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sans honte, à Térence allié Tabarin, c'est dire que, souvent au-dessous de Térence, il l'égale quelquefois, mais ne le surpasse jamais. Pour mieux justifier sa préférence, il a faussement prétendu que Molière s'était montré l'ami du peuple dans ses doctes peintures. Serait-ce dans le Misanthrope, dans le Tartuffe, dans l'Avare ou dans les Femmes savantes? Dans lequel de ces chefs-d'œuvre a-t-il fuit grimacer ses figures? Tous ces traits ne pourraient donc tomber tout au plus que sur les farces de Molière, qu'il n'a jamais eu la prétention de donner pour de doctes peintures, mais dont Boileau a fait bien involontairement le plus bel éloge en disant qu'il n'y reconnaissait pas l'auteur du Misanthrope. Eût-il donc pu, notre immortel comique, se glorifier de cette variété féconde, des ressources inépuisables qu'il possédait, si la nature de son génie l'eût forcé à se servir du même pinceau, des mêmes couleurs, pour rendre et la fureur d'Alceste et le désespoir de George Dandin? Boileau le voudrait-il blâmer de n'avoir pas toujours exercé son talent sur des sujets nobles et élevés? Mais J.-B. Rousseau l'a dit,

Aristophane, aussi-bien que Ménandre,

Charmait les Grecs assemblés pour l'entendre,
Et Raphaël peignit, sans déroger,
Plus d'une fois maint grotesque léger :

Ce n'est point là flétrir ses premiers rôles,

C'est de l'esprit embrasser les deux pôles,

Par deux chemins c'est tendre au même but,
Et s'illustrer par un double attribut.

Enfin, de quelque manière qu'on doive interpréter ce passage, on voit que Boileau, pour un jeu de scène, qui passe à la vérité les bornes voulues de la plaisanterie, a trouvé mille défauts qui se sont jusqu'à ce jour cachés à tous les yeux. Mais ce qu'on n'a pas encore remarqué, que nous sachions, c'est que ce critique, en relevant une inconvenance dans les œuvres de son ami et en leur prêtant d'innombrables imperfections, ajoute encore que sans ces imperfections, sans cette inconvenance, il eût PEUT-ÊTRE remporté le prix de son art... Le peut-être ne compromet-il pas beaucoup le goût du censeur qui craint tant de se compromettre? Non; il ne faut pas attacher à ce mot plus d'importance qu'il n'en mérite. Ce n'est pas la raison, ce n'est pas la justesse de l'idée qui l'ont fait entrer dans cette phrase; c'est le seul besoin du vers : mais il faut avouer que jamais cheville n'a plus malheureusement dénaturé la pensée du versificateur qui l'a appelée à son secours.

On doit regretter que cet arrêt ait été porté contre Molière, quand ses restes étaient à peine refroidis. Boileau, il est vrai, dans son épître adressée, en 1677, à Racine', n'affaiblit par auÉpitre VII.

1.

cune censure les éloges qu'il accorda aux chefsd'œuvre de son ami. Mais des éloges vagues ne pouvaient détruire l'effet de critiques précisées; la plus belle réparation que Boileau ait faite de ce qu'on nous permettra d'appeler ses torts, est dans sa réponse à Louis XIV lui demandant quel était le plus grand écrivain de son siècle. « Sire, c'est Molière. - Je ne le croyais pas, répondit le Roi; mais vous vous y connaissez mieux que moi 1. » La réponse de Boileau l'honore; celle de Louis XIV le fait aimer'.

Nous n'ajouterons rien à ce noble aveu d'un rival: il parle plus haut que toutes les déclamations. Nous nous bornerons, en terminant cet essai, à faire remarquer l'influence sur son siècle de cet écrivain qui renversa le faux goût avant les Satires; posa les règles de la comédie avant l'Art poétique; la ramena à son véritable genre, l'imitation de la société ; découvrit son véritable but, la critique de nos ridicules et le châtiment de nos vices. Si des travers nouveaux succédèrent à ceux qu'il avait censurés, ce n'est point à lui, c'est au

1. Mémoires sur la vie de J. Racine (par L. Racine), Lausanne, 1747, p. 122.

2. Plus tard Louis XIV apprécia mieux Molière. Grimarest écrivait en 1706 : « Il n'y a pas un an que le Roi eut occasion de dire qu'il avait perdu deux hommes qu'il ne recouvrerait jamais, Molière et Lulli. » (Addition à la Vie de Molière, p. 62.) C'était aussi vrai pour l'un qu'exagéré pour l'autre.

cœur humain qu'il faut s'en prendre. On a comparé avec raison les ridicules aux modes: on ne s'en corrige pas, on en change; quant au vice, le poète comique peut le stigmatiser, mais non le détruire. Il résista aux chefs-d'œuvre de Molière: nous avons lieu de craindre que, comme eux, il ne vive à jamais.

NOTES.

LIVRE PREMIER.

(1) Voici la teneur de l'acte de baptême de Molière, inscrit sur les registres de la paroisse Saint-Eustache, et découvert par M. Beffara en 1821, époque jusqu'à laquelle tous ses biographes, à l'exception de Bret 1, l'ont fait naître en 1620 ou en 1621 :

« Du samedi, 15 janvier 16222, fut baptisé Jean, fils de Jean Pouguelin, tapissier, et de Marie Cresé, sa femme, demeurant rue Saint-Honoré ; le parrain, Jean Pouguelin, porteur de grains; la marraine, Denise Lescacheux, veuve de feu Sébastien Asselin, vivant marchand tapissier.

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Le parrain, Jean Pouguelin, était aïeul paternel de Molière. Le véritable nom de cette famille était POQUELIN; mais les registres de l'état civil, fort mal tenus alors, portent tantôt Pouguelin, et tantôt Pocguelin, Poguelin, Poquelin, Pocquelin, et même Poclin, Poclain et Pauquelin.

Il a paru en 1825 une édition des OEuvres de Molière, précédées d'une Notice de M. Picard. Cet académicien pense que M. Beffara ne représentant qu'un acte de baptême, il faut s'en tenir à la version de Grimarest et des autres écrivains qui font naitre Molière en 1620. Pour peu qu'on ait été condamné par le besoin de quelque document biographique à compulser les registres des paroisses au dix-septième siècle, on sait que quand un enfant n'était pas baptisé le jour de sa naissance, on en énonçait l'époque ( né hier, ou né le.....). L'absence de cette date doit donc faire supposer qu'il

1. Bret, dans son Supplément à la Vie de Molière, édit. de 773, p. 77, dit qu'il ne vécut que cinquante-un ans. Il le fait par conséquent naître en 1622 2. Talma naquit aussi le 15 janvier, 141 ans après Molière (1763).

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