquels la polémique aime à s'acharner, pour ne choisir que les grands traits de leur vie publique et juger ainsi comment ces hommes ont pu, tel ou tel jour, conquérir les sympathies ou s'attirer les haines de leurs compatriotes.

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