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Satire des satires; mais le législateur du Parnasse, qui comptait plusieurs parens et quelques amis dans le parlement, eut assez de crédit, ou plutôt assez de faiblesse, pour solliciter et obtenir une défense de jouer cette pièce. Il eut même soin de faire afficher cette ordonnance à la porte du théâtre de l'hôtel de Bourgogne, auquel l'ouvrage avait été donné'. Boursault, quelque temps après, prit sa revanche avec bien de l'avantage. Ayant appris que Boileau se trouvait gêné, il s'empressa de lui porter tout l'argent qu'il put réaliser, et le lui offrit avec cette bonne grace qui double le prix du bienfait. Cette action montre clairement que ce n'était point une basse jalousie, mais bien de perfides conseils qui avaient porté Boursault à attaquer Molière; et ce tort de son esprit est plus que suffisamment compensé par ce mouvement d'une ame généreuse'.

Joué le 14 octobre, à Versailles, sur le théâtre de la cour avec un succès complet, l'Impromptu obtint les mêmes honneurs que la Critique. Comme elle, il s'attira deux réponses: l'une, la Vengeance des marquis, de De Villiers, comédien de l'hôtel

1. Histoire de la Poésie française (par l'abbé Mervesin), p. 261. 2. OEuvres de Molière, avec les remarques de Bret, 1773, t. II, p. 515.- OEuvres de d'Alembert, Belin, 1821, t. II, p. 437. Lettre de Boileau à Racine, du 19 août 1687, t. IV, p. go et note, de l'édition des OEuvres de Boileau, avec un commentaire par M. de Saint-Surin.

de Bourgogne, ne méritant pas qu'on s'y arrête, nous ne parlerons que de l'autre, l'Impromptu de l'Hôtel de Condé, comédie en vers en un acte, de Montfleuri.

Cet écrivain, auquel on doit la Femme Juge et Partie, était fils de l'acteur Montfleuri, un des plus fermes soutiens du théâtre de l'hôtel de Bourgogne, et un des moins ménagés dans l'Impromptu de Versailles. Depuis long-temps il existait entre cette troupe et celle du Palais-Royal une rivalité souvent hostile. Molière, qui n'avait pas vu sans un juste dépit ses rivaux, jouissant de grands privilèges et favorisés par la plupart des auteurs, entraver encore sa marche par des menées sourdes, perdit à la fin patience, et essaya, dans les Précieuses ridicules', d'ébranler leur crédit en faisant rire à leurs dépens.

Ses vœux furent sans doute comblés, car on applaudit aux traits piquans lancés contre ses antagonistes; mais il paya cher cette courte satisfaction. Furieux de ces railleries, les comédiens de l'hôtel de Bourgogne ne contribuèrent pas peu au double échec qu'il éprouva dans Don Garcie, et comme acteur et comme auteur. Ils se mêlèrent avec un égal empressement aux détracteurs les plus acharnés de l'École des Femmes. Molière

1. Les Précieuses ridicules, sc. 10.

se livra de nouveau au plaisir divin de la vengeance, sans se laisser arrêter cette fois par de timides ménagemens. Le seul Floridor fut épargné; et si ce silence ne peut passer pour un hommage rendu à son talent, on doit du moins le considérer comme un témoignage prudent de respect pour le jugement du public. Cet acteur était si aimé qu'il ne put conserver le rôle de Néron de Britannicus, créé par lui avec une grande supériorité, parce que, dit Montchesnay, il était pénible au parterre de le voir représenter un personnage odieux et de lui vouloir du mal' (10).

Quant aux autres comédiens que ne couvrait pas la même égide, nul d'entre eux ne fut ménagé. Tous comparurent sur la scène avec leurs défauts et leurs ridicules. Montfleuri fut le premier immolé. Molière, au risque de s'exposer à de justes récriminations, fit ressortir ses gestes apprêtés, sa déclamation fausse et ses cris forcenés dans la tragédie. On pourrait douter du fondement de ces accusations, si cet acteur n'eût semblé depuis prendre à tâche de les justifier luimême par sa fin tragique. Il mit, selon quelques biographes, tant de chaleur à jouer le rôle d'Oreste d'Andromaque que, par ses cris, il se rom

1. Boleana, p. 106.

pit une veine du cou dans la scène des fureurs, au cinquième acte, et mourut suffoqué bientôt après (11).

Son fils, dans l'Impromptu de l'Hôtel de Condé, se constitua son champion et celui de ses camarades. Il prétendit que la comédie de Molière n'était qu'un impromptu long-temps médité, et répondit surtout aux traits dirigés contre le talent de son père par une caricature assez méchante de Molière. Alcidon, un des personnages de la pièce, dit en parlant de lui:

Il est vrai qu'il récite avecque beaucoup d'art;
Témoin, dedans Pompée, alors qu'il fait César:
Madame, avez-vous vu, dans ces tapisseries,
Ces héros de roman?

LA MARQUISE.

Oui.

LE MARQUIS.

Belles railleries!

ALCIDON.

Il est fait tout de même; il vient le nez au vent,
Les pieds en parenthèse, et l'épaule en avant;
Sa perruque, qui suit le côté qu'il avance,
Plus pleine de lauriers qu'un jambon de Mayence;
Les mains sur les côtés, d'un air peu négligé,
La tête sur le dos, comme un mulet chargé;
Les yeux fort égarés; puis, débitant ses rôles,
D'un hoquet éternel sépare ses paroles;
Et lorsque l'on lui dit : « Et commandez ici,
(Il répond.)

<< Connaissez-vous César, de lui parler ainsi?

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"

Que m'offrirait de pis la fortune ennemie,

« A moi qui tiens le sceptre égal à l'infamie? »

les

Ce portrait, si nous le comparons à ceux que peintres et les écrivains contemporains nous ont laissés de Molière, offre plus d'un trait de ressemblance. La couronne de lauriers se trouve dans presque tous, et le hoquet n'a point été oublié non plus par les historiens du théâtre. Il avait contracté ce tic en s'efforçant de se rendre maître d'une excessive volubilité de prononciation. Mais, dans la comédie, son art infini dissimulait ce défaut autant que possible' « Les anciens, disait un journal peu de temps après sa mort, n'ont jamais eu d'acteur égal à celui dont nous pleurons aujourd'hui la perte; et Roscius, ce fameux comédien de l'antiquité, lui aurait cédé le premier rang, s'il eût vécu de son temps. C'est avec justice qu'il le méritait il était tout comédien depuis les pieds jusqu'à la tête. Il semblait qu'il eût plusieurs voix, tout parlait en lui; et, d'un pas, d'un sourire, d'un clin-d'oeil et d'un remuement de tête, il faisait plus concevoir de choses que le plus grand parleur n'aurait pu dire en une heure '. » « Il n'était ni trop gras, ni trop maigre, dit également une contem

1. Grimarest, p. 207 et 208.

2. Oraison funèbre de Molière, MERCURE GALANT, t. IV, Ire année, p. 302.

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