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et celle de la vanité dans le fait suivant, rapporte avec une admiration un peu crédule par Titon du Tillet : << La veuve de Molière fit porter une grande tombe de pierre qu'on plaça au milieu du cimetière de Saint-Joseph, où on la voit encore (1732). Cette pierre est fendue par le milieu; ce qui fut occasioné par une action très-belle et très-remarquable de cette demoiselle. Deux ou trois ans après la mort de Molière, il y eut un hiver trèsfroid. Elle fit voiturer cent voies de bois dans ledit cimetière, lequel bois fut brûlé sur la tombe de son mari pour chauffer tous les pauvres du quartier : la grande chaleur du feu ouvrit cette pierre en deux. Voilà ce que j'ai appris, il y a environ vingt ans, d'un ancien chapelain de Saint-Joseph, qui me dit avoir assisté à l'enterrement de Molière, et qu'il n'était pas inhumé sous cette tombe, mais dans un endroit plus éloigné attenant à la maison du chapelain '.>>

Les intrigues amoureuses de cette veuve inconsolable se croisèrent avec une nouvelle activité. A cette époque de sa vie, on voit figurer parmi ses adorateurs un sieur Du Boulay, qui réunissait les principales vertus des amans de ces sortes de femmes, l'opulence et la prodigalité. Personne plus que mademoiselle Molière n'estimait ces qua

1. Le Parnasse français, par Titon du Tillet, in-folio, P. 320.

lités aussi accueillait-elle gracieusement celui qui en était doué. Mais comme par un excès de modestie elle se méfiait de son propre talent, elle eut recours dans cette occasion aux lumières et à l'expérience d'une honnête personne, nommée la Châteauneuf, pour savoir la conduite qu'elle avait à tenir avec ce nouvel aspirant. Cette confidente, jugeant, d'après les détails qui lui furent donnés, Du Boulay assez épris pour ne pas être trop éloigné de l'épouser, lui recommanda expressément de forcer nature s'il le fallait, mais de demeurer cruelle.

Mademoiselle Molière remplit d'abord assez bien son rôle; mais elle avait affaire à forte partie. Éclairé sur son projet par quelques mots, Du Boulay sembla très -disposé à former une union avec elle, promit même de ne laisser écouler que peu de temps avant de lui donner son nom, enfin, joua si bien la bonne foi et l'amour, qu'on le rendit heureux par anticipation. L'amante trompée vit trop tard quels pièges sont sans cesse tendus à la vertu des femmes; et, sentant qu'il fallait renoncer à l'espoir de légitimer ses faiblesses pour le perfide, elle s'en consola en le ruinant et en formant d'autres liaisons.

Une de ses camarades, mademoiselle Guyot, entretenait depuis long-temps un commerce amoureux avec Guérin d'Estriché, comédien de la même

troupe. Elle conçut le dessein de troubler cet ac→ cord et chercha à captiver l'amant de cette actrice. Heureux de trouver un prétexte pour rompre avec elle, Du Boulay, dès qu'il s'aperçut de ce manège, feignit la jalousie, et la laissa tout entière à ses nouveaux projets de conquête1.

Elle se trouva, à peu près dans le même temps, compromise, grace à deux intrigantes et à sa mauvaise réputation, dans une aventure scandaleusement romanesque. Nous abrégeons le récit qu'en fait l'auteur de la Fameuse comédienne, qui n'a rien négligé pour faire connaître à fond la moralité de son héroïne.

Un président du parlement de Grenoble, nommé Lescot, séduit par les charmes et le talent de mademoiselle Molière, qu'il n'avait jamais vue qu'au théâtre, en était devenu éperdument amoureux. N'entrevoyant aucun moyen d'arriver directement à elle, il s'adressa à une dame Le Doux, dont l'honorable emploi consistait à lever les difficultés et à rapprocher les personnes. Ce diplomate femelle, qui ne connaissait nullement mademoiselle Molière, mais qui se serait reproché toute sa vie d'avoir perdu une aussi belle occasion de faire une dupe, se rappela qu'il y avait à Paris une fille entretenue, nommée La Tourelle, qui ressemblait

1. La Fameuse comédienne, p. 41 et suiv.

parfaitement à l'idole du président Lescot. Elle fit donc espérer à celui-ci que, par ses soins et ses démarches, elle parviendrait à faire combler ses voeux. L'amoureux magistrat promit de proportionner sa générosité à son bonheur.

Madame Le Doux se concerta avec mademoiselle La Tourelle; et, après un délai de quelques jours, qu'elle feignit d'avoir consacré à vaincre la résistance de la belle, elle prévint le président que l'objet de son amour consentait enfin à se rendre chez elle le lendemain, et qu'il pourrait l'y voir et l'y entretenir tête à tête. On devine aisément que notre amant, heureux en espérance, ne fut pas le dernier au rendez-vous. La Sosie de mademoiselle Molière y arriva en affectant ses airs et ses minauderies, et fit comprendre à son adorateur combien il devait être fier de lui avoir fait vaincre l'horreur qu'elle avait pour de tels lieux. Celui-ci, enivré de bonheur et d'amour, l'invita à déterminer elle-même le tribut de sa reconnaissance; mais mademoiselle La Tourelle, laissant adroitement à sa complice le soin de dépouiller leur dupe, affecta le désintéressement et ne consentit à accepter qu'un collier d'un prix très-modique. Tant de délicatesse ravit le pauvre président. Il ne manquait pas un seul jour d'aller au théâtre, admirer mademoiselle Molière, qui remplissait alors avec talent le rôle principal de la tragédie de

Circé, de Thomas Corneille (6); mais il se gardait bien de lui parler ou même de lui adresser le moindre signe pour ne pas violer la défense qui lui en avait été faite; de peur, avait-on dit, de fournir un prétexte à la médisance des autres actrices.

Cette intrigue continua ainsi pendant quelque temps; mais, un jour que mademoiselle La Tourelle avait promis à Lescot de venir déjeuner avec lui chez madame Le Doux, elle manqua au rendezvous. Son amant, inquiet et jaloux, après l'avoir attendue une partie de la journée, se rendit le soir à la comédie, malgré les instances de la duègne, qui semblait avoir un pressentiment de la catastrophe de ce roman. Il monta sur le théâtre, pour chercher à parler secrètement à sa belle. Mademoiselle Molière ne comprit rien à ses signes et ne fit aucune attention à ses discours, croyant avoir affaire à un fou. Enfin, la pièce terminée, il la suit dans sa loge et lui adresse lès plus vifs reproches sur ce qu'elle a trompé son impatience. Mademoiselle Molière lui ayant ordonné de se retirer, sa colère éclata, et il s'emporta contre elle au point de lui prodiguer les plus injurieuses invectives devant plusieurs comédiennes qu'elle avait fait appeler; il poussa même la fureur jusqu'à lui arracher le collier qu'elle portait, et qu'il croyait être celui dont il avait fait emplette. On envoya

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