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tait de vifs mécontentements en France et à l'étranger. Le Moniteur dut parler de nouveau (1); mais ses déclarations ne donnèrent le change à personne. La certitude que la guerre était décidée régnait dans tous les esprits.

XLIII

Cependant lord Cowley s'était chargé de porter à Vienne des propositions d'arrangement, concertées entre son gouvernement et celui de l'empereur des Français. Cette démarche, qui paraissait réunir toutes les chances de succès, ayant échoué, au dernier moment, le cabinet de Saint-Pétersbourg intervint à son tour. Le 21 mars, il proposait la convocation d'un congrès dans une ville neutre. La France et l'Autriche acceptèrent la proposition, et l'on put espérer une solution pacifique. Mais l'opinion publique ne partagea point cette espérance. Ce fut sans aucun étonnement qu'on apprit à Paris que l'Autriche, assumant, avec une rare maladresse, toute la responsabilité de la guerre, venait de repousser les propositions de désarmement simultané, et d'adresser au Piémont une injurieuse sommation.

(1) Voici cette note du Moniteur, l'une des plus curieuses qui y aient été insérées :

«L'opinion publique, dans les pays étrangers, ne se rend pas un compte bien exact du régime de la presse en France. On semble trop généralement croire que les journaux sont soumis à une censure préalable, et l'on est ainsi porté à leur accorder une importance qui n'a pas de fondement. L'administration, on devrait le savoir, n'a sur la presse aucune action préven tive..........

1856-1858]

LA GUERRE DÉCLARÉE A L'AUTRICHE.

469

C'est en ce moment que les chambres françaises se réunirent. A la fin de la séance du 26 avril, M. Walewski, ministre des affaires étrangères, vint lire au Corps législatif un exposé des incidents qui avaient amené la crise extérieure. L'immense majorité des députés, interprète des vœux du pays, était, nous l'avons dit, opposée à une guerre dont il était difficile de prévoir l'issue, et dont les conséquences étaient incalculables; elle se demandait, avec anxiété, si l'équilibre européen n'en serait pas profondément ébranlé, et si l'indépendance du chef de l'Église n'y succomberait pas, au grand détriment de la paix religieuse. Par malheur, la question de guerre arrivait au parlement, résolue d'avance, pour ainsi dire, en vertu de la prérogative impériale. Ce n'était pas des conseils mais simplement des hommes et de l'argent qu'on venait demander à la chambre. Toutes les objections inspirées par le patriotisme et par la foi durent naturellement s'évanouir devant un intérêt suprême. La France était engagée par la parole du chef de l'État : il y fallait faire honneur. La nation une fois placée en face de l'étranger, il ne devait plus y avoir, chez tous, qu'un même sentiment, l'honneur du drapeau.

M. Fould, ministre d'État, avait déposé deux projets de loi ayant pour objet, l'un de porter à 140,000 hommes le contingent de la classe de 1858, l'autre d'autoriser le ministre des finances à contracter un emprunt de cinq cents millions.

La discussion du projet de loi sur la levée des 140,000 hommes eut lieu le 27 avril.

Un seul orateur, M. Émile Ollivier, prit la parole. Voici, d'après le résumé très-succinct du Moniteur,

quel fut le sens de son discours : « On s'est demandé depuis longtemps, avec anxiété, si la France conserverait la paix ou si elle s'engagerait dans la guerre. Il est regrettable que, pendant ce long espace de temps, le pays n'ait été renseigné que par les discussions du parlement anglais ou sarde, et que le Corps législatif ne soit saisi de la question qu'en présence, pour ainsi dire, des faits accomplis (1). »

Ce discours ne provoqua aucune réponse : le projet de loi fut voté à l'unanimité de 248 voix, et il n'y eut qu'un petit nombre d'observations.

La discussion sur l'emprunt fut plus animée : le débat public occupa toute une séance (30 avril).

M. le vicomte Anatole Lemercier, avant de voter pour le projet de loi, crut devoir adresser une question à MM. les commissaires du gouvernement. « En présence du respect que l'empereur a montré, jusqu'à ce jour, pour le Saint-Siége et des témoignages de son dévouement filial au Saint-Père, on hésite à manifester des inquiétudes. Mais, en présence de ce qui se prépare en Italie, les consciences catholiques se sont émues : elles craignent que les circonstances ne marchent plus vite encore que les ordres venus de France. Aussi, pour être complétement rassuré, l'orateur voudrait entendre déclarer que le gouvernement de l'empereur a pris toutes les précautions nécessaires pour garantir la sécurité du Saint-Père dans le présent, et l'indépendance du Saint-Siége dans l'avenir....

<< En ce qui concerne spécialement l'indépendance

(1) Moniteur du 29 avril 1859, col. 485.

1850-1858)

DISCUSSION AU CORPS LÉGISLATIF.

471

future des États de l'Église, l'orateur ne peut s'empêcher d'éprouver certaines appréhensions; il ne saurait admettre l'idée d'un congrès composé de cinq puissances dont deux protestantes et une schismatique, qui viendraient prononcer sur le sort du chef de 200 millions de catholiques.... Napoléon Ier disait à son ambassadeur, en l'envoyant à Rome : « Traitez avec le pape comme s'il avait 200,000 hommes. »

« L'empereur Napoléon III, ajoutait M. Lemercier, s'est montré encore plus respectueux, car il a rétabli Pie IX sur son trône, et il a envoyé dans la ville éternelle une armée française qui s'y trouve en ce moment. L'orateur espérait donc que le gouvernement n'hésiterait point à rassurer les catholiques du monde entier sur sa détermination de faire respecter, quoi qu'il pût arriver, l'indépendance et les États du SaintSiége.

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M. Baroche, après s'être étonné des doutes manifespar l'orateur, au sujet des actes du gouvernement à l'égard du Saint-Siége, n'hésita point à promettre « qu'il serait pris toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et l'indépendance du Souverain Pontife au milieu des agitations dont l'Italie allait être le théâtre (1) ».

M. Plichon, rappelant le discours prononcé peu de jours auparavant par M. Émile Ollivier, déclara que, sur un point il était d'accord avec son collègue, savoir : qu'il est intolérable, pour un pays qui a si longtemps vécu de la vie politique complète, d'en être réduit à ap

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(1) Moniteur du a mai 1859, col. 502.

prendre de l'étranger les nouvelles qui l'intéressent. » L'orateur ajouta qu'à ses « yeux, quelque chose était plus intolérable encore, c'était que des questions intéressant au plus haut degré l'avenir et les destinées du pays, fussent engagées, tranchées, au point de ne plus laisser au Corps législatif la liberté de ses résolutions ».

M. Plichon ayant ajouté que si l'on avait pu discuter le point de savoir quel intérêt avait la France à faire la guerre, une immense majorité, dans la chambre, se serait prononcée pour la négative, un grand nombre de voix, rapporte le Moniteur, protestèrent, en engageant l'honorable député à parler pour lui seul.

M. Plichon répéta son assertion : « J'ai voté, dit-il, mais avec tristesse, avec douleur, et surtout avec la conviction profonde que le gouvernement a engagé, sans nécessité, le pays dans une guerre pleine de hasards et de périls, pour des résultats au moins incertains.... En supposant toutes les difficultés de la guerre surmontées et la victoire assurée, je me demande, ajoutait l'orateur, comment on pourra reconstituer l'Italie au gré des Italiens. Dans ma conviction, le protectorat français n'y sera pas plus aimé que le protectorat autrichien: on ne saurait être révolutionnaire en Italie, et rester conservateur en France et à Rome. On ne surexcite pas l'esprit révolutionnaire sur un point sans qu'il se réveille sur tous les autres (1). »

A ce discours, fréquemment interrompu par de vives protestations, M. Baroche répondit en exposant

(2) Moniteur, loc, sup. cit.

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