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publique. Au milieu de la corruption du théâtre, il menait une vie exemplaire. On l'aimait beaucoup à la cour. Louis XIV lui-même, dont il était connu particulièrement, se fit un plaisir de lui accorder plusieurs graces tant pour lui que pour sa compagnie.

Étant tombé dangereusement malade vers la fin de 1671 ou au commencement de 1672, le curé de Saint-Eustache, M. Marlin1, qui l'assista, exigea de lui la promesse de ne jamais remonter sur le théâtre. Il revint de cette maladie et tint fidèlement sa promesse. Il ne survécut pas long-temps à sa retraite. ( Le Théâtre-Français par Chapuzeau, page 182; Lettre sur Molière et sur les comédiens de son temps, Mercure de juin 1738, pag. 1134 et 1135; Histoire du ThéatreFrançais par les frères Parfait, t. VIII, pag. 217 et suiv.; Galerie du Théatre-Français, par M. Lemazurier, t. I, p. 263 et suiv.)

(11) Le plus grand nombre des historiens du théâtre attribue à cette cause la fin tragique de Montfleuri. D'autres prétendent même que « le cercle de fer qu'il était obligé d'avoir pour soutenir le poids énorme de son ventre n'empêcha point que, par les mêmes efforts, son ventre ne s'ouvrit,». Les frères Parfait, qui rapportent ces deux versions, p. 129 du tome VII de leur Histoire du Théatre-Français, transcrivent aussi un passage d'une lettre qui leur fut adressée, le 17 février 1739, par mademoiselle Desmarres, actrice, arrière-petite-fille de Montfleuri : « A l'égard de Montfleuri père, il est faux que le rôle d'Oreste ait été la cause de sa mort, par une veine qu'il s'était cassée; ma grand’mère m'a conté cette mort plusieurs fois; mais les particularités paraîtraient des fables, si on les exposait au jour. Il est seulement certain que Montfleuri, étant chez un marchand de galons, un inconnu qui s'y trouva l'avertit de songer à lui, parce qu'il était bien malade. Montfleuri ne fit pas grande attention aux discours d'un homme qu'il regardait comme un fou; mais, de retour chez lui, ayant appris que

1. Ce curé de Saint-Eustache au commencement de 1672, l'était probablement encore au mois de février 1673, où Molière termina sa carrière. Défense lui fut faite de recevoir le corps de cet homme de bien.

2 Voir le mot de Cirano de Bergerac, s r l'excessif embonpoint de Monfleuri, Note 12 du livre I.

la même personne était venue dire à ses domestiques que leur maitre était en grand danger, il se sentit ému, frappé. Il alla le soir jouer Oreste, revint avec la fièvre, et mourut en peu de jours.... Je ne puis vous en donner d'autres preuves que de l'avoir entendu dire à sa fille, mademoiselle d'Ennebault, ma grand❜mère. Elle m'a dit aussi que, comme son père était à l'article de la mort, plusieurs de ses camarades, les médecins et le confesseur étant dans la chambre, le même inconnu entra, et dit à Montfleuri, qui le reconnut: «< Allons, Monsieur, cela ne sera rien; que l'on me donne du vin et un verre. » Les médecins avaient condamné le malade, et soutinrent à sa femme que c'était un charlatan; le confesseur, que c'était un sorcier. Le malade criait en vain qu'on donnât à cet homme ce qu'il demandait; on fut sur le point de l'arrêter. C'était sur les neuf heures du soir; il s'en alla, et, étant sur le pas de la porte, il dit : « J'en suis fâché; j'aurais tiré ce pauvre Montfleuri d'affaire; mais il ne passera pas minuit : » ce qui arriva. »

Sans doute cette rupture de veine n'est pas un événement ordinaire; mais on répugne moins à y ajouter foi qu'à l'histoire du sorcier de la petite-fille de Montfleuri. Cette première version est d'ailleurs confirmée par un journal du temps, la Gazette de Du Lorens, du 17 décembre 1667 (Histoire du Théâtre-Français, par les frères Parfait, tome VII, page 132); et une semblable fin n'était pas sans exemple parmi les acteurs de ce temps. Le célèbre Mondory tomba en apoplexie et mourut peu après, pour avoir joué avec trop de chaleur le rôle d'Hérode, de la Mariamne de Tristan (Histoire du Théâtre-Français, par les frères Parfait, tome V, pag. 97); et Brécourt mourut, au mois de février 1685, pour s'être rompu une veine dans le corps, en représentant, à la cour, le principal rôle de sa comédie de Timon (Histoire du Théâtre-Français, tome VIII, page 407).

Chapuzeau, dans le Théâtre Français, pages 177 et 178, parle de Montfleuri comme d'un excellent comédien; mais, avant que l'école de Molière l'eût emporté, les cris forcés et l'exagération étaient loin d'être regardés comme des défauts.

(12) Grimarest, qui rapporte une partie de ces faits, en détruit, selon son habitude, la vraisemblance en disant que Molière avait imposé à Racine la condition de lui apporter un acte par semaine, et que celui-ci avait pillé presque tout son travail dans la pièce de Rotrou. Il commence aussi par dire que, lorsque Molière forma le dessein de lui proposer ce sujet, il ne savait où le prendre, et qu'il avait chargé ses comédiens de le déterrer à quelque prix que ce fut. Ne semblerait-il pas que Racine était alors complètement ignoré et qu'il était besoin de mettre vingt personnes à sa recherche? et cependant, il avait été plus d'une fois présenté au Roi; il avait déjà composé plusieurs odes qui lui avaient valu des récompenses, et assez de célébrité pour être compris cette même année, avec Molière, dans une liste des gens de lettres les plus distingués, auxquels Louis XIV accorda des pensions.

L'abbé Mervesin, au témoignage duquel, dans cette circonstance, comme dans beaucoup d'autres, il ne faut pas ajouter une grande foi, prétend dans son Histoire de la Poésie française, page 234, que Racine suivit plus, pour cette pièce, les conseils de Boileau que ceux de Molière. Cette assertion est contraire à toutes les autres autorités.

(13) Voici cette liste. Nous la transcrivons sans y rien changer 1. Au sieur de la Chambre, médecin ordinaire du Roi, excellent homme pour la physique et pour la connaissance des passions et des sens, dont il a fait divers ouvrages fort estimés, une pension de deux mille livres.

Au sieur Conrart, lequel, sans connaissance d'aucune autre langue que sa maternelle, est admirable pour juger de toutes les productions de l'esprit, une pension de quinze cents livres.

Au sieur Le Clerc, excellent poète français, six cents livres. Au sieur Pierre Corneille, premier poète dramatique du monde, deux mille livres.

Au sieur Desmarets, le plus fertile auteur et doué de la plus belle imagination qui ait jamais été, douze cents livres.

1. Pièces intéressantes et peu connues pour servir à l'histoire et à la littérature, par M. D. L. P. (M. de La Place), 1785, t 1, p. 198 et suiv.

Au sieur Ménage, excellent pour la critique des pièces, deux

mille livres.

Au sieur abbé de Pure, qui écrit l'histoire en latin pur et élégant, mille livres.

Au sieur Boyer, excellent poète français, huit cents livres.

Au sieur Corneille jeune, bon poète français et dramatique, mille livres.

Au sieur Molière, excellent poète comique, mille livres.

Au sieur Benserade, poète français fort agréable, quinze cents livres.

Au père Lecointre de l'Oratoire, habile pour l'histoire, quinze cents livres.

Au sieur Godefroi, historiographe du Roi, trois mille six cents livres.

Au sieur Huet de Caen, grand personnage qui a traduit Origène, quinze cents livres.

Au sieur Charpentier, poète et orateur français, douze cents livres.

Au sieur abbé Cottin, idem, douze cents livres.

Au sieur Sorbière, savant ès-lettres humaines, mille livres.
Au sieur Dauvrier, idem, trois mille livres.

Au sieur Ogier, consommé dans la théologie et les belles-lettres, quinze cents livres.

Au sieur Vallier, professant parfaitement la langue arabe, six cents livres.

A l'abbé Le Vayer, savant ès-belles-lettres, mille livres.

Au sieur Le Laboureur, habile pour l'histoire, douze cents livres. Au sieur de Sainte-Marthe, idem, douze cents livres.

Au sieur Du Perrier, poète latin, huit cents livres.

Au sieur Fléchier, poète français et latin, huit cents livres.
Aux sieurs de Valois frères, qui écrivent l'histoire en latin, deux

mille quatre cents livres.

Au sieur Mauri, poète latin, six cents livres.

Au sieur Racine, poète français, huit cents livres.

Au sieur abbé de Bourzeis, consommé dans la théologie posi

tive scholastique, dans l'histoire, les lettres humaines et les langues orientales, trois mille livres.

Au sieur Chapelain, le plus grand poète français qui ait jamais été et du plus solide jugement, trois mille livres.

Au sieur abbé Cassagne, poète, orateur et savant en théologie, quinze cents livres.

Au sieur Perrault, habile en poésie et en belles-lettres, quinze cents livres.

Au sieur Mézeray, historiographe, quatre mille livres 1.

1. Voici deux lettres peu connues, de Mézeray à Colbert, au sujet de cette pension exorbitante, qui donnent la mesure de l'indépendance des historiens du dix-septième siècle.

<< Oscrai-je vous réitérer, par cette seconde lettre, les mêmes prières que j'ai déjà pris la hardiesse de vous faire par ma première, dont voici les mêmes termes. Ce que m'a dit M. Perrault de votre part a été un terrible coup de foudre qui m'a rendu tout-à-fait immobile, et qui m'a ôté tout sentiment; hormis celui de vous avoir déplu: Ma seule espérance est, Monseigneur, que Dieu vous ayant rendu la santé, vous ne me défendrez pas aujourd'hui de prendre part à la réjouissance publique; et que, pendant cette satisfaction universelle des gens de bien, vous ne voudrez pas que je sois le seul qui demeure dans une tristesse mortelle. Permettez-moi donc, s'il vous plaît, monseigneur, dans cette heureuse conjoncture, d'implorer le secours de votre généreuse bonté; je la supplie très - humblement d'intercéder pour moi auprès de vous, et de m'obtenir ma grace, que je vous demande avec une entière soumission et un profond respect. Je ne prétends point, Monseigneur, justifier mes manquemens autrement qu'en les réparant, et en justifiant la rectitude de mes intentions par une prompte et sincère obéissance; ce qui me sera d'autant plus facile, qu'une seconde édition de mon ouvrage étant augmentée de plus de trois cents articles, et d'un grand nombre de choses aussi utiles que rares et curieuses, effacera et anéantira bientôt la première: car, comme le savent ceux qui entendent le commerce des livres, c'est une expérience infaillible, que les impressions postérieures, quand elles se font du vivant des auteurs et qu'elles sont plus amples et plus correctes, font périr tout-à-fait les précédentes, en sorte qu'on n'en tient plus compte et que même on n'en voit plus du tout. C'est dans cette disposition, Monseigneur, que j'ai prié M. Perrault de vous assurer que je suis prêt à passer l'éponge sur tous les endroits que vous jugerez dignes de censure dans mon livre, et de vous protester en même temps que je veux employer tous mes efforts et si peu de talens que Dieu m'a donné pour faire connaître à toute la terre que vous n'avez jamais fait de créa

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