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mai 1723, et son mari le 4 juin 1738, sans avoir eu d'enfans de leur mariage' (9). Ainsi s'éteignit la descendance de Molière.

des

Si la profession de comédien ne l'avait pas titué de l'estime de gens distingués par leur rang et leur esprit, si le grand Condé, le duc de Vivonne et d'autres grands seigneurs se faisaient, comme on l'a vu, un plaisir de le fréquenter, l'Académie crut se compromettre en le recevant dans son sein. La Motte a cependant répété plus d'une fois que cette compagnie, à l'instigation de Colbert, l'avait, peu de temps avant sa mort, désigné pour remplir la première place qui viendrait à vaquer, et que le futur académicien avait, par suite de cet arrangement, promis de ne plus paraître que dans des rôles de haut comique'. Nous ignorons si cette convention a réellement existé ; mais cela est peu vraisemblable; car nous demanderons, ainsi qu'on l'a déjà demandé, quelle différence essentielle on doit faire entre l'acteur qui reçoit des coups de bâton et celui qui les donne.

Un des auteurs de nos jours qui ont fait valoir

1. Histoire du Théâtre français (par les frères Parfait), t. XI, p. 319, note 6.. · Récréations littéraires, par Cizeron-Rival, p. 14:

- Mémoires sur Molière, faisant partie de la Collection des Mémoires sur l'art dramatique, p. 208.

2. Histoire du Théâtre français (par les frères Parfait), t. X, p. 104. Récréations littéraires, par Cizeron - Rival, p. 10. — OEuvres de Molière, avec les remarques de Bret, 1773, t. I, p. 68.

le plus de droits à une partie de la succession de Molière, M. Picard a dit dans une excellente notice sur l'auteur du Joueur : « Regnard ne fut point de l'Académie. C'est surtout aux poètes comiques que l'entrée du temple semble avoir été interdite. Je ne sais quel écrivain spirituel a prétendu qu'on ferait une Académie bien complète de tous les bons auteurs qui ne furent pas académiciens. Regnard y tiendrait une belle place au-dessous de Molière, et entouré de Le Sage, Piron, Du Fresny, Bruéis, Palaprat, Dancourt, d'Allainval, et Beaumarchais. » On peut encore ajouter à ces noms ceux de Baron, Le Grand, Fagan, Collé, SaintFoix et Fabre d'Églantine (10).

Les académiciens du dix-huitième siècle cherchèrent à faire oublier le ridicule de leurs devanciers. En 1778, le buste de Molière fut placé dans leur enceinte avec cette inscription proposée par Saurin.

Rien ne manque à sa gloire, il manquait à la nôtre (11). Quelques années auparavant ils avaient payé un autre tribut tardif à la mémoire de ce grand homme. En 1769, son éloge fut mis au concours, et le prix fut décerné à un littérateur misanthrope qui s'essaya dans plusieurs genres, mais qui, par un singulier contraste, serait aujourd'hui presque inconnu des lecteurs sans ses épigrammes en prose

et ses éloges. Chamfort, aux ouvrages duquel des critiques qui ne pouvaient craindre de se condamner eux-mêmes ont reproché de pécher par excès d'esprit, sut s'affranchir du protocole usé de ces sortes de panégyriques, et apprécia dignement le génie de Molière dans un morceau rempli d'aperçus ingénieux dont la finesse n'exclut pas la profondeur. Parmi les rivaux qui lui disputèrent la couronne, on remarquait Bailly, qui depuis fut comme lui martyr de cette révolution dont il avait été le généreux apôtre. Il obtint le troisième accessit. Mais son éloge ne valait rien; un prix d'Académie ne saurait rien prouver la plupart des ouvrages couronnés ne sont que des folies de jeunesse. Cet arrêt sévère fut porté par Bailly luimême; et personne, après avoir lu son ouvrage, ne sera tenté d'en appeler'.

:

Pour donner plus de solennité à cette réparation posthume, l'Académie Française fit prendre, le jour de la lecture publique de l'Éloge de Chamfort, une place honorable à deux arrière-cousins de Molière; M. Poquelin, vieillard plus qu'octogénaire, conseiller rapporteur en la chancellerie du Palais, et M. l'abbé de La Fosse, fils d'une Poquelin et du commissaire La Fosse, le même qui,

1. Mémoires de Bailly, Baudouin frères, 1822, t. III, p. iij, faisant partie de la Collection des Mémoires sur la révolution française.

selon Rigoley de Juvigny, assurait à Piron qu'il avait un frère homme d'esprit'. M. Poquelin mourut en 1772, sans postérité. Quant aux autres membres de cette famille qui existaient encore à cette époque, nous croyons pouvoir affirmer qu'ils moururent avant l'année 1780. Depuis plus de quarante ans, le nom de Poquelin est éteint (12); celui de Molière vivra toujours.

En 1792, le champ du repos où les restes de l'auteur du Misanthrope avaient été déposés, SaintJoseph, devint le siège d'une des sections de la commune de Paris. D'autres se décoraient des noms de Brutus et de Scévola; celle-ci, par un patriotisme mieux entendu, préféra choisir ses patrons dans les fastes de notre gloire littéraire, et prit le titre de Section armée de Molière et de La Fontaine. Les administrateurs, mus par un louable sentiment d'admiration pour ces deux immortels écrivains, ordonnèrent que leurs cendres seraient exhumées, pour être déposées dans des monumens dignes de cette destination.

à

Le 6 juillet, on procéda aux fouilles; mais il est peu près certain que ce ne furent pas les ossemens de La Fontaine qu'on retira; il est douteux qu'on ait été plus heureux pour Molière (13).

1.

Supplément à la Vie de Molière, par Bret, t. I, p. 67 de l'édition des OEuvres de Molière, 1773.

Quoi qu'il en soit, les dépouilles funèbres qu'on recueillit comme étant celles des deux illustres amis ne reçurent pas les honneurs pour lesquels on avait troublé leur repos. Pendant sept ans, ces mânes précieux furent transportés successivement dans plusieurs lieux, où ils demeurèrent dans un profond abandon. Enfin, M. Alexandre Lenoir, conservateur des Monumens Français, rougissant pour notre patrie de sa coupable indifférence, obtint, par ses instantes démarches, la translation des deux cercueils aux Fetits-Augustins; elle eut lieu sans aucune pompe, le 7 mai 1799.

Le Musée des Monumens Français ayant été supprimé le 6 mars 1817, les restes présumés de Molière et de La Fontaine, après avoir été présentés en grande pompe à l'église paroissiale de SaintGermain-des-Prés, furent transportés au cimetière du Père-la-Chaise. C'est là que deux tombeaux voisins, dont les noms qu'ils portent sont le plus bel ornement, rappellent à l'étranger qui visite ces lieux deux des titres les plus incontestables de notre gloire littéraire. Puisse l'émotion que ces grands souvenirs font naître dans son cœur l'empêcher de remarquer la mesquinerie de l'hommage que leur patrie leur a rendu! Puisse-t-elle surtout lui dérober cette épitaphe latine, dont l'auteur ignorait même l'âge auquel Molière cessa de vivre, et que la malignité publique attribue ce

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