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agitations, en écartant plus d'une difficulté léguée par le passé.

Au dehors, les questions pendantes depuis le traité de Paris étaient en partie résolues par la diplomatie; rien ne semblait devoir troubler la marche habituelle des affaires, quand un odieux attentat vint effrayer la France et jeter le trouble en Europe.

Dans la soirée du 14 janvier 1858, au moment où l'empereur et l'impératrice descendaient de leur voiture, à la porte de l'Opéra, une effroyable détonation se fit entendre des curieux qui stationnaient devant le théâtre, des soldats de l'escorte et de la garde de Paris tombaient sous une grêle de mitraille. Les assassins, toutefois, avaient manqué leur but; l'empereur était sain et sauf : le général Roguet, assis en face de lui et de l'impératrice, était seul blessé au cou.

La nouvelle, immédiatement répandue dans Paris, y produisit une immense émotion; la foule remplit aussitôt la place du Carrousel : elle attendait silencieuse. Tout à coup, des flambeaux éclairent la cour des Tuileries on rapporte les soldats blessés, on les installe dans une des salles du rez-de-chaussée; la foule attend encore; elle sait que l'empereur est resté à l'Opéra elle veut assister à son retour.

Cependant, Napoléon III était entré dans sa loge: il est calme en apparence; l'impératrice contient aussi son émotion qui se trahit cependant aux regards des spectateurs troublés eux-mêmes. Ce soir-là, on donnait une représentation à bénéfice des acteurs de différents théâtres y prenaient part. Quand le rideau seleva, madame Ristori parut : elle jouait Marie Stuart.

1856-1858]

ATTENTAT D'ORSINI.

439

Bouleversée par les sentiments que faisait naître dans son cœur un involontaire rapprochement entre les événements historiques, dont elle allait être l'interprète, et l'événement terrible qui venait de se passer, la grande actrice avait peine, dit-on, à contenir ses larmes : une électrique commotion passait des artistes aux spectateurs; on sentait, on devinait que la tragédie qui venait de s'accomplir dans la rue n'était que le premier acte d'immenses événements!

Vers minuit, l'empereur revint aux Tuileries: lorsqu'il parut au guichet de l'Échelle, une acclamation unanime s'éleva des rangs pressés de la foule : les opinions les plus diverses s'effaçaient pour ne laisser place qu'à l'horreur de l'assassinat.

On avait appris que l'attentat était l'œuvre d'étrangers la conscience publique en fut soulagée. Jamais acte ne fit naître, dans toutes les classes de la population, de plus sinistres pressentiments. Ce crime italien, on le sentait, allait modifier profondément toute notre politique, politique intérieure et extérieure.

Le 16 janvier, le nonce du pape présenta à l'empereur et à l'impératrice les condoléances du corps diplomatique. Le président du sénat, M. Troplong, dans un discours peut-être un peu trop métaphorique pour la circonstance, dénonça l'hospitalité que recevaient, en pays étranger, les fauteurs d'attentats. « C'est, disait l'éminent magistrat, de ces citadelles extérieures, dressées contre l'Europe au milieu de l'Europe, que sont envoyés des sicaires fanatiques chargés de lancer le fer et le feu sur le prince qui

porte de son bras puissant le bouclier de l'ordre européen. » Le président du Corps législatif exprima les mêmes sentiments : « Les populations, dit-il, voyant d'abominables attentats se préparer au dehors, se demandent comment les gouvernements voisins et amis sont impuissants à détruire ces laboratoires d'assassinat, et comment les saintes lois de l'hospitalité peuvent s'appliquer à des bêtes féroces. >>

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De toutes parts les adresses affluèrent celles des colonels, insérées dans le Moniteur, sefirent remarquer par une vigueur de langage qui suscita de graves difficultés diplomatiques entre la France et l'Angleterre.

Dans l'une de ses réponses aux grands corps de l'État, le 16 janvier, l'empereur avait déclaré que, << tout en étant décidé à adopter des mesures jugées nécessaires, il ne sortirait pas des voies de fermeté et de modération qu'il avait suivies jusqu'alors ». Ces paroles furent accueillies avec faveur mais sans étonnement, car l'instruction judiciaire établissait que l'attentat avait une origine exclusivement italienne. Cependant, certaines circonstances, qui échappèrent aux investigations des publicistes, firent prévaloir une politique beaucoup plus sévère. Malgré les adresses sans nombre qui manifestaient l'indignation universelle, de rigoureuses mesures de police furent arrêtées. Le 18 janvier, dans le discours d'ouverture de la session législative, l'empereur disait : « Le danger n'est pas dans des prérogatives excessives, mais dans l'absence de lois répressives...>

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1856-1858]

MESURES CONTRE LA PRESSE.

441

Ce jour même, un décret contre-signé par M. Billault, ministre de l'intérieur, supprimait la Revue de Paris et le Spectateur (l'ancienne Assemblée nationale). Dans le rapport qui motivait ce décret, le ministre déclarait «< que le gouvernement de l'empereur était, comme le fut longtemps celui de Guillaume III d'Angleterre, dans le cas de légitime défense, et qu'il ne voulait pas plus se laisser miner sourdement par les habiletés de la plume, qu'attaquer violemment par les brutalités sauvages des conspirations ». Peu de jours après, le territoire de l'empire était divisé en cinq grands commandements militaires, qui avaient leur siége à Paris, Nancy, Lyon, Toulouse et Tours.

Par cette création empruntée à d'autres époques, le gouvernement organisait une vigoureuse défensive on semblait croire que le complot d'Orsini avait des ramifications dans plusieurs régions de la France. Mais rien, plus tard, ne vint justifier cette conjecture.

ou,

L'attentat du 14 janvier avait fait naître une grave question si l'empereur eût succombé, en quelles mains aurait été remise la régence? Par lettres patentes du 1er février, elle fut déférée à l'impératrice à son défaut, aux princes français, suivant l'ordre d'hérédité de la couronne. Un conseil privé fut constitué, avec adjonction des deux princes français les plus proches du trône. Ce conseil, composé d'hommes investis de la confiance du souverain, devait être consulté sur les grandes affaires de l'État et se préparer, de la sorte, «< au rôle important que l'avenir pouvait lui réserver ».

Toutes ces mesures, prises coup sur coup, avaient excité une certaine émotion dans le pays : elle fut portée à son comble par la démission de M. Billault et la nomination du général Espinasse au ministère de l'intérieur et de la sûreté générale. Le choix, pour ce poste, d'un militaire dont le nom rappelait l'un des épisodes les plus significatifs du coup d'État de décembre 1851, provoqua, en France comme à l'étranger, les commentaires les plus passionnés. Le gouvernement avait demandé au Corps législatif un crédit supplémentaire de douze cent mille francs pour les fonds secrets on en conclut que la police, comme sous le premier empire, allait jouer un rôle prépondérant dans la politique. Ces craintes cependant étaient exagérées. Si, parmi les amis dévoués du gouvernement, quelques-uns poussaient aux mesures excessives, d'autres, en plus grand nombre, soutenaient qu'une telle politique aurait pour résultat infaillible d'exaspérer les esprits et d'accroître les inquiétudes : Il ne fallait point, disaient-ils, fournir aux ennemis de l'empire de prétextes spécieux pour affirmer que le gouvernement impérial est inconciliable avec la liberté. Ces observations consciencieuses, présentées par des hommes dont le dévouement ne pouvait être suspect, exercèrent, paraît-il, une certaine influence, et le projet de loi, avant d'être envoyé au Corps législatif, fut amendé dans une de ses dispositions les plus graves.

Le projet fut vivement attaqué, dans les séances des 17 et 18 février, par MM. d'Andelarre, Émile Ollivier et Plichon : il fut défendu par MM. Granier de Cas

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