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chercher un commissaire et la garde, et le président fut conduit en prison.

Le lendemain, il en sortit sous caution, et soutint tout ce qu'il avait avancé la veille, prétendant toujours avoir eu le droit d'en agir ainsi avec une femme dont il était l'amant, et qui semblait ne lui témoigner que par le mépris sa reconnaissance pour les soins qu'il avait eus d'elle. De son côté, l'actrice outragée demandait une réparation formelle; elle fit même commencer une information, et voulut être confrontée avec l'orfèvre chez qui le président et sa maîtresse étaient allés acheter un collier. L'orfèvre déclara la reconnaître, tant sa ressemblance avec mademoiselle La Tourelle était étonnante. Cette circonstance, jointe à la célébrité galante de mademoiselle Molière, commençait à convaincre beaucoup de personnes de la véracité de l'assertion de Lescot, quand, par bonheur pour elle, on parvint à arrêter madame Le Doux, qui s'était jusque-là dérobée à toutes les recherches de la justice. Elle découvrit la retraite de sa complice, et rien ne s'opposa plus à la complète instruction de ce procès.

Une sentence du Châtelet, du 17 septembre 1675, condamna le président Lescot à faire à mademoiselle Molière une réparation verbale en présence de témoins, et les deux intrigantes à subir nues la peine du fouet devant la porte du Châtelet et

devant la maison de mademoiselle Molière, et en outre à un bannissement de trois ans de la ville de Paris.

le

Madame Le Doux subit seule son jugement, qui, sur son appel, avait été confirmé par le parlement, 17 octobre suivant. La Tourelle était parvenue à s'évader' (7). Un auteur dont le nom ne nous est pas parvenu reproduisit toutes les situations de ce roman dans un drame qui ne fut pas représenté, la Fausse Clélie. Thomas Corneille y fit aussi allusion dans sa comédie de l'Inconnu, et la présence de mademoiselle Molière, qui y remplissait un rôle, dut donner du piquant aux représentations de cette pièce (8).

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On a déjà fait remarquer que cette trame scandaleuse, que cette fille perdue chargée de représenter une autre femme et d'abuser des yeux crédules par sa ressemblance avec elle, que ce collier, une des pièces les plus importantes de ce procès, en rappellent un autre trop célèbre où le nom d'une reine infortunée se trouva injustement compromis avec ceux d'une intrigante et d'un prélat dont le rôle fut sinon celui d'un fripon, du

I. La Fameuse comédienne, p. 66 et suiv.

2. Dictionnaire des Théâtres, par Léris, 2o édit., 1763, p. 183. —Abrégé de l'Histoire du Théâtre français, par de Mouhy, 1780, t. I, p. 185.

moins celui d'une dupe imprudente. L'évasion de madame de La Motte donne encore à son histoire et à celle de La Tourelle une plus grande conformité. On se figure facilement combien l'issue de ce procès dut rendre mademoiselle Molière triomphante. Elle en ressentit d'autant plus de joie, qu'elle espéra faire croire que tous les bruits qui avaient précédemment couru sur elle n'étaient pas plus fondés. Elle continua ses poursuites auprès de Guérin, et fit valoir à ses yeux le brevet de vertu que le Châtelet venait de lui octroyer. Cet acteur, qui regardait comme une fortune pour lui de devenir son époux, abandonna mademoiselle Guyot; il parut si passionné et si soumis auprès de sa nouvelle maîtresse, et la mit dans une position si critique pour une veuve, qu'elle fut forcée, pour ne pas achever de se perdre dans l'opinion publique, de donner en toute hâte sa main à cet homme, dont l'esprit et la réputation n'avaient rien d'assez attrayant pour devoir faire renoncer au nom de Molière. Mais la grossesse prématurée dont parle la Fameuse comédienne et le penchant prononcé que lui suppose le quatrain suivant donnent l'explication de cette manière d'agir :

Les

graces et les ris règnent sur son visage;
Elle a l'air tout charmant et l'esprit tout de feu.

Elle avait un mari d'esprit qu'elle aimait peu;

Elle en prend un de chair qu'elle aime davantage 1.

Leur mariage fut célébré le 31 mai 1677'. Mais le sacrement rendit à Guérin tout son esprit de domination; et sa femme, qui voulait être applaudie en tout, n'être contredite en rien3, s'aperçut, mais trop tard, que son esclave deviendrait son maître. Peut-être commença-t-elle alors à regretter sincèrement Molière.

Elle continua de faire l'agrément de la scène jusqu'au 14 octobre 1694, époque à laquelle elle prit sa retraite avec une pension de mille livres. Retirée dans son ménage, elle y mena, disent les auteurs de l'Histoire du Théâtre-Français, une conduite exemplaire, retour tardif sur elle-même, auquel ses quarante-neuf ans ôtaient malheureusement de son mérite". Elle termina sa carrière le 30 novembre 1700'. Son màri ne mourut que vingt-huit ans plus tard. Il avait perdu vers la fin de 1707, ou au commencement de 1708, un fils issu de leur mariage, qui refit et acheva Mélicerte. Le triste succès de cet essai apprit au téméraire

1. La Fameuse comédienne, p. 85 et go.

2. Dissertation sur Molière, par M. Beffara, p. 17.

3. La Fameuse comédienne, p. 62 et 86.

4. Histoire du Théatre français (par les frères Parfait), t. X, p. 320.

5. Voir son acte de décès ci-après, aux Notes du livre II, note 15.

que son père avait bien pu succéder au mari, mais qu'il ne lui appartenait pas, à lui, de refaire et de

continuer l'auteur.

Des trois enfans que Molière avait eus, un seul lui survécut; c'était sa fille : elle était grande et bien faite; peu jolie, mais en revanche très-spirituelle. Elle se trouvait au couvent lors du second mariage de sa mère, qui espérait l'y voir rester à jamais. Cette jeune personne ayant témoigné une aversion insurmontable pour l'état religieux, mademoiselle Guérin fut obligée de l'en retirer. Ce fut un grand crève-coeur pour sa coquetterie : une fille déjà formée était comme un acte de naissance qui la suivait incessamment. Celle-ci s'aperçut de son dépit; aussi Chapelle, qui depuis la mort de Molière avait à peu près perdu de vue et la mère et la fille, lui demandant un jour l'âge qu'elle avait : «< Quinze ans et demi, lui réponditelle tout bas; mais, ajouta-t-elle en souriant, n'en dites rien à maman. » Lasse d'attendre un parti du choix de sa mère, elle se laissa enlever vers 1685 ou 1686, c'est-à-dire à vingt ou vingt et un ans, par le sieur Rachel de Montalant, homme d'une quarantaine d'années, et veuf avec quatre enfans. Mademoiselle Guérin commença quelques poursuites. Mais des amis communs accommodèrent l'affaire. Ils s'unirent, et allèrent habiter Argenteuil, où madame de Montalant mourut le 23

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