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1856-1858]

GLORIEUSE DÉFENSE DE MÉDINE.

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sur ces soixante-quatre hommes huit seulement appartenaient à la race blanche; les autres étaient des soldats et des matelots nègres.

L'armée d'Al-Hadji ne comptait pas moins de quinze mille hommes bien pourvus de tout ce qui était nécessaire pour donner l'assaut. Cette armée, fanatisée par le prophète, ne demandait qu'à se ruer au combat avec tout l'élan d'une rage religieuse : elle chercha d'abord à emporter le fort par escalade les échelles furent dressées le long des murailles; le drapeau d'Omar flotta même un instant sur leur sommet; mais la mitraille, foudroyant ces hordes barbares, les fit plier: elles se retirèrent en laissant six cents hommes derrière elles.

Une seconde tentative, durant la nuit, n'eut pas plus de succès: Omar se décida à bloquer les assiégés et à les réduire par la famine. Les souffrances de la garnison et des habitants qu'elle avait recueillis devinrent horribles; les vivres et l'eau manquaient; les munitions étaient épuisées; il ne restait plus que deux cartouches par homme et deux charges pour chacune des quatre pièces de canon. Et le siége durait depuis quatre-vingt-quinze jours! Et l'on n'avait nulle nouvelle du dehors!

Pourtant des secours approchaient. Mais il semble que, dans cette expédition, tout devait avoir un caractère étrange, en dehors des lois ordinaires de la guerre.

Dans le courant de l'année 1856, l'aviso à vapeur le Guer-N'dar descendait le Sénégal, pour revenir de Médine à Saint-Louis : une fausse manoeuvre de

son pilote le jeta sur un rocher, à trois lieues environ de Médine; il ne put se dégager. Le capitaine, M. des Essarts, ne voulut cependant pas abandonner son navire; il demeura à bord avec vingt-sept hommes, et fit ainsi de l'aviso, devenu immobile, une sorte de fort au milieu du fleuve. Pour mieux défendre au besoin cette citadelle improvisée, il construisit sur la rive quelques ouvrages en terre. Durant sept mois, il se maintint dans cette position, faisant face à l'attitude hostile des populations indigènes.

Il n'avait cependant pas désespéré de remettre son navire à flot; il y parvint au mois de juin 1857: le Guet-N'dar pouvait naviguer. C'est alors que le capitaine des Essarts reçut avis de la position critique des défenseurs de Médine, et il n'hésita point à remonter le fleuve pour aller les secourir. Arrivé à un barrage de cataractes, il fut assailli d'une fusillade terrible par l'ennemi; la violence du courant emporta son navire, et, une seconde fois, le Guet-N'dar fut cloué sur des rochers; il lui fallut donc redevenir une citadelle flottante; mais, cette fois, la citadelle était assiégée.

Les tribus des Toukouleurs s'acharnèrent con trele Guet-N'dar avec autant de rage que les bandes d'AlHadji s'acharnaient contre les murs de Médine. Heureusement le navire était pourvu de forts bastingages en tôle, qui mettaient le petit équipage à l'abri des balles ennemies.

Cependant les munitions diminuaient. Le 15 juillet, M. des Essarts défendit de répondre au feu des Toukouleurs. Alors des pirogues ennemies s'avan

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MÉDINE DÉLIVRÉE.

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cèrent pour aborder l'aviso; un grand nombre de barbares, qui n'avaient pu prendre place dans les pirogues, s'étaient jetés à la nage et se rapprochaient du navire, à force de brasses. Lorsque pirogues et nageurs ne furent plus qu'à une faible distance, tout à coup le Guet-N'dar déchargea la mitraille de ses pierriers et le fleuve engloutit les assaillants. Il était temps que le Guet-N'dar reçût un appui : le 16 juillet, son équipage vit un bâtiment qui remontait le fleuve; c'était le Podor que suivait, à peu de distance, le Basilic.

Ces deux navires portaient le gouverneur du Sénégal, M. Faidherbe, accompagné d'une troupe de cinq cents hommes. M. Faidherbe, sans nouvelles de Médine, depuis le milieu du mois de juin, avait deviné ce qui se passait, et, résolûment, avec des forces insuffisantes, il arrivait pour sauver, s'il en était temps encore, l'intrépide garnison.

Il délivra d'abord le Guet-N'dar; mais, au moment où les deux navires se réunissaient, le lendemain même du jour où M. des Essarts avait si bravement repoussé l'abordage des Toukouleurs, ce digne officier mourait atteint d'une fièvre pernicieuse!

Il n'y avait pas de temps à perdre; le 18 juillet, la colonne de M. Faidherbe arrivait sous les murs de Médine; elle dut engager une lutte terrible contre les hordes d'Al-Hadji. Les barbares soutinrent le choc avec un courage fanatique, préférant se faire écraser plutôt que de reculer. Quand enfin Al-Hadji abandonna la partie, devant Médine étaient couchés trois

mille des siens. Nous avons dit à quelle extrémité la garnison était réduite.

Peut-être avons-nous un peu longuement raconté ces événements, simples épisodes de l'histoire ; mais nous croyons qu'il ne faut pas toujours mesurer l'importance des actes humains au plus ou moins de retentissement ou d'influence qu'ils ont eus dans le monde: il faut, pour leur rendre leurs véritables proportions, apprécier ce qu'ils ont coûté d'efforts à la volonté individuelle.

Après la défaite d'Al-Hadji, les nègres disaient au commandant Paul Holle : « La puissance des blancs domine celle du prophète ; il devait aujourd'hui même entrer au fort, et voilà qu'il s'enfuit... Tu nous l'avais bien dit que jamais un noir, quel qu'il fût, n'entrerait, de force, dans la demeure d'un blanc. Oui, les Français doivent être les maîtres. »

Non content d'avoir repoussé le prophète devant Médine, le colonel Faidherbe crut devoir à son tour prendre l'offensive; le Podor et le Basilic redescendirent le Sénégal et allèrent chercher des renforts. Al-Hadji s'enfuyait pendant ce temps.

Lorsque toutes les forces dont il pouvait disposer furent réunies, le gouverneur se dirigea sur la place forte de Somsom, capitale du Bondou et point dominant de tout le haut pays. Le siége fut court, bien que cette forteresse présentât des obstacles qu'eussent difficilement surmontés des troupes moins bien munies d'artillerie.

La glorieuse campagne de 1857 au Sénégal donnait un incomparable prestige à la France vis-à-vis des tri

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EXPÉDITION EN COCHINCHINE.

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bus indigènes : elle procurait, dans le présent, et pour l'avenir, elle assurait à son commerce une source de revenus qui justifient les sacrifices d'hommes et d'argent, nécessaires pour cette colonie.

Dans le but d'étendre ses relations commerciales en extrême Orient, et d'y contre-balancer la prépondérance russe et anglaise, la France, on se le rappelle, avait donné l'ordre à ses vaisseaux d'agir, de concert avec ceux de la Grande-Bretagne, en Chine et au Japon. Après le traité de Tien-Tsin, l'amiral Rigault de Genouilly reçut l'ordre de conduire en Cochinchine sa flotte renforcée de quelques navires espagnols. Une insulte faite, en 1856, à un vaisseau de la marine impériale et, postérieurement, le martyre d'un évêque espagnol décidèrent les deux cabinets des Tuileries et de Madrid à tirer vengeance de ce double méfait.

La presqu'île de Cochinchine renferme, on le sait, deux grands États: le royaume de Siam et l'empire d'Anam. Cet empire se divise lui-même en trois royaumes le Tonkin, la Cochinchine, le Cambodge. Depuis 1787, la France avait des droits sur la BasseCochinchine. L'un des rois de ce pays, secouru par les Français pendant une guerre civile, avait fait don à Louis XVI de la ville de Touranne située au fond d'une baie, dans une position avantageuse. Le 30 août 1858, la flotte alliée s'y trouvait réunie. Le lendemain, les fortifications qui en défendaient l'entrée furent emportées, et la ville, bien déchue de son ancienne splendeur, ouvrit ses portes. On fit voile, dans la première quinzaine de janvier 1859, pour

DIST. CONTEMP.

T. VIII,

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