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1856-1858]

LE GÉNÉRAL ESPINASSE MINISTRE.

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sagnac, Richer et Baroche, président du conseil d'État. Les adversaires de la loi la combattaient à la fois au point de vue politique et par des arguments empruntés aux principes généraux du droit. - Qu'avait besoin le gouvernement de pareilles armes pour réprimer les complots? La législation actuelle n'étaitelle pas suffisante? Laisser à l'administration la faculté d'interner ou d'expulser des citoyens, n'était-ce pas confondre les pouvoirs judiciaire et exécutif, enlever les justiciables à leurs juges naturels? En procédant ainsi, l'on plaçait, par simple arrêté ministériel, sous le coup de l'internement ou de l'expulsion, des individus antérieurement condamnés et qui avaient subi leur peine; on créait des catégories de suspects; on violait le principe de non rétroactivité, inscrit de tout temps dans nos lois. M. Baroche combattit énergiquement ces objections. « Les révolutions successives de 1830 et de 1848, disait-il, ont été la conséquence d'imprudentes concessions, d'un respect exagéré pour les opinions de certains juristes, d'une tolérance poussée jusqu'à l'excès; l'empire doit montrer plus de fermeté. L'ordre social est en péril ; les débris des bandes armées de 1848 s'apprêtent à recommencer la lutte le gouvernement ne tolérera point les entreprises d'une minorité incorrigible; il ne demande point de lois de suspects, mais des armes pour se défendre au grand jour !

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XXXIX

De sévères mesures furent donc prises à l'intérieur après l'attentat du 14 janvier. Le cabinet des Tuileries,

persuadé que ce crime avait des ramifications à l'étranger, ouvrit des négociations, à ce sujet, avec plusieurs gouvernements voisins. Deux journaux belges, le Drapeau et le Crocodile, le jour même où éclataient les bombes d'Orsini, avaient voué, pour ainsi dire, l'empereur à la mort. De là, une note sévère insérée dans le Moniteur du 19 janvier, et, dans ce même numéro, le rédacteur officiel ajoutait : « Nous attendons la décision du gouvernement belge. » Cette décision, on le pense bien, ne se fit pas attendre : un projet de loi sur la police des étrangers fut, le jour même, présenté à la Chambre des députés de Bruxelles, et, le lendemain, le ministère présentait un autre projet de loi relatif aux crimes et délits portant atteinte aux relations internationales.

Des réclamations analogues furent adressées au Piémont et à la Suisse un journal de Turin, la Ragione, avait publié, sur l'événement du 14 janvier, une correspondance parisienne, dans laquelle on manifestait des opinions en contradiction avec le juste sentiment d'horreur que le pays ressentait contre la perverse théorie de l'assassinat politique. D'office, la Ragione fut traduite devant le jury qui l'acquitta << parce qu'une correspondance n'exprime pas l'opinion d'un journal ». Ce jugement fut dénoncé dans une note pressante de la France, et le ministre de la justice sarde dut soumettre à la Chambre des députés un projet de loi ayant pour but de réprimer les complots contre la vie des souverains étrangers.

Cette loi, toute de circonstance, fut vivement attaquée par l'opposition et mal reçue par les libé

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1856-1858) RÉCLAMATIONS ADRESSÉES A L'ÉTRANGER.

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raux piémontais. Mais, M. de Cavour persista: une alliance précieuse devait être le prix de cette loi, et il n'eut garde de compromettre, dans un débat de légiste, l'avenir qu'il rêvait dès lors pour son pays.

Dès la fin de 1857, le cabinet des Tuileries s'était adressé au gouvernement fédéral pour qu'il dénonçât à l'administration de Genève les menées des réfugiés français et italiens établis sur son territoire : l'attentat du 14 janvier rendit naturellement plus pressantes les réclamations du gouvernement impérial. Une dernière note arrivée de Paris déclarait qu'on savait la part prise au complot par les sociétés secrètes de la Suisse, et demandait à l'autorité cantonale le chiffre des réfugiés accueillis sur son territoire.

En Suisse, on le sait, le droit d'asile existe dans les mœurs encore plus que dans les lois : son sol hospitalier, depuis le seizième siècle, a recueilli les débris de toutes les tempêtes politiques ou religieuses. Depuis 1852, des réfugiés s'étaient accumulés dans les villes de la confédération, voisines de la frontière française, et ils s'y livraient à des menées hostiles, incessantes. Le gouvernement fédéral dut se décider à éloigner du canton de Genève tous les exilés français. Il lui fut plus difficile d'écarter les Italiens qui, selon la police génevoise, ne formaient point une association politique, mais une simple société de secours mutuels. Néanmoins, les commissaires fédéraux continuèrent leur enquête, et ils acquirent la preuve que cette société, étrangère, disait-on, à la politique, se composait exclusivement

d'hommes en état de porter les armes et qui s'étaient engagés à fournir douze mille fusils à Mazzini dès qu'un mouvement révolutionnaire éclaterait sur un point quelconque de l'Italie.

Genève s'exécuta, et les bons rapports de la France avec elle ne furent point troublés.

Du côté de l'Angleterre, les choses prirent une tournure plus grave. Dès le 20 janvier, des négociations diplomatiques avaient été ouvertes, au sujet de l'attentat du 14, par une dépêche de M. le comte Walewski à l'ambassadeur de France à Londres. Dans cette dépêche, écrite avec une modération irréprochable, le ministre de l'empereur affirmait simplement que c'était en Angleterre que Pianori avait formé le complot de tuer l'empereur, et à Londres que Mazzini, Ledru-Rollin, Campanella en avaient préparé l'exécution. << Certes, disait le comte Walewski, le gouvernement français ne se plaint pas que ses adversaires puissent trouver un refuge sur le sol anglais et y vivre sous la protection des lois britanniques, en restant fidèles à leurs opinions et même à leurs passions. Mais tout autre est l'attitude des démagogues établis en Angleterre. Pour eux ce n'est point assez de violer l'hospitalité en se livrant à tous les excès, à toutes les violences du langage.... Ils érigent l'assassinat en doctrine, ils le prêchent ouvertement, ils le pratiquent dans des tentatives répétées. Or le droit d'asile doit-il protéger un tel état de choses? l'hospitalité est-elle due à des assassins? >>

Ces observations furent accueillies très-favorablement de l'autre côté du détroit. Le plus accrédité

1850-1858]

ADRESSES DES COLONELS.

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des journaux anglais, le Times, déclara que la Grande-Bretagne regrettait amèrement que des fanatiques eussent pu, grâce à des idées exagérées d'hospitalité et d'indépendance territoriale, concerter et organiser, au sein même de l'Angleterre, leur infâme conspiration... le temps était venu de remédier à cet état de choses, tout en respectant les antiques traditions du pays, et de n'y plus tolérer la présence d'étrangers qui, par des actes flagrants, se mettaient au ban de l'humanité.

Enfin, lord Palmerston, si susceptible lui-même en fait de dignité nationale, n'avait rien trouvé que de convenable dans la dépêche française.

Après avoir consulté les jurisconsultes de la couronne, le ministre avait soumis au parlement un projet de bill dont la première lecture fut votée à une imposante majorité.

Un incident imprévu vint changer les dispositions de nos voisins dans les adresses de quelques colonels à l'empereur, de vives paroles s'étaient glissées : on y parlait, avec amertume, de pays étrangers où l'assassinat, aujourd'hui toléré, pouvait être demain soudoyé !

Ce langage blessa profondément l'opinion publique en Angleterre. En vain le comte Walewski, dans une dépêche à l'ambassadeur de France, affirma-t-il que ces adresses avaient été, par erreur, insérées au Moniteur; l'impression était produite, et le cabinet de lord Palmerston fut accusé de n'avoir pas suffisamment sauvegardé la dignité nationale. Sommé de déposer sur le bureau la réponse faite à la dépêche française, le mi

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